Une tribune pour les luttes

L’oeuvre positive de l’Algérie envers la France...

Français, si vous saviez !

Par Chems Eddine Chitour

Article mis en ligne le dimanche 11 décembre 2005

Cet article du Quotidien d’Oran du Jeudi 08 décembre 2005 nous a semblé mériter notre attention...


Le mardi 29 novembre 2005, le Parlement français, suite à une requête de la gauche, réexaminait l’article 4 recommandant aux historiens d’insister sur l’oeuvre positive de la France notamment en Afrique du Nord.

On sait qu’en France cet article avait suscité des réactions vives à la fois sur le fond et sur la forme.

Rares parmi les intellectuels et les historiens sont ceux qui ont dénoncé en quoi consistait l’oeuvre positive. Plusieurs historiens ont surtout dénoncé l’ingérence
du politique dans l’écriture de l’histoire. Ces mêmes bonnes âmes n’ont
aucunement protesté du sort qui était fait à la place de la guerre d’Algérie dans
les programmes de terminale.C’est à peine si le lycéen sait qu’il y a eu la guerre avec ses atrocités, qu’il y a eu la torture.

Changement de décor quand, dans les livres d’histoire, on parle de la Shoah (la catastrophe) : le sujet est tellement tabou qu’il est présenté comme une faute originelle
inexpiable spécifique et en tout cas qui fait l’objet d’un culte révérencieux. On
sait d’ailleurs comment Dieudonné a été descendu en flamme par les gardiens
du Temple quand il a osé dire que la Shoah est une catastrophe parmi tant d’autres de l’humanité, au même titre que la traite des Noirs qui a fait que plus de trente millions d’Africains ont été déportés.

Ceci étant dit, on apprend qu’un sondage - il faut toujours se méfier des sondages,
on peut leur faire dire ce que l’on veut - nous apprend que, globalement, à plus de 60%, les Français sont d’accord avec l’oeuvre positive de la colonisation.

En fait, nous n’avons pas le droit de juger les Français sur leur position sur la colonisation. Ils ont jugé en leur âme et conscience que la colonisation avait du bon. Mais de notre point de vue, il y a beaucoup de moins bon.

S’agissant de l’écriture de l’histoire qui fait objet de controverse, le fameux article qui enjoint aux historiens de mettre « en musique » les aspects positifs de la colonisation en Afrique du Nord. Nous sommes en tant qu’Algériens profondément meurtris par l’arrogance et le déni objectif de la réalité. Cependant, ne donnons pas de leçons aux
autres, donnons-les à nous-mêmes : cela fait plus de 43 ans que l’histoire est chez nous taboue. On nous apprend une histoire édulcorée où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Des pans entiers de notre histoire sont interdits dans les manuels d’histoire algériens. Il faut dire qu’en définitive, la chape de plomb de l’histoire coloniale, une histoire mythique qui faisait de nous des descendants des Gaulois, a été
perpétuée à l’indépendance au nom d’une « acabya mythique » nous accrochant en vain à une sphère civilisationnelle qui n’est pas celle de notre génie propre.

Pour l’écriture sereine de notre histoire, pourquoi on ne parle pas des 20 siècles
d’histoire préislamique, de l’épopée de ces « Algériens » qui viennent de la nuit des temps ? On dit que le roi berbère Schichnak se serait battu et aurait vaincu un pharaon il y a 2.750 ans, date du commencement du calendrier berbère. Quel écolier peut
parler de cela ? Quel écolier peut parler des Aguellids Vermina, Siphax, Massinissa,
Jugurtha, Juba II, Ptolémée ? Quel écolier peut parler de Yaghmorassen, de Khair Eddine, de Ahmed Bey, de Lalla Fatma N’soumer et de tous les héros qui ont fait l’Algérie ?

