Une tribune pour les luttes

Syndicalisme international : Penser et agir concrètement par-delà les frontières

Article mis en ligne le mercredi 17 octobre 2018

Le mois dernier, nous avons fait un état des lieux du syndicalisme international. Il n’a d’intérêt que s’il est couplé à une activité militante. Alors que faire, en matière internationale, dans nos organisations syndicales ?

L’internationalisme est une des valeurs traditionnellement mises en avant dans les congrès du mouvement ouvrier, et notamment des organisations syndicales. Mais qu’en est-il réellement ?

Au siècle passé, on connaît le catastrophique exemple de la guerre en 1914 avec le ralliement massif – mais non unanime, fort heureusement – à l’Union sacrée [1]. Les luttes anticoloniales trouvèrent aussi un mouvement syndical aux attitudes diverses ; la majorité n’apporta pas un soutien franc et massif aux peuples en lutte. On le voit encore aujourd’hui, vis-à-vis de la situation en Kanaky, en Guadeloupe ou en Corse, par exemple.

Si le capitalisme s’est largement mondialisé depuis des décennies, les résistances et offensives syndicales n’ont pas suivi le même chemin : trop peu de grèves et manifestations internationales, car de trop faibles coordinations à cette échelle ; et cela, tant au plan professionnel qu’interprofessionnel. Pourtant, bien des choses peuvent être faites.

Pour cela, l’international ne doit pas concerner que les collectifs militants les plus éloignés du terrain, (fédérations, union, confédérations). Chacun et chacune, au sein de sa section syndicale, a la possibilité d’y ­contribuer et d’insuffler une dynamique qui pourra ensuite s’élargir à toute l’organisation.

Tracts communs et tournées à l’étranger

Des contacts peuvent être pris avec des syndicats étrangers du même secteur professionnel, à travers les réseaux internationaux évoqués le mois dernier.

Il est à la portée de tous et toutes de réaliser des tracts communs à des syndicats de plusieurs pays, parlant des problèmes concrets des salarié.es en les resituant dans la logique patronale internationale. Même chose pour des affiches ou pour des tournées à l’étranger, comme celle organisée par les syndicats états-uniens en 2002 avec les grévistes victorieux de McDo France, afin d’apprendre de leur lutte. Contacts et mises en œuvre sont plus aisés lorsqu’on travaille dans une entreprise multinationale et/ou de réseau, ou un service public, car les correspondants et correspondantes sont facilement identifiables.

Autour de syndicats se situant clairement sur le terrain de la lutte des classes, il existe des coordinations de ce genre, aux contours divers, dans le rail, l’éducation, les centres d’appel, l’automobile, la santé, la logistique… Cela peut déboucher sur des « eurogrèves », telles celles organisées dans les chemins de fer européens, en octobre 1992, par la Fédération européenne des transports (liée à la Confédération européenne des syndicats), ou en mars 2003 via ce qui deviendra ensuite le Réseau rail sans frontières [2]. Mais on peut également citer la tentative d’eurogrève chez Renault contre la fermeture du site de Vilvorde, en 1997, ou, plus récemment, l’eurogrève des salarié.es de Ryanair. Marins et dockers ont également une longue habitude de solidarité sans frontières, ponctuée par quelques grèves actives où l’action directe prend toute sa place.

Se connaître en amont pour agir au bon moment

Un peu comme l’interprofessionnel, la dimension internationale n’est souvent redécouverte qu’au moment d’un conflit : « Contre la fermeture de notre usine ou les suppressions d’emplois, prenons contact avec les collègues d’autres pays ». Mais, comme pour l’interprofessionnel, c’est souvent trop tard. Les liens doivent être tissés avant, le travail commun permet d’anticiper, de créer la confiance.

Lorsque des sections syndicales, syndicats ou unions locales se jumellent avec des structures similaires d’autres pays, il s’agit de ne pas en rester au symbole, mais d’échanger les publications, d’organiser des échanges militants, de soutenir réciproquement les luttes. Sur ce dernier point, de nombreux témoignages de camarades en attestent : dans beaucoup de pays, les messages de protestation auprès des institutions et du patronat pèsent dans la résolution de certaines grèves et contre la répression. C’est loin d’être négligeable !

Au-delà des réactions ponctuelles, plusieurs organisations syndicales françaises mènent des campagnes unitaires dans la durée : soutien aux syndicalistes d’Iran (CGT, CFDT, Unsa, Solidaires, FSU) ; libération de Koltckenko et Sentsov en Russie (Solidaires, CNT-SO, CNT) ; Boycott Désinvestissement Sanctions à l’égard de l’État israélien (Solidaires, CNT, quelques structures CGT) ; etc. Il y a eu des choses du même type lors de la Coupe du monde de football au Brésil, d’autres démarrent (collectif Nicaragua).

Du soutien aux syndicats indépendants persécutés dans les pays du bloc soviétique ou dans les dictatures sud-américaines à l’aide apportée aux syndicalistes du Maghreb en butte à la répression de leurs États, le courant syndical dans lequel nous nous retrouvons a une longue tradition derrière lui. A nous de la perpétuer et de la renouveler. C’est ce qui se fait à travers l’assemblée européenne des livreurs à vélo (qui se réunit fin octobre à Bruxelles), la coor­dination des travail­leurs et travailleuses d’Amazon (une rencontre avec des délégations ­d’Allemagne, Pologne, France, Espagne, États-Unis… s’est tenue fin septembre). On peut ainsi donner du retentissement à certaines luttes pour lesquels des collectifs agissent avec abnégation, persistance et… trop peu d’écho.

L’action syndicale internationale permet d’agir sur des sujets aussi importants que les droits des femmes, qui ne sauraient se traiter dans le seul cadre national ; de même pour le respect des migrants et migrantes. C’est aussi la possibilité d’échanger et d’apprendre en matière de contrôle ouvrier, d’autogestion… L’information joue un rôle important pour la formation syndicale internationale. La CGT publie un bulletin ; Solidaires de même avec aussi une revue dont chaque numéro est consacré à pays (les dernières sur la Tunisie, le Mexique, l’Algérie, le Brésil, le Kurdistan ; la prochaine sur la Chine) ; la CNT-SO dispose aussi d’un bulletin international plus irrégulier ; la CNT, d’un site dédié. On peut reprendre des extraits de ces publications dans les bulletins de sections ou de syndicats.

Christian (AL Banlieue sud-est)

[1] Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014.

[2] Le réseau Rail sans frontières associe des syndicats britannique (RMT), français (SUD-Rail, Solidaires-RATP, Solidaires-Transports), espagnol (CGT, Intersyndical), marocain, sénégalais, malien, tunisien, états-unien, canadien, brésilien et suisse...

Alternative Libertaire n°287, octobre 2018

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