Une tribune pour les luttes

Li-re à l’E-co-le : un dé-fi à l’in-te-lli-gen-ce

Article mis en ligne le mardi 17 janvier 2006

Gilles de Robien, ministre de l’Education Nationale, a adressé le 4 janvier une circulaire aux Inspecteurs d’Académie et aux directeurs d’IUFM (formation des maîtres), interdisant la méthode globale et les méthodes semi-globales. Coup d’épée dans l’eau ou guerre à la pédagogie ? Voici une analyse des propos du ministre tenus depuis décembre 2005 avec les réactions qu’ils provoquent.

Méthode globale : on apprend à lire en se passant d’exercices de syllabique.

Méthode syllabique : on apprend d’emblée à déchiffrer, par le b-a-ba.

Méthode semi-globale ou mixte : mélange des deux avec souvent un départ global puis apport de la syllabique.

Que signifient ces méthodes si la lecture ou l’écriture n’imposent pas de lire ou d’écrire des textes qui ont du sens et de l’importance pour la classe, et qui imposent de voir ses erreurs et de vouloir les corriger ? Si j’écris "cra" au lieu de "car", ça n’a pas beaucoup d’importance pour un simple exercice scolaire ; ça en a plus si, du coup, les correspondants risquent de ne pas me comprendre et si ce sont mes copains qui me le font remarquer et pas seulement le maître.

Le ministre affirme avoir été alerté par les orthophonistes sur une véritable épidémie de dyslexie, liée à la méthode globale. Il prétend que les raisons qui ont fait abandonner la méthode syllabique à une certaine époque n’étaient pas fondées.

- La méthode globale n’est plus utilisée en France. Les manuels de lecture sont presque tous mixtes.

- La Fédération nationale des orthophonistes conteste les propos du ministre : il n’existe aucune étude montrant scientifiquement des liens entre méthode de lecture et dyslexie.

- André Ouzoulias, professeur à l’IUFM, constate que c’est au milieu des années 60, avec la méthode syllabique, qu’a eu lieu le boom de la dyslexie (et que plus de 30% des enfants redoublaient le CP). La syllabique pure a ensuite été abandonnée car elle formait trop de lecteurs qui ânonnaient sans comprendre ce qu’ils lisaient .

En 1959 déjà, Célestin Freinet, célèbre pédagogue à l’origine de la pédagogie « Freinet », dénonçait ces propos dignes du café du commerce : « Si les enfants lisent moins bien qu’autrefois, c’est la faute à la méthode globale. »

La Liberté à l’assaut des manuels

Dernière nouvelle :
_ Le ministre du culte supprime l’emploi de la cendre dans les lavoirs.

Monsieur Duschmoll, ne voulant pas laisser le monopole de mesures aussi radicales à Monsieur De Robien est intervenu lui aussi :

« Dans la même lignée, je propose d’interdire aux veuves de guerre de l’Ile d’Ouessant, la pratique désastreuse qui consiste à laver le linge à la main en utilisant de la cendre de bois. Il est scientifiquement prouvé que cette méthode est en grande partie responsable de leur veuvage. Elle n’est par ailleurs pas sans conséquences sur la baisse des statistiques concernant l’efficacité du lavage en France en 2005.

Par conséquent, dès le mois de Janvier :

- les lavoirs de l’île d’Ouessant seront vidangés ;

- il sera interdit de brûler du bois sur l’île ;

- une grande surface d’électro-ménager sera construite pour permettre aux lavandières soucieuses de leur niveau professionnel, d’améliorer leurs compétences.

En cas de récidive, une visite de Nicolas Sarkozy serait programmée sur l’île pour envisager la taille du déploiement policier à préconiser."

De notre correspondant permanent à l’Ile de Sein.
Paul

Le ministre affirme que les neurosciences permettent aujourd’hui de dire que l’approche à départ global est mauvaise. et qu’on observe sur cette question un consensus remarquable de la communauté scientifique.

- Un collectif de formateurs, de maîtres de conférence et de chercheurs conteste les certitudes du ministre sur les neurosciences.

Le ministre constate que 15% des élèves quittent l’école élémentaire sans savoir lire et affirme donc qu’il faut revenir aux méthodes syllabiques.