L’histoire n’est pas une grande surface où on ne prend que ce qui nous intéresse.
C’est plus une vente de gros, où on prend à la fois le meilleur et le pire.
Les évènements qui nous dévalorisent et ceux qui nous mettent en lumière.
Il est triste, cependant, que le peuple de France, si c’est vraiment lui qui a été
consulté, dise qu’il est convaincu que la France a apporté le bonheur à ces colonies
en déshérence. Le meilleur exemple a contrario est constitué par l’immigration
sauvage, fruit d’une déstructuration sociale et économique induite par la
colonisation qui a opté pour une économie extravertie dépendante de la « métropole ».

C’est aussi le fruit d’un système éducatif qui, en cent trente ans, a produit un millier de diplômés dont les deux tiers étaient constitués de médecins et d’avocats.

Il est dommage que ce vote soit intervenu sous fond de violence des banlieues
et, malheureusement, la presse et les médias dans leur ensemble n’ont pas restitué en honnêtes courtiers ce qui s’est réellement passé. Il est naturel, le croyons-nous, que le peuple soit informé des vrais enjeux géostratégiques qui sous-tendent les rapports avec le monde arabe et notamment avec l’Algérie.

Personne ne doit se sentir autorisé à parler au nom des Français si ce n’est les
Français eux-mêmes. De ce fait, et en prenant le risque de proposer une échelle
de francité, je ne vois pas quels buts poursuivent les fraîchement naturalisés depuis au plus deux générations, les Polonais tels qu’Alain Finkielkraut qui applaudit au nom des députés de l’UMP, ou encore les députés de l’UMP qui font, contre toute attente,
de l’enterrement du patrimoine culturel affectif historique algéro-français le tremplin pour l’accession en ratissant large de l’extrême gauche à l’extrême droite et, à tout prix, à la magistrature suprême.

Nous ne savons toujours pas si cette intifada des banlieues est due à la malvie,
au chômage, à l’humiliation ou au racisme, ou, comme le martèle le ministre
de l’Intérieur, à un coup de pied dans la fourmilière de la racaille, formée de
tous les dealers des banlieues, ou encore Alain Finkielkraut, en véritable croisé
des temps modernes par procuration qui, dans une interview au journal israélien
le Haaretz, met en garde la France profonde blanche et occidentale - et implicitement judéo-chrétienne - contre ce raz de marée ethnico-religieux des noirs et des musulmans.

Son mea culpa tardif ne repose pas le fond, qu’il assume. Une statistique sur
les fauteurs condamnés montre qu’ils sont inconnus des services de police à
plus de 70%. C’était donc bien un ras-le-bol de Français à part entière.

Si on devait objectivement parler de l’oeuvre de la France, nous devrions rapporter quelques faits de cette « oeuvre ».
Après l’invasion, l’armée n’a pas tenu parole, le peuple fut humilié, déstructuré,
dépossédé de sa terre (60% des bonnes terres étaient détenues par 10.000 colons
qui pratiquaient dans la patrie des droits de l’Homme - parce que nous étions français - un apartheid avant celui des colons de l’Afrique du Sud.
De plus, sa langue devient langue étrangère et l’administration coloniale mit la
main sur les fondations pieuses (Habous) qui entretenaient les mosquées et les zaouïas - sorte de monastères - qui étaient des centres de rayonnement pour l’éducation et la culture, à l’instar de ce que sont actuellement les établissements religieux en France
qui ont en charge l’éducation de 20% de jeunes Français.
Au total, en 1863, sur les 173 mosquées d’Alger, il restait à peine une douzaine ; toutes les autres furent démolies ou aliénées, certaines furent converties en écuries...

Ces quelques phrases, extraites du rapport parlementaire de la commission dirigée par Alexis de Tocqueville en 1847, témoignent de la violence du choc civilisationnel :
« Autour de nous, les lumières de la connaissance se sont éteintes... C’est dire que nous avons rendu ce peuple beaucoup plus misérable et beaucoup plus barbare qu’avant de nous connaître ».

Voilà un échantillon de l’oeuvre positive de la France.

