Une tribune pour les luttes

Nouvelle récession : Le capital exige davantage de sacrifices pour le prolétariat !

Article du Courant Communiste International

Article mis en ligne le lundi 7 octobre 2019

En dépit de moyens sophistiqués pour masquer la progression du chômage, les mauvaises nouvelles sur ce plan tombent brutalement un peu partout, même si paradoxalement, comme en France, on annonce une baisse des demandeurs d’emploi. Il devient cependant de plus en plus difficile de faire croire que tout cela n’est pas si grave.

Comme chaque année, la période estivale a une nouvelle fois été mise à profit par la classe dominante de tous les pays pour porter de sérieuses attaques contre les conditions d’exploitation et les conditions de vie des salariés.

Mais cette fois, c’est pire. Que ce soit en catimini ou au grand jour, accompagnées ou non d’une propagande anesthésiante, on ne compte plus le nombre de mesures et de réformes qui ont été partout programmées ou mises en œuvre par la bourgeoisie pour faire face à l’accélération de la crise économique.

Les attaques brutales se renforcent

Dans les pays émergents, la situation des prolétaires se dégrade très fortement. En Argentine, la crise du peso et l’inflation galopante sont en train de plonger le pays dans un scénario qui rappelle de manière encore plus dramatique la chute vertigineuse de 2001 avec son lot de misère accrue pour les prolétaires. 1 Au Brésil, les effets de la réforme du travail avec les pertes de salaires se font lourdement sentir tandis que le système des retraites est attaqué. En Turquie, un plan d’austérité est lancé. En avril on notait déjà une hausse des prix des produits alimentaires de 32 %  !

En Europe, au cœur du capitalisme, la crise économique commence à frapper durement. En Allemagne, les plans de licenciement se multiplient. La Deutsche Bank a annoncé en juillet la suppression de 18 000 emplois, le plus grand “plan de restructuration” de son histoire (soit 20 % des effectifs). Autre signe inquiétant pour l’emploi, “les commandes de machines-outils, le fer de lance de l’économie, ont ainsi reculé de 22 % sur un an entre avril et juin”. 2 Mais les suppressions d’emploi s’étendent déjà à pratiquement tous les secteurs : la grande distribution (par exemple, la fusion de Karstadt et Kaufhof va entraîner la suppression de 2 600 postes de travail  ; cela va toucher entre 4 000 et 5 000 personnes car de nombreux salariés sont à temps partiel), 5 600 chez T-Systems, filiale informatique de Deutsche Telekom, les assurances (700 emplois en moins chez Allianz), dans les conglomérats industriels : Thyssenkrupp (6 000 dans le monde dont 4 000 en Allemagne), Siemens (2700 dans le monde, 1400 en Allemagne), Bayer (12000 d’ici 2021), etc. Dans le secteur automobile, alors que le travail à temps partiel dans le secteur avait disparu depuis cinq ans, il revient en force et touche aujourd’hui 150 000 personnes. 3

Au Royaume-Uni, dans le contexte chaotique du Brexit, la situation s’aggrave également. Ainsi, le géant bancaire britannique HSBC prévoit un plan de restructuration avec la perte de 4 000 postes, sachant qu’il avait déjà annoncé 30 000 départs en 2011  ! Aux États-Unis, la guerre commerciale et la hausse des droits de douanes impactent déjà les entreprises de produits manufacturés : “Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les raisons avancées par les employeurs pour justifier les suppressions d’emplois. Dans le dernier rapport de juillet, les droits de douane étaient l’une des principales raisons. En effet, 1 053 réductions ont été annoncées en un mois en raison des tarifs, pour un total de 1 430 cette année et contre 798 en 2018”. 4

En Inde, une source qui émane de l’industrie a déclaré à l’agence Reuters que les premières estimations suggèrent que les constructeurs automobiles, les fabricants de pièces détachées et les concessionnaires ont licencié environ 350 000 travailleurs depuis avril  !