- Les 15% des élèves qui quittent l’école élémentaire sans savoir lire se partagent entre 4% qui ne savent pas déchiffrer et 11% qui déchiffrent mais ne comprennent pas ce qu’ils lisent.

- Aujourd’hui 4% des 18-24 ans rencontrent des difficulté de lecture contre 14% des 40-54 ans et 19% des 59-65 ans, qui ont tous appris avec la méthode syllabique.

- S’il y a aujourd’hui 4% de non-lecteurs en 6ème, il y en a 11% en ZEP où les méthodes de lecture sont sensiblement les mêmes qu’ailleurs.

Le ministre dit : « La méthode « à départ global » rend beaucoup plus difficile l’acquisition du code alphabétique. Certes, elle donne l’illusion de savoir lire très tôt puisque l’enfant sait reconnaître immédiatement une petite collection de mots. Mais rapidement la mémoire est saturée. Et la lecture se transforme en un exercice de devinettes ! Voyez le film « Etre et avoir », et l’enfant qui voit le mot « ami » et prononce le mot « copain » ! »

Si, dans un premier temps, l’enfant qui ne maîtrise pas encore la lecture lit « copain » au lieu de lire « ami », c’est une qualité essentielle et prioritaire de la lecture : à la recherche de sens, il anticipe, il a compris le sens de la phrase. Bientôt, il disposera des outils pour différencier les deux mots.

Un lecteur adulte entraîné anticipe énormément quand il lit, il devine les mots dans le contexte, en ne lisant bien souvent que la première syllabe de chaque mot. Il ne vérifie la totalité du mot qu’en cas de problème de sens.

- Une enquête de l’Education Nationale de 1995 insistait sur le rôle primordial de l’enseignant dans la réussite des élèves en lecture, quelle que soit la méthode : regard positif sur l’enfant, encouragements, aide personnalisée, bilan individuel des acquisitions. En outre Célestin Freinet rappelait que le fonctionnement des processus d’apprentissages de la lecture n’est pas le même chez tous les individus et ne saurait être préétabli comme règle uniforme et obligatoire.

- Les programmes définissent les apprentissages de la lecture bien au-delà du seul déchiffrage et le ministre ferait bien de les respecter.

- Pierre Frackoviak, inspecteur de l’Education Nationale : « Pour la majorité des chercheurs sérieux, apprendre à lire n’est pas d’abord une activité mécanique, c’est d’abord une activité intellectuelle. Il faut savoir qu’un enfant ne peut apprendre à lire :

  • s’il ne comprend pas que l’écrit a une fonction, un sens,
  • si l’écrit support d’apprentissage est totalement étranger à l’écrit qu’il connaît (notamment les écrits de la vie quotidienne),
  • si l’apprentissage de la lecture n’opère que sur des automatismes,
  • si l’apprentissage n’associe pas en permanence et dès les premiers pas la lecture et l’écriture : pas que des dictées de mots et de syllabes, mais de l’écrit pour communiquer. »
  • L’enfant doit donc déjà avoir accès à différents types d’écrits (dont la littérature jeunesse) qui répondent à ses questions, à son désir de connaissance, à son désir de communiquer ; il doit être en situation réelle d’écriture (correspondance, journal scolaire, cahier de vie, album.) ;

- Il doit être familiarisé avec les mots et les tournures de phrases de l’écrit (différents de l’oral), il doit pouvoir se repérer dans un texte et être capable de rechercher des indices de sens (illustrations, titres, mots connus .), il doit pouvoir tout petit s’essayer à des comportements de lecteur expert : reconnaître rapidement des mots ; élargir son empan visuel (trop d’enfants souffrent de ne pas être capable d’autre chose que de décortiquer les mots en syllabe, sans même reconnaître d’un coup d’oeil des mots pourtant 100 fois rencontrés parce que, contraints de ne faire que déchiffrer, ils ont repoussé toute autre stratégie. Il tout de même étonnant que le ministre ne conseille jamais aux enseignants de permettre aux enfants de faire ce que fait un lecteur confirmé (ceux qui ont les meilleurs résultats aux évaluations).