Il n’est pas moral, cependant, de tout nier en bloc. Il est vrai que la colonisation, pour le besoin de son expansion, a construit un réseau de routes d’une centaine de milliers de kilomètres, un réseau de chemin de fer, qu’elle a construit des logements en priorité pour les colons et les alliés objectifs du pouvoir.

Par-dessus tout, elle a laissé une façon de travailler pour le meilleur et pour le pire :
nous connaissons tous l’héritage dogmatique de notre fonction publique.

Pour les rares intellectuels formés, la tâche était insurmontable à l’indépendance. Qu’on en juge : tout le corps enseignant est parti, laissant les rares écoles « ex-indigènes » sans encadrement. A bien des égards, la tourmente actuelle de notre système éducatif est due en partie au manque d’enseignants en 1962. Nous avons alors paré au plus pressé en recrutant à tour de bras auprès des pays qui voulaient bien nous aider.

Français, si vous saviez ce qui s’est fait en votre nom !
L’oeuvre positive de l’Algérie envers la France mérite d’être décrite brièvement.

La France a longtemps été, dans son histoire, accompagnée par les Algériens, sur tous les champs de bataille européens, mexicains, russes...
Pour l’histoire, les fameux zouaouas, dès 1837, constituaient le corps des zouaves
et la statue du pont de l’Alma est là pour témoigner de leur bravoure.
Pour l’histoire,
c’est un digne fils de cette Algérie plusieurs fois millénaire, l’Emir Abdelkader, adversaire de la France pendant 15 ans, qui sauva d’une mort certaine près de 10.000 chrétiens en les accueillant chez lui, en les soignant, en les nourrissant jusqu’à la fin des émeutes.
Souvenons-nous aussi de ces Algériens envoyés en 1865 au Levant défendre les Maronites-Chrétiens contre les Musulmans. Un cimetière français au Liban, comportant des machhad avec des noms Aït... témoigne encore de leur passage et de leur héroïsme dans les montagnes druzes.
L’histoire retiendra qu’une colline réputée imprenable fut prise par des Algériens lors de la guerre de 1871 à la frontière franco-allemande. Le chassepot (sorte de mitrailleuse) ayant fait des ravages sur les 800 soldats algériens partis à l’assaut, moins
d’une centaine d’entre eux parvinrent à le prendre.
Enfin, nul n’ignore la bravoure des Algériens au Chemin des Dames à Verdun.
C’est d’ailleurs en reconnaissance pour leur bravoure que la Mosquée de Paris fut érigée en 1926.
Des dizaines de milliers de morts furent aussi à dénombrer lors de la Seconde
Guerre mondiale. Comme en 1871, les régiments de tirailleurs algériens et marocains
eurent la « priorité » pour monter à l’assaut de Monte Cassino. C’est là que l’ancien président de la République algérienne fut décoré pour acte de bravoure.

L’oeuvre positive de l’Algérie envers la France ne s’arrête pas là. Avec le Plan
Marshall, ce fut à partir de 1946, la reconstruction de l’Europe, et partant de la
France, qui avait un cruel besoin de main-d’oeuvre. Un véritable exode de la
main-d’oeuvre fut organisé vers la France. Ces travailleurs qui ont quitté leur pays pour des raisons diverses se structurent progressivement durant les années trente à cinquante.
En 1954, on évalue le nombre de travailleurs entre 250.000 et 300.000.
Là encore, les Algériens n’ont pas failli. Les autoroutes et les fameuses tours situées
en périphérie furent construites avec la sueur de ces Algériens.

POURQUOI UN TRAITÉ AVEC LA FRANCE ?

Français, si vous saviez !

