Une tribune pour les luttes

Stagiaires : In the backstage

Article mis en ligne le mardi 6 décembre 2005

Sortis de leur(s) silence(s), les stagiaires essayent tant bien que mal de faire entendre leur voix.

Attention, dossier chaud !

Une grève générale est d’ailleurs avancée pour le 24 novembre 2005. Convention dépassée, rapport de force inégal, réalités opposées, le problème du stagiaire est avant tout lié à son statut. Le pire dans cela, c’est que les autorités publiques acquiescent cette fragilité par des dispositifs de compensation qui ne font qu’aggraver la situation.

Autant dire qu’il s’agit d’un sujet d’actualité puisqu’il concilie précarité de l’emploi, mépris des jeunes, faillite de l’université et abus des employeurs. Pour éclaircir l’analyse, je me suis efforcé de synthétiser les éléments nécessaires pour comprendre ce qu’est un « stagiaire à durée indéterminée ».

- Tout d’abord qu’est-ce qu’un stage et un stagiaire ?

Le stage est une forme d’apprentissage dont l’objectif est de renforcer la formation des étudiants et de leur donner des éléments concrets sur un travail donné. Le but initial d’un stage est d’être un tremplin pour l’emploi. Aujourd’hui c’est une forme de contrat que l’on utilise pour ne pas employer à plein tarif. Le stage est conclu entre 3 parties, le stagiaire, le maître de stage (entreprise-collectivités etc...) et un enseignant de la formation, par une CONVENTION de stage. Cette convention stipule que le stagiaire ne peut prétendre à aucune rémunération (au mieux une gratification de stage ne devant pas excéder 30% du SMIC brut soit 360€) et qu’il est tenu de respecter les règles de l’entreprise. De plus, à ce jour, les stages sont la seule forme d’emploi qui n’offre aucun jour de congés (ni indemnité compensatrice).
Pour faire simple, le stagiaire n’a pas le droit à rémunération, il ne fait pas parti de l’effectif de l’entreprise (je dirais que maintenant à moins de 26 ans, QUI en fait parti (sic) ?) et il doit se plier aux règlements locaux. Cela signifie aussi que le stagiaire est soumis à toutes les contraintes et ne peut bénéficier que de la clémence de son employeur. Comme dirait un étudiant de l’ENTPE (payé par l’ETAT) : « les éléments appris en stage sont déjà une rémunération ».
Autant dire que je ne partage absolument pas ce point de vue.

- Le cadre du stage

Sous couvert de stage, tout peut se cacher. Du stage « photocopieuse et archivage » au stage dynamique et très valorisant, les réalités sont très diverses et souvent opposées. Dans les grandes entreprises du CAC 40, forcément très sensible de leur notoriété, le stagiaire est déjà bien rémunéré (L’Oréal par exemple rémunère à hauteur de 1300€ les stagiaires). Mais derrière quelques eldorados et 0,1% des stages se cache une tout autre réalité. Cette réalité, c’est celle qui démontre que le stage est devenu un très bon outil de précarisation et de dégoût durable des jeunes pour le milieu de l’emploi en France. D’une part, le stage permet de ne pas embaucher, ou plus exactement, d’embaucher qualifié à prix imbattable. Exemple : Un stagiaire de DESS-Master, obligé d’effectuer un stage (et c’est à la base une très bonne chose), coûte au pire des cas 360€/mois à l’employeur et 0€ de charges patronales. Au mieux, c’est 0€ tout court pour un futur diplômé ! Autant dire, privé comme public, que les offres de stages ne manquent pas !

D’autre part le stage permet de combler les trous et de ne pas employer des personnes en CDD ou en Intérim. De plus, le stage est la meilleure arme pour virer une personne quand la tâche est terminée puisque la convention l’autorise sous des contraintes minimes (envoyer un courrier en recommandé). La rupture du contrat est immédiate à ce moment. De plus, coincé par l’obligation de rapporter une « note » dans l’établissement de formation, l’étudiant n’a le droit qu’à une chose : Se taire et encaisser joyeusement.

Il va de soit que dans ce type de contexte, l’objet du stage, à savoir l’acquisition de compétences, soit fréquemment « détourné ».

- La rémunération du stage

Voici l’élément clé de voûte du problème : la rémunération. Le stagiaire ne coûte rien, il n’a le droit à rien et n’a pas de contre pouvoir. Il ne fait même pas parti des effectifs ce qui signifie que même les syndicats ne peuvent pas l’aider via les délégués du personnel. Il advient également que l’inspection du travail ne peut rien faire, d’autant plus qu’elle focalise actuellement ses actions (avec des effectifs dérisoires) sur le travail illégal. En somme, elle n’a pas que ça à faire que de suivre quelque chose qui DEVRAIT être régulé par la loi.
Mais le plus fort reste à venir :

Un étudiant à Bac+0 en alternance, pour la même quantité de temps en entreprise (à savoir 50% contre 3 à 6 mois de stage plein temps / an ) gagne déjà plus de 50% du SMIC. Avec les années, son pourcentage augmente, ce qui est très logique et marche très bien. De plus les entreprises ne rechignent pas sur cette main d’œuvre ce qui montre un dispositif viable fondé sur un CONTRAT d’apprentissage.