- Comme dans tout apprentissage, il doit s’être familiarisé à anticiper, puis à vérifier ses hypothèses. Il est donc nécessaire de travailler sur des écrits porteurs de sens pour lui.

- Il doit s’être exercé en phonologie (distinguer les syllabes et les sons d’un mot).

- Il doit avoir une idée de la façon dont il est en train d’apprendre à lire : la plupart des enfants en échec répondent qu’il faut pas faire de bruit, et bien écouter la maîtresse, alors que ceux qui réussissent ont des idées beaucoup plus précises sur l’utilité de ce qu’on leur fait faire en classe et sur comment ils vont faire pour y parvenir : "Alors, pour m’en rappeler, je me le redis plusieurs fois.".

Démarrer la syllabique sans avoir renforcé toutes ces compétences a-t-il un sens ? Quand le ministre dit que l’élève devra passer rapidement d’une lecture mot par mot à la lecture de phrases et de textes, quand il dit que, par la familiarisation avec des livres adaptés à son âge, l’élève étendra sa culture et donnera plus de sens à la lecture, ne fait-il pas les choses à l’envers ?

« Ce n’est pas en mettant des mots sur les parties d’un vélo et en apprenant à pédaler dans le vide ou sur un engin d’appartement qu’on apprendra à rouler à vélo. C’est en roulant ! »
Célestin Freinet

Papa lave la salade, et surtout pas maman car son 2ème a ne fait pas « a ».
Pierre Frackoviak

(et non pour une cause féministe, NDLR)

Gilles de Robien affirme que « Les méthodes à départ global. présentent pour les enfants les plus fragiles ou les moins accompagnés à la maison un véritable risque : celui de tomber dans des difficultés ensuite insurmontables pour acquérir correctement le code alphabétique. »

- Se constituer une banque de mots avant de démarrer la syllabique (méthode semi-globale) présente pourtant un gros avantage : si l’enfant connaît les mots « balançoire », « bateau », « en bas », il pourra observer que ces trois mots font « ba » à l’oral et contiennent b et a, il comprendra alors solidement pourquoi et progressera vite ensuite car le b-a-ba aura pour lui un sens. Que signifie pour un enfant « fragile » le b-a-ba le 1er septembre du CP, qui risque alors de rejeter ce langage qu’il ne comprend pas ?

Le ministre décide que l’évaluation de début de CE2 sera avancée en début de CE1. « C’est un tournant, soit on sait déjà lire en début de CE1 et tout est possible, soit on ne sait pas, on décroche et on est déjà stigmatisé. A la fin du CP, tous les élèves devront avoir acquis les techniques du déchiffrage et les automatismes qui permettront la lecture autonome. Tous ceux qui ne savent pas lire bénéficieront de PPRE (Plan Personnalisé de Réussite Educative) pour « rattraper le retard et repartir », pour devenir réellement lecteurs en fin de CE1.

- Terminé l’esprit du cycle 2 (on apprend à lire sur trois ans, de la grande section au CE1), la lente maturation de l’élève, qui lui permet dans bien des cas de « décoller » en fin de CE1 voire en début de cycle 3 grâce à la confiance qu’on lui accorde, à la sérénité qu’il ressent et au soutien qu’on lui apporte (enseignant et réseau d’aide). On risque au contraire de sélectionner par l’échec beaucoup plus tôt et de stresser davantage les parents d’élèves.

Le ministre ajoute que « les parents qui achètent chaque année 100 000 exemplaires d’une célèbre méthode syllabique ne le font pas sans raison. » Il a demandé aux éditeurs de faire le ménage dans leurs catalogues, et à l’Association des Maires de France que les communes ne financent plus les méthodes jugées inefficaces.

- André Ouzoulias, professeur d’IUFM : « La chasse aux sorcières est ouverte. A quand les autodafés ? »

Après la bonne façon d’enseigner la colonisation, la bonne façon d’apprendre à lire ?

Les enfants peuvent-ils apprendre sereinement s’ils sentent que leurs parents ne font pas confiance aux méthodes de l’enseignant ?

« Je préconise une méthode de lecture plus carrée pour ne plus tourner en rond : les élèves comme les maîtres ont besoin de stabilité. Ensemble, avançons avec confiance vers l’avenir ! »

Discours du ministre de l’affliction publique du 3 vendémiaire.