On pourrait encore multiplier les exemples. Pourtant, malgré toutes les annonces de suppressions d’emploi, les chiffres du chômage restent étrangement relativement stables un peu partout. L’explication est simple : tout procède d’un maquillage statistique sophistiqué et de nouveaux modes d’évaluation. Outre les chômeurs de plus en plus nombreux qui ne sont plus comptabilisés, le phénomène a été totalement dilué ces dernières années par une explosion de la précarité et la dégradation de la qualité des emplois. Dans tous les pays, les indemnités du chômage sont réduites en même temps que des emplois à rémunérations et horaires faibles ont été autorisés pour généraliser les “petits boulots”. Ce sont ces “politiques actives” qui permettent artificiellement d’augmenter le taux d’emploi sur le dos des prolétaires et de leur famille.

Ainsi, au Royaume-Uni, l’hyperflexibilité du marché du travail et “l’ubérisation” des emplois ont ainsi boosté les contrats “zéro heure” qui n’offrent aucune garantie en termes de temps de travail. Les employeurs sont libres de puiser, comme bon leur semble, en fonction de leur activité qui se dégrade et des carnets de commande en baisse. En Allemagne, nous l’avons vu, les réformes Harz de 2003-2005, qui avaient permis le développement de “mini-jobs” à 450 euros par mois, sont aujourd’hui en expansion. Dans bien d’autres pays, comme la Suède, les CDD à temps partiel, mal rémunérés, se sont fortement développés. Aux Pays-Bas, des contrats “zéro heure” et les “mini-jobs” à l’allemande sont en forte progression aussi. Au Portugal, les recibos verde et en France le statut des auto-entrepreneurs vont dans le même sens, celui d’accroître la précarité. Partout, pour ceux qui ont encore un CDI, les licenciements sont largement facilités. Aujourd’hui, ces mesures prises dès les années 1990, surtout après la crise de 2008, portent leurs fruits et progressent de plus en plus vite du fait de la crise. Pour limiter la baisse du profit, le capital ne cesse d’accroître l’exploitation de la force de travail, ce qui conduit à une forte dégradation des conditions d’existence de la classe ouvrière : les inégalités s’accroissent et la pauvreté ne cesse ainsi d’augmenter. 5

Cette forte progression s’est accentuée durant l’été. Ceci est en partie visible à travers notamment des mouvements de grèves qui ont touché quelques secteurs comme au sein de l’entreprise Amazon en Europe et aux États-Unis au cours du mois de juillet ou dans différentes compagnies aériennes de plusieurs pays (en Espagne ou en Italie, par exemple). Cela, en opposition au fort “dumping contractuel et salarial”.

Les conditions de travail deviennent donc de moins en moins supportables : “On a tellement de gens privés d’emploi qu’on accepte des conditions de travail délétères dans une dimension sacrificielle”. 6 La peur de perdre son emploi génère diverses pathologies et la terreur au travail provoque des suicides ou des dégâts irréparables : “Nous avons des cadres ‘sup’ dont le cerveau est définitivement abîmé et qui ne pourront jamais retravailler. C’est une usure prématurée de l’organisme due à son utilisation intensive et beaucoup trop folle”. 7 Bien entendu, si de plus en plus de travailleurs laissent leur santé au travail, il est aussi de plus en plus difficile de se soigner quand c’est encore possible  ! Et ce ne sont pas les attaques sur le secteur hospitalier, notamment en France avec la réforme “Ma santé 2022” qui permettront d’inverser la tendance. 8

Contrairement aux années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale où la force de travail exsangue devait être remise sur pied pour la reconstruction en développant une “protection sociale”, la main-d’œuvre pléthorique d’aujourd’hui nécessitant un moindre coût pour la “compétitivité” n’exige plus ce “luxe” de maintenir une couverture sociale et de santé digne de ce nom.