Un RMIste, à savoir une personne n’ayant aucune activité (au delà de 25 ans), touche de base 390€/mois soit déjà plus que les stagiaires les mieux placés ! Imaginez la sensation que l’on a quand on a Bac+4 ou Bac+5, que l’on fait un stage dans une autre ville et que l’on a au mieux 30% du SMIC sur 6 mois et parfois 1 an ! Mais ne nous plaignons pas, en dessous de 24 ans, le RMI nous n’y avons pas droit...

Un stagiaire au Canada, en Angleterre, en Suisse, gagne souvent plus de 1000€/mois. Après l’on s’étonne de la fuite des cerveaux vers l’étranger...

Y-a t’il comme qui dirait un soucis de valorisation des stagiaires et des étudiants en France ? La réponse me semble très claire : aujourd’hui les jeunes sont considérés comme des moins que rien, particulièrement s’ils sont diplômés et surtout s’ils peuvent prendre des postes à responsabilité.

Mais ce n’est pas fini.

- La durée du stage

Un stage est adapté à tous les cas (ce qui est une erreur). Il n’est pas limité, ni en nombre ni en durée. Ainsi j’ai pu réaliser à titre personnel 7 stages, tous très différents (d’où ma connaissance de la question !). Stagiaire à vie alors ? Je ne sais pas, mais en tous les cas, il existe vraiment de tout, surtout dans les grandes entreprises. Plus le titre est pompeux, plus vous êtes sûr de vous faire entuber. Les bureaux d’études sont des champions en la matière avec des durées de stage d’un an, et parfois de 18 mois ! Autant vous dire qu’entre le stagiaire de collège d’une semaine et celui de Bac+5 de 18 mois, il y a un canyon. De plus le stage est devenu tout est business. En effet, il s’agit d’une convention Tripartite. Cela signifie que sans école, pas de stage. Il n’est pas rare de voir des « jeunes » de plus de 30 ans se réinscrire en 1ère année de n’importe quoi pour pouvoir réaliser un ultime stage qu’ils espèrent salvateur. La perversité touche son paroxysme quand le dit « stagiaire » touche une bourse d’études (3000€/an) et qu’il ne paye pas les droits d’inscription. Cela signifie que pour produire 0€ de cotisations, pour être un diplômé précaire, pour tenter le tout pour le tout, le dit « étudiant » coûte à la base déjà 3500€ à l’Etat (bourses + inscriptions etc...). Un gouffre, un de plus dirais-je.

Et ce n’est toujours pas fini.

- Les compléments de rémunération de stage

Conscient que les stages sont des statuts précaires, les régions, les départements et que sais-je encore, ont mis au point des formules de compensation. C’est vrai, au lieu de traiter le problème sur le fond, pourquoi pas essayer de coller une rustine sur une surface qui n’adhère pas ? Ainsi des collectivités comme la Région Rhône-Alpes proposent, pour les PME-PMI, des « enveloppes » pour les stagiaires à hauteur de 30% du SMIC soit 360€ environ. Initiative louable si c’était au domaine public de gérer ce type de dispositif. Voilà que le contribuable paye pour un stagiaire alors que l’entreprise qui « l’emploi » ne verse rien. Prenons un exemple concret : Un bureau d’avocat est une PME-PMI. Et oui, avec moins de 10 salariés, certains bureaux d’avocats n’hésitent pas un instant pour proposer ce type de chose : « On vous propose un stage, il ne sera pas rémunéré, cependant la Région peut couvrir votre rémunération à hauteur de 360€, nous avons le dossier sous la main. » Et voilà tout le drame d’un détournement d’une aide qui, à la base, n’a pas lieu d’être.

Toute peine mérite salaire me disait mon grand-père...

Imaginons que 10 000 étudiants bénéficient de cette aide sur 3 mois en France, voilà la meilleure manière de dilapider 10M€ qui pourraient être affectés à l’achat de licences informatiques par exemple...

Fini ? Non toujours pas ! Quand on aime, on ne compte... pas.

- Qui offre des stages ?