La syllabique, ce n’est pas automatique. Parlez-en à votre instit !

Gilles de Robien : « La liberté des enseignants s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre. La liberté pédagogique n’est pas la liberté de faire n’importe quoi. »

- Qui fait n’importe quoi ? Le ministre pourrait commencer par respecter les programmes. Il méprise des années de pratiques professionnelles, de recherche, de réflexion et d’échanges en tentant de modifier les programmes de manière personnelle et immédiate (ce qui crée un dangereux précédent).

- En réalité, il s’attaque à la liberté pédagogique et remet en cause la pleine responsabilité pédagogique des enseignants. André Ouzoulias explique que ces derniers ne choisissent pas une méthode de lecture par idéologie mais pour des raisons professionnelles (validées par les inspecteurs, NDLR). Il rappelle que ce sont les inspecteurs qui contrôlent le travail des enseignants et non des groupes de pression (élus, parents) : c’est une garantie d’indépendance et d’efficacité pour l’application des programmes.

« Il faut faire confiance aux instituteurs et renoncer à instaurer le couvre-feu pédagogique. »
Roland Goigoux, professeur d’université.

C’est l’absence d’enquête scientifique sur les pratiques des classes et l’absence d’analyse et de diffusion des innovations réussies qui laissent la porte ouverte à des propos faciles comme : « C’est la faute aux pédagos, c’est la faute à la pédagogie ! », surtout quand les médias s’y mettent aussi.

Pourquoi faire compliqué, comme ces chercheurs et ces syndicalistes qui insistent sur l’importance de la formation des enseignants, des conditions de travail dans les classes, du contexte social difficile, qui pèsent forcément sur les apprentissages.

Est-ce par hasard si ce « débat » sur les méthodes de lecture a lieu en pleine course aux chiffres dans l’Education Nationale : inflation des évaluations vers une concurrence entre les écoles, réduction des dépenses avec le non-remplacement des départs à la retraite, la concentration des écoles qui entraîne des suppressions de postes et des classes plus chargées, la régression de la formation continue, les incertitudes sur la formation initiale.

Jean-François Vincent, président de l’OCCE (Office Central de la Coopération à l’Ecole), oppose :

  • une conception « descendante » de l’enseignement (gavage des oies, NDLR), par mémorisation, répétition, individualisme et compétition, avec perte du sens réel de l’apprentissage pour nombre d’élèves et méthodes qui conduisent à la mésestime de soi,
  • l’apprentissage coopératif, fait d’entraide, de solidarité, de recherche, d’essais et d’erreurs, en apprenant avec les autres, par les autres, pour les autres et non seul contre les autres.

Transmettre le goût de la lecture (plaisir de lire en autonomie, désir d’aller à la bibliothèque, attente d’un abonnement avec impatience, curiosité pour les informations écrites de la vie quotidienne, dans la rue, à la maison et à la télé), compétence essentielle pour la réussite scolaire, peut-il se faire, comme le demande le ministre, par un apprentissage mécanique ?

Les preuves scientifiques qu’il cite ne sont que des points de vue très contestables et très réducteurs de l’état de la recherche sur l’apprentissage de la lecture.

Ne peut-on pas plutôt, comme Célestin Freinet, chercher à concilier la rigueur technique, la sensibilité et l’intelligence ? Et pour cela, ne peut-on pas respecter l’indispensable liberté pédagogique des enseignants et leur pleine responsabilité pédagogique ?

Ne peut-on pas garantir les moyens financiers nécessaires pour une politique de réussite scolaire de tous, ce qui devrait être une priorité nationale absolue, inscrite dans la loi, et non rester des voeux pieux ?

Remise en ordre et au pas.

Sleon une édtue de l’uvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers dans un mot n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soeint à la bnnoe pclae. Le rsete puet êrte dans un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlbème. C’est prace ue le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe , mias le mot cmome un tuot.

La peruve. Arlos ne veenz puls m’ememdrer aevc les corerticons otraghrohpiqeus.

Gllies de Rbieon

Article publié sur la liste coordéduc par Erwan Redon

source : http://udas.org

Voir aussi La méthode globale, cette galeuse

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Répression c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 1265