Une tribune pour les luttes

Manifestations en Iran : force et limites du mouvement

Publié par Révolution Internationale • le 18 January, 2018

Article mis en ligne le mercredi 24 janvier 2018

Le 28 décembre dernier, les premières étincelles d’un mouvement rappelant ceux du “Printemps Arabe”, commençait à secouer le territoire iranien. A ce mouvement qui s’essouffle, au moment où nous écrivons ces lignes, font aussi écho d’autres expressions de colère contre la détérioration des conditions de vie, comme au Maroc et surtout en Tunisie.

Une explosion de colère spontanée

L’Iran est un pays aux fortes ambitions impérialistes, dont les dépenses militaires dans toute la région du Moyen-Orient se sont nettement accrues.(1) Dans le contexte d’attentes déçues suite à l’accord sur le nucléaire, la crise économique et l’austérité aggravée par la corruption et les sanctions internationales ont plongé la majeure partie de la population dans la précarité et la misère. Depuis des mois, des retraités, chômeurs (28 % des jeunes), enseignants, ouvriers qui n’avaient pas été payé, manifestaient déjà leur grogne. Finalement, la hausse de 50 % de l’essence et des produits alimentaires de première nécessité, comme, par exemple, le doublement du prix des œufs,(2) allait mettre le feu aux poudres. Le mouvement, dans un pays en guerre à la population prétendument “soumise”, a fait irruption depuis Machhad (seconde ville du pays au nord-est) et s’est propagé, touchant la capitale Téhéran, faisant immédiatement tache d’huile sur l’ensemble des principaux pôles urbains  : au nord vers Racht et au sud du pays en direction de Chabahar. Dans toutes les foules mobilisées refusant la politique de l’État, la classe ouvrière était présente, même si plutôt diluée dans le reste des manifestants  : des ouvriers d’usine, enseignants, bon nombre de chômeurs, énormément de jeunes sans emploi, étaient bien présents, ainsi que de nombreux étudiants. Fait significatif, beaucoup de femmes se sont également mobilisées. Pour autant, malgré une présence combative et un grand courage, la classe ouvrière n’a pas été en mesure de donner une réelle orientation à cette lutte, n’a pu s’affirmer de manière totalement autonome comme réelle force politique.(3) Certes, malgré le poids d’illusions démocratiques et les faiblesses politiques, la bourgeoisie s’inquiétait du fait même de cette explosion de colère “sans leader”. Le grand “guide suprême” Ali Khamenei se murait ainsi au début dans un silence assourdissant et le président Rohani apparaissait bien plus prudent que ferme, le gouvernement annonçant même que la hausse des carburants serait finalement annulée  ! Il est vrai que les symboles du pouvoir politique et religieux étaient rapidement pris pour cibles et incendiés  : banques, bâtiments publiques, centre religieux et notamment des sièges de Bassidj (milices islamiques du régime). Des heurts violents avec la police conduisaient à de nombreuses arrestations, souvent de jeunes, des dizaines de morts côté manifestants étaient à déplorer. Peu à peu, le ton des autorités s’est affermi tout comme sa riposte. Les “violences” et “actes illégaux” des “meneurs” et “fauteurs de troubles” allaient être “sévèrement punis” annonçait Rohani et Khamenei accusait directement les manifestants d’être des “ennemis de l’Iran”.(4) Comptant laisser pourrir la situation et préparer le terrain de la répression, avec la bénédiction de tous les grands États démocratiques qui cherchent à tirer leur épingle du jeu, le gouvernement pouvait profiter du manque de perspective pour appuyer des contre-manifestations en soutien au régime et son ayatollah. Ces contre-manifestants scandaient “mort à l’Amérique”, “mort à Israël” à la face des “séditieux”. Un tel sursaut patriotique permettait au chef de l’État de jouer sur les divisions et sur le chantage  : “Nous ou le chaos.”(5)

Les faiblesses du prolétariat en Iran

Le mouvement populaire spontané auquel nous avons pu assister est le plus important depuis l’année 2009 où une crise sociale, “le mouvement vert”, menaçait d’entraîner les prolétaires derrière l’une ou l’autre des cliques bourgeoises en concurrence. A l’époque, nous écrivions  : “Face au camp corrompu et sanguinaire Ahmadinedjad, nous trouvons des gens qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau  ! Eux aussi sont clairement pour une République islamiste et pour la poursuite de la fabrication de l’arme atomique iranienne. Tous ces gens se ressemblent car ils défendent tous leurs propres intérêts nationalistes et personnels”. Aujourd’hui, bien plus qu’en 2009, le mouvement a été une réelle expression des exploités et des déshérités eux-mêmes, sans que la classe ouvrière n’ait été capable de jouer pour autant un véritable rôle d’orientation en dehors de quelques minorités très isolées. Bien que des luttes ouvrières en Iran se soient développées et intégrées au combat du prolétariat mondial depuis la fin des années 1960, notamment dans les secteurs clé de l’industrie du pétrole, des transports, de l’enseignement etc., ces luttes ont toujours été trop faibles pour aller au-delà du peu d’impact qu’elles avaient eu à leur sommet en 1978-79, ces dernières ne réussissant qu’à provoquer la chute du Shah. Les faiblesses politiques du prolétariat étaient alors mises à profit par toute une horde de fanatiques religieux et l’ayatollah Khomeiny, appuyés à l’occasion par des staliniens au nationalisme viscéral. Les combats de classes se firent ensuite de plus en plus rares, fortement réprimés après cette “révolution islamique”. Bon nombre d’ouvriers combatifs étaient exécutés sous ce régime des mollahs lors des grèves qui allaient suivre. Les prolétaires allaient même souffrir en plus d’une terrible guerre opposant l’Iran à l’Irak de 1980 à 1988 et qui fit plus d’un million de morts.