Sous couvert d’engager le recrutement, la convention de stage est un dispositif du système social à la Française qui produit exactement l’inverse de ce que l’on en attend. Il faut comprendre par là que là où il devrait avoir une régulation logique des offres de stage, une sélection par la qualité, on engage les employeurs de tout ordre à s’engouffrer dans la brèche et à proposer des stages qui n’en sont pas. Une mission dérangeante ? Un accroissement temporaire de travail ? Pas de problème, les stagiaires sont là ! Bien sûr il existe des employeurs qui s’investissent dans les stages des étudiants.
Bien sûr il y a certains stages productifs. Bien sûr il y a des résultats et des acquisitions de savoirs. Mais dans quelle proportion ? 10% ? 25% ?
Globalement les stages sont aujourd’hui détournés au bénéfice des employeurs tout en portant à mal non seulement la valorisation des jeunes et des diplômes, mais aussi en nuisant directement au marché de l’emploi.

Prenons un exemple : J’ai réalisé un stage à la SNCF de 6 mois à la base, et de 4 mois au final. En effet, non seulement la durée de la tâche était mal estimée, mais en plus le stage était d’ores et déjà sans lendemain. Mais cela, je ne le savais pas au départ. N’est t’il pas possible de proposer des stages que lorsqu’il y a de réelles possibilités d’embauche à court ou moyen terme ? N’est-il pas possible de limiter la durée des stages dont on sait qu’ils sont proposé uniquement pour former et non pour embaucher ?

Un contrat en alternance a le mérite de proposer une formation complétée par un salaire, ce qui permet aux apprentis de vivre et de pouvoir se projeter à moyen terme. Un stage a le démérite de ne pas forcément proposer une formation viable, mais en plus de ne pas doter le stagiaire d’une rémunération. Par conséquent, dans 90% il est soit stérile, soit un sacerdoce, soit très mitigé.
Pourquoi conserver un statut aussi précaire alors ?
Je poursuis.

- Qui peut changer les choses ?

A titre personnel j’ai écrit un dossier à l’un des députés connu de ce pays (à la tête d’un mouvement centriste pour ne pas le citer). Ayant eu la décence de me répondre (le seul du reste), il semblait découvrir ce problème. Je pensais qu’en proposant un texte de loi (début 2005) il aurait été possible d’enfin modifier ce statut indécent qui décourage, démotive, crée de l’inégalité et du chômage.
Je n’ai encore rien vu à ce jour aboutir (comme d’ailleurs pour l’emploi ceci dit en passant).

Et pourtant le problème est réel, et à ce titre, les universités et leurs présidents ont un rôle crucial à jouer, puisqu’ils sont l’un des signataires de la convention. Il suffirait d’un courant fort pour faire remonter le dossier et pour transformer cette convention dépassée en un contrat ou même une autre forme de texte qui stipule clairement les DROITS de l’étudiant pour la rémunération ET la formation, tout comme les apprentis. Alors, et seulement alors, il sera possible de proposer des allègements de cotisations patronales modérées afin d’inciter à la formation des jeunes.

- Les pistes de réflexions en 2 mots

C’est en renforçant d’une part le STATUT du stage et d’autre part son ENCADREMENT (droits et devoirs des 3 parties) qu’il sera possible de redonner goût et dignité aux jeunes diplômés. De plus l’idée d’allouer des jours de congés dans le cadre des stages me semble nécessaire : cela signifie donner aux stages un statut juridique clairement et limpidement explicité dans le code du travail.

Au niveau de la rémunération, celle-ci doit passer par des fourchettes de rémunération adaptées (de 30% minimum à 70% net du SMIC brut ) afin ne pas dissuader d’une part les organismes d’accueil qui mobilisent aussi des moyens techniques et humains et d’autre part ne pas nuire au marché de l’emploi par un « stage à durée indéterminée ».

En ce qui concerne les effectifs, une proportion de 10% de stagiaires maximum (ou 1 à moins de 10 salariés) est envisageable pour les entreprises de 10 à 50 personnes. Au delà le taux doit être dégressif et évoluer aux alentours de 5% des effectifs afin de ne pas être « stagiairovore » et assurer une qualité de suivi et de formation de la part de l’employeur.

Conclusion

Pour conclure, c’est en favorisant les jeunes diplômés Français, particulièrement ceux issus des cycles supérieurs des écoles Républicaines que sont les Universités que se créeront de nouveaux dynamismes durables.
Cette dynamique globale sera valable pour tous les segments économiques du pays car, ne l’oublions pas, ces stagiaires diplômés seront les classes moyennes de demain, les cadres d’après demain et pour les meilleurs d’entre eux, les décideurs de l’avenir. C’est aussi et surtout en valorisant le travail, aussi bien des jeunes que celui de toutes les classes « moyennes » du monde du travail, que l’on élève la qualité de vie d’une société et le dynamisme d’un pays. Les jeunes ont des potentiels qui n’attendent qu’une chose : qu’on leur fasse confiance.

Changer le statut des stagiaires, serait un signal fort de confiance à durée indéterminée.

PHILIS CYRIL Octobre 2005

P.-S.

Le numéro de décembre de Regards comporte un dossier sur les stagiaires, avec en prime de super photos... ;-)

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