Dans l’antre de la baleine, les danseurs de la compagnie Barro Rojo s’échauffent. Soudain, le noir se fait. Un homme entre en scène. Tête baissée. Il enfile un sac papier sur sa tête. Un visage imprimé dessus. Comme un pochoir. L’empreinte d’un visage. Le visage d’un disparu. Un fils, un frère, un mari. Il ondule doucement. Le sac tangue. Futilement. Le corps se ploie. Se déploie et s’écroule au sol. Une femme à la robe rouge sang, arrive en criant « A donde están ? ». Des chaussures à la main, inutiles. Elle balance son corps. Doucement. Enfile ses escarpins. L’homme se cogne contre les murs. Il est là avec nous. Sans être là. Dans les nimbes de l’absence. Dans ses propres ténèbres. Il veut arracher son sac. Redevenir vivant. Il ne sait que frapper le vide. Il est seul. Désespérément seul. « A donde están ? ». Presque un rugissement. Un cri primaire. D’une Mater Dolorosa Mexicaine. Sa douleur percute les murs. Reviens comme un boomerang. En plein cœur. La danseuse s’avance sur un linge blanc, posé au sol. Presque un linceul. Elle laisse des traces de pas, aussi noirs que son espoir. C’est tout simple. Et tellement puissant à la fois. La musique se traîne. L’homme ne veut pas partir. Retourner dans l’oubli. On est au bord des larmes. On pense aux étudiants d’Ayotzinapa. Ils sont sur scène, presque malgré eux. Fantômes qui ne nous quittent jamais vraiment. La musique s’arrête. Le silence nous saisit d’effroi. Il n’y a plus personne sur scène. Disparus, les disparus. Sans savoir, si on les reverra un jour. Danser pour ne pas hurler. Un exutoire salutaire. Pour ne pas sombrer. Dans la folie, le désespoir et contenir cette furieuse envie de renoncer au monde des humains.
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