Une tribune pour les luttes

AED : construire la lutte des précaires de l’Éducation Nationale

Article mis en ligne le jeudi 21 janvier 2021

Depuis le 1er décembre 2020 les surveillants des collèges et lycées (AED) ont lancé un mouvement de contestation d’une ampleur inédite. Le 19 janvier, ils appelaient à une grève nationale reconductible. Entre véritable ras-le-bol et difficulté à mobiliser un secteur particulièrement précaire, la contestation se construit peu à peu. Point d’étape.

La crise sanitaire les a poussés dans leurs retranchements et devant le rectorat lyonnais, ils et elles vident leur sac. « On passe nos journées à dire, “mets ton masque”, “remonte ton masque”, “pourquoi tu es assis avec un 4eme à la cantine alors que tu es en 5eme*” ? ». « On a toujours bossé à flux tendu, et avec le Covid, dès qu’une personne est malade ou cas contact on se retrouve en sous effectif et c’est la catastrophe  ».

Les assistants d’éducation (AED) surveillent les récréations et les permanences, aident aux devoirs, écoutent, sanctionnent, consolent. Directement au contact des élèves, ils sont en première ligne face au coronavirus et depuis la mise en place des protocoles sanitaires leur charge de travail a été décuplée. Pourtant ils restent parmi les salariés les plus précaires et les plus mal payés des collèges et lycées : leur contrat doit être renouvelé chaque année pendant six ans maximum, ils travaillent très souvent à temps partiel et sont payés au SMIC.

« Faisons plus fort que le 1er décembre »

Alors ils craquent. Et, le 1er décembre, une coordination nationale née de manière spontanée annonce une première journée de grève nationale. C’est un succès : d’après les chiffres de la coordination, le mouvement fait fermer près de 1000 vies scolaires sur les 8 800 collèges et lycées français.

Reçues dans les rectorats et les DSDEN, les délégations d’AED expriment alors les raisons de leur colère et formulent leurs revendications. En premier lieu : un vrai statut pour les AED. Fini la règle des six ans. « J’ai vu des collègues obligés de quitter un travail qu’ils aimaient, qu’ils faisaient bien, pour aller pointer à pôle emploi juste parce que ça faisait six ans qu’ils étaient là. C’est déchirant  », confie Bastien, AED dans un collège de Saint-Priest. Ils demandent également des recrutements massifs, un allègement de la semaine de travail et le paiement de la prime REP+ auquel ils n’ont pas droit (voir notre article).

Ignorés par le ministre de l’Education Nationale, ils décident de remettre le couvert le 19 janvier, en augmentant cette fois-ci le rapport de force. « Nous savons qu’une journée de grève, les dirigeants savent l’encaisser. Ils misent sur notre épuisement. Faisons plus fort que le 1er décembre », annonce le tract de la coordination nationale.

Construire une grève reconductible ?

Mais ce n’est pas simple d’organiser un mouvement national d’ampleur quand on est une profession précaire, qui perd beaucoup d’argent quand elle pose ne serait-ce qu’un jour de grève, et dont les membres changent de métier au plus tard tous les six ans.

A Lyon, ils sont ainsi une petite centaine devant le rectorat en ce 19 janvier. « On est moins que le premier décembre où on devait être 150-200 sur le rassemblement. Mais on a réussi à fidéliser un noyau dur et c’est une bonne base sur laquelle s’appuyer pour la suite », analyse Antoine, AED dans un lycée professionnel lyonnais et syndiqué à la CGT. « Reconduire la grève demain ? On essaie d’y inciter les gens mais on ne pense pas que ce sera très suivi. »

Lorinda et 4 de ses collègues AED ont fait une heure de route pour se rendre au rassemblement lyonnais. En ce jour, la vie scolaire de leur collège d’Ambérieu en Bugey (seul collège public de cette petite ville d’environ 15 000 habitants) est donc fermée. « Quand on a dit qu’on ferait grève, les parents ont vite compris que la situation n’allait pas être gérable dans l’établissement. Résultat : seulement la moitié des élèves sont venus au collège aujourd’hui. »

Pourtant, malgré sa détermination, Lorinda n’était pas en grève lors du 1er décembre. « On ne savait pas qu’il y avait grève ce jour-là ! C’est l’assistante sociale du collège qui nous en a parlé le lendemain et on s’est dit que ne raterait pas les prochaines occasions. » Quant à reconduire la grève reconductible ? « On y pense », lache l’AED.

