Une tribune pour les luttes

Retours croisés sur la caravane résistante et la manifestation à Gap

Article mis en ligne le samedi 7 août 2021

Un récit de la manifestation à Gap

En fin de matinée nous nous sommes réunies en assemblée afin de discuter des objectifs, des manières d’être ensemble et d’être attentifs et attentives aux autres, au moyen de communiquer au sein de la manifestation. L’envie n’était pas au saccage du centre-ville malgré ce que peut en dire la préfecture et ses relais médiatiques, mais bien de tenter une manifestation pour communiquer aux passants, à la ville, de créer un évènement qui parlent de ce que créent les frontières ici et maintenant.
Nous connaissions l’interdiction préfectorale et le dispositif répressif mis-en-place encore jamais vu à Gap : le centre-ville bloqué, le canon à eau bien en vue au rond point des Cèdres (dont les vaches avaient été retiré par la police pour être mise à l’abri), les conseils appuyés aux commerces de fermer ou de ne pas sortir leur terrasse. Tout était mis en œuvre pour créer un climat de terreur, et de désigner un ennemi : la manifestation de « 250 no borders » interdite par la préfecture.

Nous sommes parti·e·s près de deux cent de la rue du Vieux Moulin, avec des banderoles, de la musique, une chorale, une brigade rose et clownesque, des tracts, des slogans, des confettis, quelques pêtards. Le cortège s’est dirigé vers les locaux de la DDCSPP (Direction Départemental de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations). Institution d’État qui gère notamment les places d’hébergements pour les personnes à la rue. Les bureaux se sont fermés à notre arrivée, des inscriptions à la peinture ont été réalisées sur la façade, le temps d’une courte prise de parole. Les flics n’étaient pas très loin.

La manifestation est ensuite repartie vers la rue du Commandant Dumont (route de Grenoble) , où le canon à eau s’était déplacé accompagné de CRS pour nous barrer la route. Nous avons alors choisi de faire demi-tour, des anti-émeutes étaient aussi derrière nous à nous barrer la route. Des grilles ont été ouvertes, la manifestation a pu traverser la voie ferrée et se retrouver rue Émile Didier dans la zone commerciale. Nous avons pu distribuer tracts et confettis aux voitures ralenties aux abords de la manifestation.

La préfecture s’est livrée à un véritable ping-pong. Nous avions décider à l’assemblée du matin, de nous réunir pour discuter au sein de la manifestation en cas de blocage du cortège par la police ou les militaires. Cela n’a jamais été possible. Nous n’avons eu aucun répis. Alors que le cortège chantait, jetait des confettis, les anti-émeutes nous ont repoussés encore plus dans la zone commerciale à grand coup de grenades lacrymogènes. Ils nous ont poussé, poussé dans la zone commerciale Tokoro, jusqu’à se retrouver coincer de pars et d’autres pas des Gendarmes Mobiles, nous arrosant littéralement de grenades des deux côtés. Jamais encore à Gap, autant de grenades n’avaient été tirées en si peu de temps sur une manifestation. Là encore, le cortège s’engouffre sur un parking d’un concessionnaire, tombe une grille, et une bonne partie du groupe passe, sous les pluies continues de lacrymogène. Non content de nous avoir interdit la manifestation et l’accès au centre-ville, la préfecture devait justifier ainsi la débauche de moyens policiers pour deux cents personnes.
Nous avons été repoussés jusque dans les prés, repoussé·e·s par les lacrymogènes et les gendarmes qui nous couraient après. Une partie des manifestant·e·s s’est réfugiée dans la forêt. Des personnes se sentaient mal des suites des gaz. Nous nous sommes réunies pour discuter de comment rentrer à l’abri à nos véhicules, ou au squat Chez Roger afin de faire un point sur la situation et les éventuelles personnes blessées ou arrêtées. La discussion a duré dix minutes avant que les gendarmes continuent leur traque dans les bois nous envoyant dans les barbelés. Nous avons réussis une nouvelle fois à nous enfuir, malgré la poursuite continue de certains groupes.

D’autres ont réussi à se cacher dans des buissons, ou à se réfugier chez des habitant·e·s de la zone qui face à la situation ont accepté de les accueillir.

Nous avons finalement réussi à nous retrouver au squat Chez Roger, sans blessé·e·s, ni arrêté·e·s.Retour ligne automatique
Une assemblée s’est tenue, afin de faire le bilan de la journée. Un bilan mitigé : à la fois et malgré la pression policière le cortège a su réagir et rester compact, à la fois les lacrymogènes nous font courir et oublier que tout le monde ne peut pas se déplacer à la même vitesse. Comment aurions nous pu être plus imaginatives et imaginatifs, et ne pas se laisser piéger par la préfecture ? Et proposer autre chose qu’une manifestation ? Comment prendre soin, porter attention à chacun·e au milieu des lacrymo ? Comment tenir les décisions collectives dans la peur et la colère créée par la répression policière ? Comment s’organiser, prendre en charge collectivement la préparation d’une manifestation sans se reposer sur les personnes proposant l’évènement ?
Il avait été décidé en assemblée de limiter les dégradations : pas d’affrontements, pas de casses. L’objectif était de communiquer, de visibiliser des lieux qui participent d’une manière ou d’une autre aux frontières, à maintenir les personnes migrant·e·s dans des conditions de précarité et de misère. Cela a été respecté. Il semblerait que ce ne sont pas les trois pierres envoyés sur la route devant les gendarmes, qui les aient décidé à nous gazer massivement, mais bel et bien le dispositif présent qu’il fallait justifier. Quelques vitres de publicité ont été brisées, des poubelles mises en travers de la route pour ralentir la progression des anti-émeutes, des tags et c’est tout.
Les chiens aboient la caravane passe

