Une tribune pour les luttes

Antifascisme : Ce qu’on retiendra du procès Méric

Article mis en ligne le vendredi 5 octobre 2018

Les faits ont été nettement mis en lumière par l’instruction et à l’audience  : un groupe néonazi qui attaque à l’arme blanche des antifascistes inférieurs en nombre  ; un camarade tué  ; cinq ans plus tard, des gens qui bredouillent, se défaussent, n’assument rien  ; leur chef qui les méprise ouvertement. La mobilisation a payé. Le combat de Clément continue.

Le verdict est tombé le 14 septembre, au terme de neuf heures de délibéré : deux anciens néonazis, Samuel Dufour et Esteban Morillo, ont été reconnus coupables de coups mortels, avec arme et en réunion, contre Clément Méric. Condamnés l’un à sept ans, l’autre à onze ans de prison, ils ont aussitôt fait appel. Le troisième homme, Alexandre Eyrault, a été acquitté.

Qu’attendions-nous de ce procès ? Une claque à l’extrême droite ? Sûrement pas. Ce n’est pas aux assises qu’on remédiera à un phénomène dont les causes sont politiques et sociales.

Une punition exemplaire pour les trois pauvres types qui tremblotaient dans le box des accusés ? Nullement. Nous ne souhaitons à personne de purger une peine d’enfermement dans un système carcéral que nous réprouvons.

Ce que nous attendions de ce procès, c’était qu’il établisse les faits et mette un terme à cinq années de dénégations et de falsifications de la part de la fachosphère, mais aussi de la part d’éditocrates cyniques, de journalistes en mal de buzz et d’hommes de pouvoir pressés de renvoyer fascistes et antifascistes dos à dos. C’est pour cette raison que le Comité Clément, pendant cinq ans, a appelé à rester mobilisé pour maintenir la pression, obtenir que l’enquête avance, que l’affaire reste dans l’actualité et que la vérité éclate enfin.

Que retenir de ces journées d’audience ?

1. Ce sont bien les néonazis qui ont attaqué

Le 5 juin 2013, rue Caumartin, à Paris 9e, cinq skinheads néonazis attaquent quatre militants libertaires et antifascistes. L’échange de coups dure quelques secondes, puis les skinheads s’enfuient. Sur le trottoir, un mort : Clément Méric, 18 ans, syndicaliste à Solidaires-Étudiant-es.

Dans les jours qui suivent, les meurtriers sont arrêtés, la presse s’emballe, l’indignation est générale. C’est que l’extrême droite est coutumière des violences en meute, parfois mortelles. Tout le monde a en mémoire Brahim Bouarram, assassiné en 1995 par des skinheads membres du SO du FN. En 2002, c’était François Chenu, lynché car homosexuel. En 2008, Nourredine Rachedi, tabassé parce que musulman, avait échappé de peu à la mort. En 2013, Clément Méric venait s’ajouter à cette liste. Cependant, très rapidement, certains médias – RTL, Le Point – avaient rapporté un témoignage affirmant que c’était les antifascistes qui avaient provoqué la bagarre. Une insinuation qui ne changeait rien aux faits – Esteban Morillo ayant rapidement reconnu avoir porté les coups mortels – mais qui aboutissait à établir une sorte d’équivalence morale entre les deux groupes.

En parallèle, la fachosphère s’employait à allumer des contre-feux, en martelant que Clément Méric était le véritable agresseur, et que Morillo était en situation de légitime défense. Alain Soral suggérait que les amis de Clément, en mal de publicité, l’avaient délibérément envoyé à la mort. Dieudonné, sur sa chaîne Youtube, invitait Serge Ayoub à disculper son groupe néonazi, Troisième voie, auquel appartenaient les meurtriers. Et Éric Zemmour persiflait, sur iTélé, contre ce qui, pour lui, n’était qu’un « grand numéro » médiatique.

