Une tribune pour les luttes

Cuba : Un cas unique qui ne passe pas

Par Augusto Zamora R.

Article mis en ligne le vendredi 7 novembre 2003

Augusto Zamora R. est professeur de droit international et de relations internationales à l’Université autonome de Madrid.

1er juillet 2003.

En 2003, 1060 personnes furent exécutées en Chine. Aux Etats-Unis, environ 400 ont été exécutées depuis 1990, soit une moyenne de 35 par an ou 3 par mois. Des centaines d’autres exécutions ont eu lieu à travers le monde, et ceci sans compter les exécutions non-officielles et les massacres effectués par des appareils d’état en Afrique qui font partie du paysage politique.

En général, ces événements se déroulent sans commentaires. A part quelques rapports détaillés et les condamnations prononcées par les organisations de défense des droits humains telles Amnesty International, l’exécution d’êtres humains fait rarement la une des journaux, déjà envahis d’images de sang et de morts.

En contraste avec cette tendance naturelle au silence et à l’indifférence, l’exécution de trois pirates d’une embarcation à Cuba a déclenché une tempête politique et médiatique inhabituelle - dont l’épicentre est situé aux Etats-Unis. En Espagne s’est produit une manifestation devant l’ambassade de Cuba à Madrid à laquelle participèrent, fait rare, des ministres du gouvernement et des dirigeants des deux principaux partis.

Ce n’est pas le seul domaine où Cuba est traité comme un cas à part. Les appels constants pour une démocratisation de l’île donnent l’impression que Cuba est le seul pays au monde avec un système à parti unique, et que l’Union européenne et les Etats-Unis appliquent les mêmes règles à tous les pays qui ne correspondent pas à l’idée qu’ils se font de la démocratie.

Deux poids deux mesures

Rien n’est moins vrai. En Tunisie, si proche de l’Europe, le président s’est proclamé président à vie en 2002 par un référendum avec 99,52% des voix, et une participation record de 95,5%. Jusqu’à présent, aucun gouvernement européen n’a protesté contre cette fraude électorale évidente.

Lors du coup d’état au Venezuela en avril 2002, l’ambassadeur d’Espagne se précipita pour féliciter le président éphémère, Pedro Carmona. L’Espagne et les Etats-Unis furent les seuls pays à soutenir la tentative de coup d’état, qui fut condamné par l’OEA.

Il en va de même pour la question des droits de l’homme, invoqués pour Cuba avec une application inversement proportionnelle que pour d’autres pays dans le monde. L’obsession envers Cuba est pratiquement hypnotique, comme l’est l’obsession des Etats-Unis à obtenir chaque année une condamnation de ce pays devant la commission des droits de l’homme de l’ONU.

Rien de tel ne se produit, par exemple, avec la Colombie où on compte chaque année 35.000 morts dans le cadre de la violence politique et où on assassine le plus grand nombre de syndicalistes dans le monde. Ni au Guatemala, où on assassine les militants des droits de l’homme et où les tribunaux acquittent les criminels convaincus, sans oublier les cycles de massacres de paysans et d’indiens en Bolivie, Mexique et Pérou.

Oublier l’Afrique serait presque un devoir, tant l’indifférence des pays riches est grande devant les atrocités commises contre les populations, mais un cas vient à l’esprit. En Guinée-Bissau, un chef militaire accusé de rébellion fut exécuté et le vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme jeté en prison. Malgré cela, l’Union européenne accorda à la Guinée-Bissau un prêt de 80 millions d’euros dans le cadre de la coopération, peut-être motivée par les intérêts économiques dans le domaine de la pêche dont elle bénéficie dans ce pays.

L’existence de prisonniers politiques est un autre leitmotiv. Bien sur, aucun amoureux de la liberté ne peut supporter qu’une personne soit emprisonnée pour ses idées. Néanmoins, environ une centaine de pays connaissent ce problème, et pour des raisons bien moins évidentes que celles invoquées par Cuba.

Il y a des centaines de prisonniers politiques en Tunisie. En Guinée Equatoriale c’est encore pire. Chaque année ce pays reçoit des centaines de millions d’euros de l’Espagne, que le tyran Obiang consacre à l’accroissement de la répression et à alimenter sa tyrannie. L’ex-colonie espagnole non seulement échappe à toute sanction, même symbolique, mais en plus profite chaque année de la générosité du gouvernement espagnol.

Le cas le plus sanglant est la Turquie. Au mois de décembre dernier une jeune femme, prisonnière politique, est morte après 512 jours de grève de la faim. Elle était la 58ème à mourir ainsi dans les prisons turques. Depuis 1990, 4500 cas de torture ont été dénoncés et en 2000, 56 cadavres de victimes des groupes paramilitaires furent découverts. Dans le même temps, la persécution de la minorité Kurde, privée de tous ses droits, se poursuit.

Ci-gît le socialisme ?

Il ne manque pas d’experts pour affirmer avec virulence que le socialisme a échoué. Ces critiques auraient un minimum de poids si l’Amérique latine pouvait présenter un exemple économique et social encourageant face à Cuba. C’est tout le contraire. Malgré le blocus imposé par les Etats-Unis, malgré le refus de crédits et le fait que Cuba soit obligé de payer comptant, malgré les réticences de beaucoup, Cuba continue d’être en tête sur le continent, Etats-Unis inclus, dans tous les indicateurs d’éducation, de santé, d’égalité.