Organisation inégale

Les situations et le niveau de mobilisation diffèrent selon des départements. Dans l’Hérault, la grève du 19 a touché une cinquantaine de vies scolaires dont plus de la moitié ont été fermées (le département compte environ 120 établissements publics dans le second degré). Au total : 160 à 200 grévistes « Un poil moins que le 1er décembre », estime Yann, AED à Sète impliqué dans l’organisation du mouvement. Dans ce département, la grève a bien été pensée sur trois jours : du 19 au 21 janvier avec des rassemblements devant les rectorats et les DSDEN le 21 janvier. « La reconduction sur la journée du 20 concerne une dizaine d’établissements mais on pense que le 21 sera à nouveau fort », analyse Yann.

Les chiffres sont a peu près équivalents dans l’académie de Nantes où environ 70 AED étaient présents devant le rectorat selon Ouest France. En Loire-Atlantique, au moins 120 AED ont répondu à l’appel national, relayé par le collectif AED 44. Pas de chiffres actuellement sur Paris où la coordination des AED se réunit dans l’après-midi du 20 janvier pour une assemblée générale. C’est à ce moment-là que sera évalué le niveau de la mobilisation.

A Marseille, d’où le mouvement des AED est parti le 19 novembre, la mobilisation est également moins forte que le 1er décembre. « Ce jour là nous étions plus de 300 devant le rectorat et 70 bahuts étaient touchés par la grève. Le 19 nous étions 50 et impossible de quantifier le nombre de bahuts touchés, on n’a pas eu assez de retours » explique Stephan, AED dans un lycée Marseillais et militant CGT. « Le mouvement est toujours vivace et a du potentiel mais sur ce coup, on pense que la grève n’a pas été suffisamment construite. Une partie d’entre nous va reconduire le 21 pour participer à la manifestation interprofessionnelle annoncée par la CGT à Marseille mais le prochain gros objectif, c’est de mobiliser fortement pour la grève nationale de l’Education le 26 janvier. »

Quelle place au sein du mouvement de lutte dans l’Education Nationale ?

Mais quelle place pour les AED dans des manifestations historiquement tenues pas les enseignants qui ont déjà de nombreuses revendications à faire valoir ? « On se bat pour la même chose que les enseignants : l’amélioration du service public d’éducation », assure Antoine de Lyon. L’analyse de Yann est plus mitigée : « On a du mal à exister sur la date du 26. Je trouve que le SNES-FSU (ndlr : syndicat enseignant majoritaire) minimise la portée de la mobilisation des AED. Ils n’ont pas repris nos revendications. On a moins de problèmes avec la CGT et SUD. »

Au cœur du débat entre les AED en lutte et le syndicat enseignant historique : la question du changement de statut des AED. « Ils considèrent que c’est un métier qui doit être réservé aux étudiants et ne veulent pas remettre en cause la règle des six ans. Pourtant aujourd’hui les étudiants sont minoritaires parmi les AED et on a beaucoup de collègues qui aimeraient en faire leur métier plus de six ans ».

Les divergences avec les syndicats moins habitués à travailler en interprofessionnel se font aussi sentir à Marseille : « Nous voulions être en tête de cortège de la manifestation de l’éducation à Marseille et ça ne pose pas de problème à la CGT, la FSU et la CNT mais FO et la FSU n’ont pas voulu, possiblement pour des raisons de sécurité », explique Stephan. Son analyse des divergences avec le SNES est différente : « Le SNES pense qu’on ne peut pas créer un statut de fonctionnaire pour les AED car celui-ci ne peut, pour eux, être octroyé que par un concours. »

Au delà du seul 26 janvier, le mouvement des AED aura évidemment des suites. « On progresse peu à peu et on construit notre mouvement », résume Stephan. Et quand on demande à cet AED, qui en est à sa dernière année de contrat, comment il voit sont avenir professionnel il répond : « Je ne suis pas un romantique : quand je fais une lutte, c’est pour gagner. Donc mon avenir je le vois dans le nouveau contrat de titulaire que nous, AED, allons arracher ! »

Rapports de force, 20 janvier 2021

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