Le summum fut atteint avec la diffusion, au JT de France 2, d’un reportage du journaliste Hugo Clément qui, extrapolant à partir de vagues images de vidéosurveillance de la RATP, affirmait que Clément Méric s’était jeté sur le skinhead, qui lui tournait le dos ! Par la suite, aussi bien la police que la RATP s’étaient inscrites en faux contre cette interprétation abusive d’images non probantes, mais, dans l’esprit du grand public, le mal était fait.

Durant l’instruction et à l’audience, cette thèse d’une agression de la part des antifascistes a été balayée. C’est bien le groupe néonazi qui s’est précipité sur les antifascistes.

2. L’expertise la plus sérieuse plaide pour l’usage d’un coup-de-poing américain

Oui ou non, Esteban Morillo avait-il frappé Clément Méric au visage avec un coup-de-poing américain ? Ça a longtemps été une des principales zones d’ombre de l’affaire. Établir que le skinhead avait frappé avec une arme blanche de 6e catégorie (dont le port est prohibé) conduisait à faire reconnaître sa pleine culpabilité dans la mort de sa ­victime.

Morillo niait ; des témoins affirmaient l’avoir vu l’arme à la main. L’expertise médico-légale piétinait. Deux médecins légistes, s’en tenant à un examen visuel et radiographique, estimaient que Clément Méric n’avait pas subi de fracture du nez. Ils ont été réfutés à l’audience par un légiste ayant procédé à un examen fondé sur un élément autrement plus solide : un scanner. Son diagnostic a été net et précis : « deux plaies d’éclatement » sur le nez de Clément Méric ; l’aile droite du nez « fracturée », mais aussi « enfoncée », ce qui rend tout à fait probable l’usage d’une arme contondante.

3. L’extrême droite offre le spectacle du reniement

Esteban Morillo, Samuel Dufour et Alexandre Eyrault ont, tout du long du procès, cherché à dépolitiser l’affaire, à fuir les idées néonazies qu’ils endossaient autrefois fièrement. Tatouages effacés, vies rangées, passé renié… On est loin de la devise de Troisième voie : « Croire, combattre et obéir »…

Pour leur part, les trois libertaires antifascistes convoqués à la barre – Steve, Matthias et Aurélien – n’ont rien abandonné de leurs convictions depuis 2013. Ils les assument pleinement.

4. Le gourou Serge Ayoub méprise ses anciens adeptes

Dans les heures qui ont suivi l’altercation, les skinheads ont abondamment téléphoné à Serge Ayoub, dit Batskin, le chef de Troisième voie, pour lui demander conseil sur la conduite à ­suivre. La police a relevé 34 communications téléphoniques entre Ayoub et Morillo ; 22 avec Eyrault ; 4 avec Stéphane C. ; 9 avec Samuel Dufour. Il était donc naturel que le tenancier du bar parisien Le Local soit appelé à la barre.

Après avoir vainement tenté de se soustraire à sa convocation, il est apparu au palais de justice égal à lui-même : arrogant, sournois, mégalomane, mais surtout plein de dédain pour ses anciens adeptes, qu’il a lâchés sans vergogne. À l’en croire, il les connaissait à peine, ils n’étaient que de vagues « sympathisants, pas plus » de Troisième voie, des gamins sans idéologie, sans convictions.

Cette morgue d’Ayoub devrait servir d’avertissement à toutes et tous les jeunes révoltés qui, se trompant de colère, se tournent vers l’extrême droite. Ils n’y trouveront que des businessmen et des manipulateurs qui les lâcheront à la première occasion. Dans le mouvement révolutionnaire et antiraciste, on a d’autres valeurs. On se serre les coudes ; on ne laisse pas tomber les camarades.

Le 14 septembre, jour du verdict, nous étions 500 dans la rue parisienne – le Comité Clément, l’AFA, AL, Solidaires et le NPA, pour l’essentiel – pour le clamer au haut et fort, en mémoire de Clément et des autres victimes des néonazis.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

Alternative Libertaire n°287, octobre 2018

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