D’autre part, la durée d’exploitation de la force de travail ne cesse d’être rallongée. Partout, les régimes de retraites sont violemment attaqués. L’âge de départ à la retraite est en recul partout et les pensions ne cessent de s’éroder. En Allemagne, l’âge de la retraite qui est de 65,5 ans va passer à 69 ans en 2027, au Danemark, l’âge de 65,5 ans va passer à 67 ans cette année et à 68 ans en 2030. Dans les pays nordiques, comme en Suède ou en Norvège, un système dit “flexible” va “encourager” les départs tardifs et c’est ce qui se profile aussi en France. Au Royaume-Uni, la loi encourage même à travailler jusqu’à 70 ans. Dans la pratique, les faibles pensions poussent de plus en plus les anciens à travailler. Aux États-Unis, des vieillards de plus de 80 ans se retrouvent ainsi encore en activité. Bien entendu, face à la nouvelle crise ouverte qui s’annonce, une chose est sûre, les prolétaires du monde entier vont voir leur situation se dégrader fortement et l’avenir ne pourra donc que s’assombrir.

L’entrée en récession

Tout ceci s’est d’autant plus accentué que la situation globale de l’économie mondiale s’est encore dégradée : “Au plan économique, la situation du capitalisme est, depuis début 2018, marquée par un net ralentissement de la croissance mondiale (passée de 4 % en 2017 à 3,3 % en 2019), que la bourgeoisie prévoit comme durable et devant s’aggraver en 2019-20. Ce ralentissement s’est avéré plus rapide que prévu en 2018, le FMI ayant dû revoir à la baisse ses prévisions sur les deux prochaines années, et touche pratiquement simultanément les différentes parties du capitalisme : Chine, États-Unis, zone euro. En 2019, 70 % de l’économie mondiale ralentissent et particulièrement les pays “avancés”, (Allemagne, Royaume-Uni). Certains des pays émergents sont déjà en récession (Brésil, Argentine, Turquie) tandis que la Chine, en ralentissement depuis 2017 et avec une croissance évaluée à 6,2 % pour 2019 encaisse ses plus bas chiffres de croissance des trente dernières années”. 9

La période estivale confirme nettement et accentue cette tendance à l’enfoncement dans la crise. D’une part, les tensions commerciales se sont encore fortement accrues cet été entre la Chine et les États-Unis et d’autre part, les principaux indicateurs économiques restent bien au rouge. Au cœur de l’Europe, l’Allemagne est encore touchée de plein fouet par les effets d’un début de récession, ce qui confirme qu’elle est ainsi devenue le nouveau grand malade de l’Europe et bon nombre de spécialistes soulignent plus globalement la possibilité d’une grande secousse financière à venir, probablement encore plus grave que celle de 2008 du fait du niveau d’endettement record accumulé depuis et de la fragilisation des États sur ce plan. Comme nous le soulignons aussi dans notre résolution concernant la classe ouvrière : “ces nouvelles convulsions ne peuvent que se traduire par des attaques encore plus importantes contre ses conditions de vie et de travail sur tous les plans et dans le monde entier”. Même si tous les États qui portent des attaques ne le font pas à la même intensité ni au même rythme, tous doivent s’adapter dans un même sens aux conditions de la concurrence et à la réalité d’un marché toujours plus saturé du fait de la surproduction. Les États doivent également procéder à des coupes sèches dans leur budget afin de faire à tout prix des économies. 10 En fin de compte, c’est encore et toujours sur le dos des prolétaires que la classe dominante tente désespérément de freiner les effets du déclin historique de son propre mode de production et c’est toujours eux qui doivent payer la note  !

Quelles perspectives pour la classe ouvrière  ?