La répression ne commence pas aux jets de grenades lacrymogènes. La répression s’est tout un système bien rôdé de communication organisé par l’État. Un système qui tend à nous diviser en créant parmi nous des bons et des mauvais, en faisant en sorte de désigner un ennemi intérieur, une figure de méchant contre-tout, ne cherchant que l’affrontement. De plus, la préfecture et ses médias alliés, on joué le jeu en décrivant la caravane comme une horde de black-block venus de l’étranger. Effectivement, nous sommes contre les frontières, et la politique qui s’applique ici est intégrée dans un cadre européen de gestion des « flux migratoires ». Il y avait donc des personnes venues d’autres pays, et alors ? Mais aussi des participant·e·s aux luttes ici, dans les Hautes-Alpes ou du Piemont qui étaient à l’initiative de cette caravane résistante.

On peut dire que malheureusement cela fonctionne en partie. La communication médiatique et les dispositifs massifs (hélicoptère, motards, compagnies de CRS et de Gendarmes mobiles, canon à eau, centres-ville bouclés) instaurent un climat anxiogène, la rumeur fait le reste. La problématique est donc de rester solidaire, de ne pas se diviser, de comprendre les différentes stratégies et de se dire que parfois, malgré les désaccords et les divergences, cela pourrait permettre de se renforcer. Il nous faudra pour cela faire preuve d’imagination pour ne pas se laisser berner pas nos propres représentations des autres nourries par les discours de l’État, pour ne pas s’enfermer nous-même dans une image et des pratiques figées. De nous méfier de nos réflexes de cultures du secret, de nos masques, qui sont à la fois des formes de résistances, des manières de se protéger et à la fois des impensés qui nous coupent des autres et sont par là, malgré-nous, des formes de répressions intégrées. L’envie était là, il nous faut maintenant continuer à penser, à questionner nos pratiques et ne pas avoir peur de bousculer nos imaginaires et nos représentations.
Nous partîmes cinq cents, nous nous vîmes cent en arrivant à Gap

Au fur-et-à-mesure de la caravane, le nombre de participant·e·s diminuaient. Cela pose plusieurs questions :

Comment ne pas invisibiliser les luttes, les mouvements de solidarités, les lieux d’accueils qui ne sont pas sur la zone frontalière ? La proposition de la manifestation à Gap allait dans ce sens, et pourtant nous y étions moins nombreu·x·ses qu’à Briançon. L’image d’un lieu d’accueil et de ses difficultés, d’une manifestation dans une petite préfecture, peut paraître moins héroïque, moins spectaculaire que la traversée de la frontière, lieu hautement symbolique. Comment réussir à visibiliser le travail invisible, et pas seulement ce que les médias et l’État tentent de transformer en spectacle ?

Proposer une manifestation en journée en pleine saison, limite forcément les possibilités de venir pour celles et ceux qui ne peuvent pas s’échapper de leur travail.

Comment réussir à ne pas se retrouver trop isolé·e·s ? Comment contrecarrer la communication de la préfecture ? Et ne pas lui laisser l’unique parole publique accessible au plus grand monde ? Cela joue sur la difficulté d’être rejoint par les personnes qui sont à nos côtés sur les Hautes-Alpes.

Pour continuer

Cette initiative a permis des rencontres, des échanges entre des individus, des collectifs en lutte autour des problématiques crées par les frontières. Nous avons pu nous rassembler, nous organiser malgré les restrictions en vigueurs. Cela faisait du bien aussi de partager des bons repas, des moments de discussions, d’actions, d’organisation, de vie quotidiennes à nombreux et nombreuses, sur un campement auto-géré et itinérant en ces temps d’épidémies, de galères matérielles, et de contrôle se renforçant années après années sur tous les aspects de nos vies. Retour ligne automatique
Il faut continuer de se questionner sur nos pratiques, il faut continuer d’échanger, de créer des liens au-delà des frontières. Il faut continuer les petites choses et les grands évènements, les luttes sur nos territoires, de développer un maillage relationnel et critique qui nous permettent de se renforcer, d’avoir des prises sur le monde, afin d’ouvrir des possibles de solidarité, d’entraides et de conflictualité.

La caravane est passée, mais la lutte continue !

Une personne du coin.

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