Une tribune pour les luttes

Grève des loyers, modes d’emploi !

Article mis en ligne le lundi 4 mai 2020

Dans le sillage des mouvements de locataires aux États-Unis et en Espagne, des appels à la grève des loyers ou à des moratoires circulent en France. Report des loyers, annulation d’arriérés, baisse des dettes, aides d’État : Philippe et Simon, tous les deux militants de l’association Droit au logement, exposent une partie des stratégies qui s’offrent aux locataires.

À Berlin, Lisbonne, Barcelone, les pouvoirs publics ont suspendu les loyers de l’habitat social. En Suisse, aucune sanction possible pendant trois mois contre les locataires qui ne paient pas. Au Canada, au Royaume-Uni, le gouvernement verse une aide aux locataires… Mais pas en France.

En Espagne, la grève des loyers lancée début avril est portée par plus de 200 collectifs, regroupant plus de 16 000 locataires, appuyés par des syndicats de locataires. L’objectif : suspendre le paiement des loyers pendant le confinement et même toute la pandémie. Les pouvoirs publics évoquent un moratoire, que le mouvement social juge insuffisant, revendiquant que les futurs programmes d’aides couvrent le paiement des loyers, dispensent du paiement des services publics, et apportent un fonds d’urgence pour les personnes en difficultés financières.

Alors que des appels à des grèves de loyers ont été lancés en France, nous avons interrogé deux militants du DAL, Philippe à Nantes et Simon en région parisienne, sur les quelques conseils pratiques qu’ils peuvent délivrer.

Quelles premières recommandations pour démarrer une grève des loyers ?

Philippe : D’abord prévenir le propriétaire que l’on suspend les versements. Pendant le confinement, on ne risque rien : les actes légaux sont suspendus, décalés. Prévenir le proprio, c’est important pour se couvrir en cas d’éventuelle procédure d’expulsion. Devant un juge, cela prouve la bonne foi du locataire.

Simon : le premier mois, aucun risque, le commandement à payer n’intervient qu’à partir de deux mois d’impayés.

Philippe : Les gens en difficultés peuvent revendiquer l’annulation des loyers, ou à défaut le gel des paiements, mais le report a quelque chose de dangereux : les loyers étant tous à payer une fois le moratoire passé. On peut penser à des réductions du montant du loyer, au prorata des pertes de revenus dus à la perte totale ou partielle d’emploi lié à la crise.

Simon : Au sein d’un même immeuble ou plus large, il est important de construire des revendications, savoir jusqu’où chacun veut bien aller, bien comprendre la situation de chacun pour avoir une base commune et que les représentant·es en tiennent compte. Il peut y avoir des squatteurs, des gens sans titres, sans papiers… Il faut que tout le monde soit protégé et que les plus précaires ne soient pas lésés.

De quels outils peut disposer un mouvement de locataires ?

Simon : Nous avons lancé la plateforme « loyer suspendu » qui n’est pas un appel à une grève illimitée des loyers, même si nous soutiendrons si cela prend forme. Chacun doit pouvoir jauger vers quoi il a envie d’aller. La plateforme donne des outils juridiques, qui peuvent d’ailleurs évoluer ces temps-ci, des droits face aux procédures d’expulsion. Nous voulons surtout pousser le gouvernement à agir, pour un apurement des dettes et impayés, pour lancer un fonds d’aide d’urgence. Il a bien suspendu les loyers des petites entreprises en reportant loyers et charges [le 20 mars – NDLR]. Qu’il fasse la même chose pour les classes populaires et les locataires !

Philippe : Dans la philosophie du DAL, jusqu’ici, une grève des loyers, c’est plutôt un moyen de pression en cas de logement indigne : les loyers sont payés, mais versés sur un compte bloqué, tant que le propriétaire n’a pas réagi, relogé ou fait les travaux de mise en conformité, d’hygiène, et de sécurité…

Comment sortir de l’initiative isolée face au propriétaire ou son représentant ?

Philippe : C’est là bien sûr qu’arrive l’organisation collective locale, quand des comités de locataires mobilisés se mettent en place et demandent l’annulation, la réduction ou le report des loyers, auprès de bailleurs sociaux ou privés, ou même face à des petits proprios représentés par des agences immobilières et gérants de biens. À partir de ces collectifs de locataires, on peut monter un mouvement et remonter les revendications plus haut, auprès de l’État, des collectivités locales qui sont le plus souvent très frileuses… Il n’y a qu’à voir la loi de réquisition [des logements vacants], jamais utilisée… Les maires ont un pouvoir énorme via leur adjoint président des offices HLM. Un des rares trucs bien dans la loi Elan de 2018 [Loi portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique] c’est que l’encadrement des loyers, qui avant devait se faire à l’échelon communautaire (communauté urbaine, communauté de communes) peut désormais se décidé à l’échelon communal. Cet encadrement local peut permettre des réévaluations du montant des loyers.

Simon : Nous visons aussi un mouvement collectif, soutenu par des associations et organisations. On peut s’attendre à une forte montée des impayés, suivie par une hausse massive des expulsions… Le seul report serait absurde : après, tout tombe d’un coup et personne n’arrivera à assurer les paiements. Nous demandons l’arrêt de toute sanction et expulsion pour impayés, la création d’un fonds d’État de soutien d’urgence, et des renégociations voire l’apurement des dettes des locataires. En Espagne, les gros bailleurs, proprios de plus de huit logements, doivent réduire de moitié les dettes de leurs locataires. Il faut mettre l’État face à ses responsabilités, sinon les bailleurs sociaux vont pleurer que le manque de trésorerie les empêcherait d’entretenir leurs logements ou d’en construire d’autres. À Bobigny, la ville a annoncé l’annulation du loyer d’avril, mais l’office HLM a refusé, trouvant la mesure trop chère et risquée juridiquement…

Quelle forme peut prendre un collectif de locataires ?

Philippe : Soit une association de fait, soit une association déclarée officiellement. Il faut de toute façon un noyau de personnes un peu motivées pour démarrer. Le meilleur moyen, c’est encore de faire du porte-à-porte, de passer des infos dans les boîtes aux lettres, expliquant la démarche, et prévoir une première réunion. C’est important d’avoir un ou deux référent·es, pour que les bailleurs aient des interlocuteurs, avec qui ouvrir les négociations. Même si tout se discute et se décide à la base, au sein du collectif. En absence de porte-parole ou de personnes mandatées pour discuter avec les autorités, beaucoup de collectifs se cassent la gueule. Il faut des gens pour animer la dynamique, partager les infos le plus démocratiquement possible, face aux tentatives de division qui ne manquent pas de jouer les uns contre les autres.

Simon : Il y a toujours le piège de la gestion au cas par cas, qui individualise et renforce le contrôle social, pousse à passer par l’assistante sociale, le Fonds de solidarité pour le logement du département. Ce qui vise à casser toute forme d’organisation collective. Établir un rapport de force permet de répondre qu’on est inscrit dans la démarche d’un collectif et que la discussion doit se tenir avec ce collectif.

Philippe : Un collectif local est toujours bien plus efficace qu’une organisation nationale, qui peut venir après, pour donner toutes les armes juridiques et réglementaires et éviter de se faire rouler dans la farine.

Rapport de Force, 4 mai 2020

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