En dépit des bombardements épisodiques à partir du XIXe siècle, les relations entre la
France et l’Algérie ont toujours connu depuis 700 ans des périodes de réchauffement
et d’hostilité. L’histoire remonte, pour la période « récente », au traité entre François 1er et Kheir Eddine, fondateur de la nation algérienne en 1537, pour contrer les visées de Charles Quint qui devait, par la suite, laisser une grande partie de « l’invincible Armada » à Oued El-Harrach lors de l’attaque d’Alger en octobre 1541.
Par la suite, ce fut le fameux traité en 1675 entre le roi Louis XIV et la Régence d’Alger, qui devait durer cent ans.

L’Algérien, qui, malgré un véritable parcours du combattant, a pu malgré tout s’instruire, est un « voleur de feux », pour reprendre l’élégante formule de Jean El Mouhoub Amrouche.
Cet Algérien a lutté avec les armes de l’adversaire, avec ce fameux « butin de guerre » dont parle si bien Kateb Yacine, un autre géant de la littérature française.

De fait, le peuple de France doit savoir qu’audelà du formalisme de la francophonie qui a des relents de « FranceAfrique » et de paternalisme, l’Algérie fait sans contrepartie, au même titre que la France, beaucoup pour cette langue universelle, parlée aussi par les Français. Il est indéniable que nous avons enrichi le patrimoine scientifique, culturel et archéologique de la France.

C’est son devoir, c’est sa contribution au patrimoine universel. On l’aura compris,
l’Algérie a pendant quarante ans fait plus pour la langue française que plusieurs
pays de la francophonie réunis pendant la même période.

L’Algérie, qui se propose de signer avec la France un Traité d’amitié, connaît la douleur, l’humiliation pour les avoir vécues. Elle décide souverainement que c’est son intérêt et celui de la France de tourner, enfin, la page, sans la déchirer.

Le gain pour la France ne peut être estimé que graduellement, bien audelà des aspects commerciaux (nous consommons français pour plus de 40%).
A bien des égards, une politique apaisée avec l’Algérie contribuerait certainement
à une intégration harmonieuse de ces beurs français et algériens. Le président Chirac le dit bien quand il affirme qu’un Algérien sur six a une attache avec la France. Il y a lieu
de penser ensemble à une nouvelle politique de l’émigration des diplômés algériens.
Cette aspiration sans contrepartie de la matière grise doit être canalisée.

Le peuple de France doit connaître ses intérêts par delà les sirènes qui prônent la rupture avec l’Algérie.
L’Algérie, c’est une culture, c’est une profondeur stratégique, c’est une histoire.
Le passage de la France en Algérie n’est qu’un épisode dans l’histoire plus de trois fois millénaire. Massinissa battait monnaie il y a 21 siècles de cela, pendant que l’Europe émergeait des ténèbres vers les temps historiques.
C’est un atout pour la survie de la France. Malgré tous les griefs de part et d’autre, il nous semble que la France et l’Algérie sont condamnés à s’entendre.

L’écriture de l’histoire pourra, si un traité est signé entre les deux Etats, s’écrire à deux mains. La superstructure de ce traité devrait, selon nous, être suffisamment flexible pour « accepter » les ajouts graduels.

L’une des grandes actions structurantes de ce Traité serait d’ériger une Grande
Bibliothèque pour effacer l’incendie de celle de 1962.
De plus, la mise en place d’une véritable université algéro-française et non un
ersatz, avec notamment un Institut de la mémoire commune.

Ce dernier serait, selon nous, le meilleur vecteur de réconciliation entre les deux peuples par-delà les aspects commerciaux, qu’il faut naturellement avoir à l’esprit dans l’intérêt réciproque pour les deux peuples.

Ces quelques phrases, extraites du rapport parlementaire de la commission dirigée par Alexis de Tocqueville en 1847 : « Autour de nous, les lumières de la connaissance se sont éteintes... C’est dire que nous avons rendu ce peuple beaucoup plus misérable
et beaucoup plus barbare qu’avant de nous connaître ». Voilà un échantillon de
l’oeuvre positive de la France.

Chems Eddine Chitour
Professeur à l’école polytechnique

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