Face aux attaques programmées et à venir, le prolétariat est fortement exposé aux coups. Cependant, tôt ou tard, il n’aura pas d’autre choix que de réagir et de mener la lutte de manière massive et déterminée. Mais pour cela, il devra d’une part développer les conditions pour une réflexion en profondeur afin de mieux comprendre la façon dont la bourgeoisie se prépare pour faire face à la lutte de classe et, d’autre part, tenter de cerner la façon de mener efficacement le combat de classe sur et en dehors des lieux de travail. Une telle exigence devra nécessairement revenir sur les leçons des mouvements prolétariens qui se sont déroulés par le passé, notamment durant les années 1980. Cela, pour prendre en compte les pièges et les mystifications orchestrées par l’ennemi de classe afin de mieux pouvoir les identifier à l’avenir et ne pas se laisser surprendre. Outre la nécessité de prendre conscience de sa force, de briser l’isolement en contrant la propagande démocratique de l’État et les agissements du syndicalisme, notamment sous ses formes les plus “radicales” et pernicieuses, le prolétariat devra rester toujours vigilant face aux dangers qui menacent l’autonomie de son combat. Il devra tout particulièrement lutter contre l’influence d’idéologies étrangères propres aux couches intermédiaires, notamment petites-bourgeoises qui sont facteur de dilution, risquant de noyer les prolétaires dans la masse indifférenciée d’une notion abstraite : celle de “peuple”. Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” en France, mêlant des prolétaires égarés aux couches petites-bourgeoises, est à cet égard un des exemples les plus significatifs des dangers croissants qui guettent le prolétariat. Loin d’être un modèle de lutte, ce mouvement monté en épingle en a été l’antithèse par son enfermement sur les valeurs démocratiques du capital et ses préjugés nationalistes, voire xénophobes. 11 A contrario, seules les méthodes de lutte du prolétariat, de la grève aux assemblées de masse, sont les conditions pour un combat réellement autonome et conscient, sur un véritable terrain de classe, qui pourront permettre l’affirmation d’une perspective révolutionnaire en vue de mettre fin aux rapports d’exploitation.

WH, 17 août 2019

1) Le peso argentin était à parité avec le dollar au début du siècle  ; il ne vaut plus qu’environ 0,02 dollars aujourd’hui. La hausse des prix a été de 50 % sur les douze derniers mois. Le prêt de 57 milliards du FMI en 2018 n’a été consenti qu’en échange d’un plan de rigueur drastique et de sévères coupes budgétaires qui ont déjà provoqué cinq grèves générales depuis le début de l’année. Selon des statistiques reconnues, un tiers des Argentins vivraient déjà en dessous du seuil de pauvreté. (Source : “Argentine : la descente aux enfers de la troisième économie d’Amérique latine”, BFM Business du 13 août 2019).

2) “Allemagne : la croissance marque un coup d’arrêt”, L’Express (17 août 2019).

3) Sans compter le nouveau plan de Volkswagen qui prévoit de supprimer entre 5 000 et 7 000 emplois supplémentaires d’ici 2023 (plus de 30 000 depuis 2017) ou celui de Ford-Allemagne (5 000). En plus d’une réduction d’effectifs de 570 personnes, les contrats d’intérimaires ou à durée déterminée seront supprimés chez Mercedes-Benz.

4) “États-Unis : la guerre commerciale frappe l’emploi de plein fouet  !”, Capital (14 août 2019).

5) Depuis 1982, les CDD ont doublé et l’intérim a été multiplié par cinq  !

6) “Épuisement professionnel : un tiers des salariés sont en très grande souffrance au travail”, Europe 1 (1er mai 2019).

7) Idem.

8) Déjà en 2012, un tiers de la population a dû renoncer à des soins pour des raisons financières, soit 33 % de plus qu’en 2009 (selon le “baromètre santé et société” d’Europe Assistance-CSA).

9) “Résolution sur la situation internationale du 23e congrès du CCI” disponible sur notre site internet.

10) C’est particulièrement le cas de l’État français comme nous le montrons dans notre article sur les attaques en France : “La bourgeoisie profite des faiblesses du prolétariat pour l’attaquer plus fortement” disponible sur le site internet du CCI.

11) Voir “Bilan du mouvement des “gilets jaunes” : un mouvement interclassiste, une entrave à la lutte de classe”, supplément à Révolution internationale n° 478.

P.-S.

Pour tout contact :
https://fr.internationalism.org

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