Une tribune pour les luttes

Primitivi prend le large

Une télé pas pareille vogue vers la Tunisie

Article mis en ligne le mercredi 12 septembre 2018

Adeptes du pas de côté, les médias libres, indépendants, citoyens, « pas pareils » sont parfois aussi accrochés à leur territoire qu’une moule à son rocher. Cela tient à l’objet éditorial, à la nécessité d’approfondir, à cette idée qu’on peut raconter le monde à travers ce qui se passe dans notre coin mais aussi, trop souvent, au manque de moyens. Alors, prendre un peu de champ, cela ne peut pas faire de mal.

Primitivi, la télé pas très « cathodique » du centre-ville de Marseille avec Marges de manœuvre, largue ainsi les amarres (1). C’est ainsi que Romain et Matthieu ont embarqué sur le bateau de Lounapo pour se rendre, à l’invitation d’Alarm’Phone (une association de sauvetage en mer), en Tunisie.

« A la base, il y a la question du droit au départ. Que revendiquent ceux à qui on le refuse et que l’on a nous, grâce à notre passeport. Mais, pour commencer, on s’est pris la mer dans la gueule », raconte le duo, guère habitué à ce genre de traversée. D’emblée, notre point de vue sur ceux qui prennent la mer a commencé à changer. Car si, d’ores et déjà pour nous, prendre la mer signifie sortir de sa zone de confort, qu’est-ce que cela doit être lorsqu’on se retrouve entassé sur une embarcation de fortune… »

Après une escale du côté de la Sicile, les voilà en Tunisie. Dans un petit village portuaire « où les marins doivent se partager entre la pêche et le sauvetage en mer, une activité qu’ils doivent apprendre sur le tas et qu’ils ne peuvent toujours assurer. Et qu’ils assurent malgré tout en sachant que leurs enfants, eux aussi, vont prendre les mêmes risques que ceux qu’ils parviennent à secourir ». Où un ancien pêcheur « donne une sépulture à ceux que la mer rejette ou qui remontent dans les filets ».

Et le regard de s’affiner. Sur la situation des migrants qui viennent d’Afrique sub-saharienne. Sur ce qui se passe au large des côtes libyennes… Et sur ceux qui revendiquent le droit au départ mais aussi celui au retour. « On voudrait voir ceux qui partent comme des victimes fuyant la guerre, la misère. Or, ce n’est pas toujours le cas. Certains ont étudié la seconde guerre mondiale, la colonisation, veulent voir ces pays qui se sont emparés de leurs richesses… En revanche, ils se retrouvent dans de tels engrenages, dans de telles situations qu’ils sont petit à petit coincés dans une cage. Et plus le temps passe, plus le retour est impossible. »

La caméra circule, change de main et la parole se libère, jetant des ponts par-dessus les flots et les barrières. A leurs côtés, se prépare un roman graphique. Romain et Matthieu viennent à peine de rentrer. Ils ont à peine eu le temps de « dé-rusher ». L’un pense que le film sera prêt d’ici « 2 mois  », l’autre « dans 10 ans ». Avant de se ressaisir. Car la question est brûlante d’actualité. Et l’envie de repartir les taraude déjà : « On a bien évidemment envie d’y retourner pour montrer le film et le prolonger. Faire des allers-retours. »

De fait, si, aujourd’hui, la Villa Méditerranée à Marseille est désormais une coquille vide, les médias « pas pareils » de Paca n’ont jamais cessé d’explorer les rives de cette mer intérieure, que ce soit Tabasco Vidéo, 15/38 Méditerranée ou le Ravi avec sa page « La grande Bleue ». Et qu’importe si, pour Marges de manœuvre, celles dont dispose Primitivi sont étroites. Ils réclamaient chichement 6000 euros, ils n’en ont réuni que 4500. Pas grave : le manque de moyens n’a jamais empêché cette télé pirate - à l’origine entre autres d’un « doctorat sauvage en média libre » - d’arpenter ces marges où elle sait si bien manœuvrer.

Sébastien Boistel

www.primitivi.org

Article publié dans le Ravi n°163, juin 2018

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