Comparé au spectacle désolant des pays de la région qui ont sombré dans la misère, le chômage, la faim et le désespoir, Cuba affiche des indicateurs comparables aux pays industrialisés. La différence est encore plus criante si on prend en compte le fait que Cuba, contrairement au Mexique (75 % de la population sous le seuil de pauvreté selon les chiffres de son propre gouvernement), à la Colombie (pas de commentaires) ou à l’Equateur (un tiers du pays a émigré), n’a ni pétrole ni ressources naturelles convoitées.

Si nous prenons comme référence l’Indice de Développement Humain (IDH) des Nations Unies, le système cubain s’en sort assez bien. Selon les derniers chiffres, devant Cuba (classé 55), on trouve seulement l’Argentine (mystérieusement en position 34), le Chili (38), l’Uruguay (40), le Costa Rica (43) et le Mexique (curieusement 54). Le reste passe derrière, la plupart loin derrière, comme le Pérou (82), le Paraguay (90), la Bolivie (114) ou le Guatemala (129).

Aucun gouvernement de pays riche ou gourou n’arrive à admettre que le capitalisme a échoué dans pratiquement toute la région (et dans le monde) pour tout ce qui concerne le niveau de vie des gens. Ils ne disent rien, non pas parce que l’échec n’est pas évident, mais parce qu’un tel aveu représenterait une menace pour le dogme moderne, à savoir l’inéluctabilité du capitalisme en tant que système.

Les véritables préoccupations

Ce qui les préoccupe à propos de Cuba n’est pas la question de la démocratie (les coups portés contre les gouvernements gênants pour sauvegarder des intérêts illégitimes sont toujours applaudis). Ce n’est pas le peine de mort (La Chine et les Etats-Unis mènent le peloton), ce ne sont pas les droits humains ou les libertés civiques (le cynisme occidental a de quoi faire pleurer).

Si on veut vraiment trouver une explication plausible pour le traitement particulier infligé à Cuba, il faut chercher ailleurs.

Avant tout, Cuba dérange parce que les Etats-Unis n’ont pas réussi à briser l’île au bout de 45 ans. Cuba est une épine dans le pied de l’empire, ce qui fait de Cuba une question d’honneur impériale. Cuba est aussi un symbole qui rappelle à l’Amérique latine et au monde entier qu’il n’est pas nécessaire d’être une grande puissance pour résister au siège de l’empire.

Le courage et la dignité suffisent pour arriver à ce résultat. Comme le faisait remarquer Karl Deutsh, un petit pays avec un gouvernement particulièrement fort et une population motivée peut sauvegarder son indépendance, même au prix à payer qu’impliquerait sa conquête.

Une autre raison est l’attachement de Cuba au système socialiste proclamé par Fidel Castro en 1961, un système qui a survécu, contre toute attente et après la chute de l’Union soviétique. Du point de vue de l’intégrisme capitaliste, le socialisme cubain est une grave anomalie qui doit être corrigée et Cuba doit être remis sur le droit chemin, totalement intégré à la globalisation planétaire.

Ainsi, (la compagnie aérienne espagnole) Ibéria pourrait acheter Cubana de Aviacion, le tabac irait à Philip Morris, le nickel à Anglo-American Corporation, l’industrie pharmaceutique à Glaxo-SmithKline et le pétrole à Exxon, tandis que MacDonald ouvrirait une filiale dans la patrie de José Marti.

Ensuite, seront organisées des élections rituelles qui donneront le pays à une minorité obscène, qui se fera un plaisir de mettre le pays à sac en enfonçant la grande majorité de la population dans la misère. Le tout avec l’aide des plans économiques du FMI et de l’ambassadeur impérial qui tranchera sur les questions politiques et forcera le paiement de millions en compensation aux compagnies et citoyens de l’empire.

De cette manière, oui, Cuba pourrait réintégrer le monde démocratique et profiter de tous ses avantages. Le problème est que la grande majorité des Cubains, conscients du sort réservé aux pays de la région, montrent peu d’enthousiasme pour ce modèle.

Rien n’indique que le système cubain pourrait s’effondrer à court terme. La phase la plus difficile (la "période spéciale") est passée, les indicateurs économiques montrent une amélioration.

Dans le classement de l’IDH Cuba est passé de la 86eme position en 1997 à la 55eme en 2002. La Commission Economique pour l’Amérique latine prévoit une croissance de 5% en 2003, tandis que l’indépendance énergétique atteint un niveau record, tout comme se poursuivent les réformes structurelles pour adapter l’économie nationale à la nouvelle situation avec le minimum d’impact sur les dépenses sociales.

La position de Cuba dans la politique du continent s’est aussi améliorée. Les Etats-Unis n’ont pas réussi à faire condamner Cuba par l’OEA ce qui montre que la plupart des pays de la région ne parient pas sur un naufrage du pays.

De même, les sanctions récemment adoptées par l’UE contre Cuba sont négatives, stériles et tombent au mauvais moment. D’un coté l’UE renforce les positions agressives et extrémistes des Etats-Unis, de l’autre, au lieu d’encourager le gouvernement cubain à s’ouvrir, ces mesures renforcent le sentiment justifié d’une forteresse assiégée, et aggravent les problèmes provoqués par le blocus US.

Il s’agit donc de mesures contre-productives, qu’on ne peut expliquer que par le désir de l’UE de faire plaisir aux Etats-Unis après leur agression contre l’Irak. Mais nous sommes habitués à cette manie de l’UE de s’en prendre aux faibles pour faire plaisir aux forts même lorsque cela implique une injustice profonde. Et, soit dit en passant, c’est ce qui nous attend pour le 21ème siècle.

Traduction CSP. Source : CUBA SOLIDARITY PROJECT

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