Depuis lors, si quelques luttes ont tout de même pu se développer malgré tout, comme durant l’année 2007 où aux 100 000 enseignants se sont joints des milliers d’ouvriers d’usines en signe de solidarité, la faiblesse de la classe ouvrière sur l’ensemble du champ social est restée une donnée essentielle de la situation. Une telle difficulté ne pouvait qu’être exploitée par la classe dominante maintenant une chape de plomb, celle d’un régime où l’État avait fusionné avec les groupes religieux et le pouvoir des mollahs. Cette absence relative d’un prolétariat conscient, marqué par des préjugés nationalistes et des illusions démocratiques, ouvrait la porte aux pires effets de la décomposition sociale et du militarisme.

Perspectives

Malgré la très forte combativité et le fait que les revendications en Iran se soient portées sur le terrain de revendications économiques propices à la lutte prolétarienne, le combat mené s’est essoufflé faute d’unité politique, d’affirmation d’une réelle identité et perspective de classe. De plus, les ouvriers sont confrontés en permanence aux luttes entre fractions bourgeoises rivales dont les manœuvres constituent un très grand danger pour le prolétariat qui risque de se laisser happer ou prendre en otage par l’une ou l’autre de ces cliques. Non seulement ces difficultés faisaient déjà obstacle, mais les conditions objectives liée à l’isolement de l’Iran s’ajoutaient à cela en favorisant la répression. Entouré de pays en guerre, sans possibilité pour les ouvriers de pouvoir espérer la solidarité des prolétaires des pays qui l’entourent, où le nationalisme pèse aussi de manière importante, ces luttes en Iran étaient fortement soumises à des entraves. C’est en cela que les faiblesses du prolétariat en Iran sont avant tout celles du prolétariat mondial.

Ainsi, le principal handicap de ces dernières luttes reste avant tout l’incapacité du prolétariat international, y compris là où il est le plus concentré et expérimenté, c’est-à-dire en Europe occidentale, à se concevoir comme une classe capable d’offrir une perspective à tous les combats. Celui qui s’est mené en Iran doit être un encouragement, une leçon permettant de voir le potentiel que peuvent receler les revendications ouvrières sur le terrain économique. Lutter contre l’austérité, se battre pour la défense de nos conditions de vie est une nécessité. Telle est la première leçon essentielle  ! La seconde est que la véritable solidarité, la seule qui puisse être apportée par le prolétariat mondial à ses frères de classe en Iran reste celle de la prise en charge consciente d’une résistance et d’un combat contre l’austérité et contre le système capitaliste.

WH, 5 janvier 2018

1) Alors que l’Iran a souffert de sanctions imposées par les États-Unis, elle a versé d’énormes sommes d’argent dans la guerre au Yémen, en soutenant le Hezbollah, le régime d’Assad et ses bandes armées opérant au niveau international, et, bien sûr, l’armement contre l’Arabie Saoudite. Tout cela alimentant l’austérité aux dépens de la population.

2) Au point qu’on a parlé d’une “révolution des œufs”.

3) Cela, bien que des minorités parmi les étudiants se soient distinguées, notamment à Téhéran et dans d’autres villes, s’opposant nettement à des slogans réactionnaires du type “ni Gaza, ni Liban, je mourrai seulement pour l’Iran”, prônant un authentique internationalisme prolétarien  : “De Gaza à l’Iran, à bas les exploiteurs”. De même, ces éléments défendaient le principe des “conseils ouvriers”, refusant également de se laisser entraîner derrière une clique bourgeoise, qu’elle soit “réformiste” ou “fondamentaliste”. Face à ce danger ressenti, les autorités ont arrêté bon nombre d’entre eux, ciblant plus particulièrement les étudiants (voir le forum libcom en anglais).

4) Derrière ces manifestants “ennemis”, les États-Unis et les monarchies du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite, étaient visés. Sur les réseaux sociaux comme Twitter, la plupart des hashtags qui appelaient à manifester venaient en effet d’Arabie Saoudite. De même, l’Organisation des moudjahidine, opposée au régime iranien (basée à Paris et proche des Saoudiens) soutenait les manifestants. Mais le mouvement est bien parti de l’intérieur de l’Iran. Bien entendu, tant Trump par ses provocations que les autres puissances étrangères rivales ne pouvaient que souhaiter l’affaiblissement de l’Iran. Pour le régime iranien, ce mouvement constitue bel et bien un caillou dans sa chaussure.

5) En évoquant la tragédie qui a suivi les mouvements d’opposition en Syrie et la situation de guerre en Irak, le chef de l’État n’avait pas d’autre but que de menacer les manifestants en insinuant l’idée que leur mouvement pourrait provoquer un chaos similaire.

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