Une tribune pour les luttes

2003-2006 : la machine à perdre ?

par Pierre Stambul

Article mis en ligne le mercredi 29 mars 2006

Depuis plusieurs années, les travailleurs ont en face d’eux un patronat et un gouvernement de tueurs. Si la « gauche » a pris l’habitude de ne pas tenir ses promesses, la droite les tient. C’est une entreprise de destruction systématique de tous les droits, de toutes les garanties, de tous les statuts qui est en marche ininterrompue.

Les finalités sont claires :
tuer tout ce qui ressemble à un salaire socialisé en transférant la sécurité sociale aux assurances privées ou aux mutuelles et les retraites aux fonds de pension.
Tuer le droit à l’éducation en livrant les enfants de pauvres au patronat et en étranglant le service public d’éducation.
Tuer le droit au logement en limitant les logements
sociaux et en spéculant à la hausse sur l’immobilier.
Tuer les statuts des travailleurs.
Généraliser le chômage et la précarité comme horizon universel.
Casser les services publics en privatisant le gaz,
l’électricité, les transports ...
Faire des fonctionnaires, qui ont la garantie de l’emploi, des privilégiés.
Mettre en concurrence permanente les travailleurs d’ici avec leurs frères des pays pauvres qui ne jouissent d’aucun droit.

Le tout sur fond de racisme, de discrimination à l’embauche ou au logement et d’exclusion.

Villepin-Sarkozy, pour faire passer toutes ces mesures, cultivent le racisme et les réflexes sécuritaires en pourchassant les immigréEs, les Sans PapierEs, les
pauvres et en criminalisant la banlieue ...

Nous sommes en pleine crise sociale.

Riposter secteur par secteur ?

Cette stratégie a ouvert un véritable boulevard au pouvoir. _ Elle est délibérée.
Des dizaines de luttes sectorielles ont eu lieu ces dernières années : intermittents du spectacle, lycéens, RTM, SNCM, chercheurs, gaziers et électriciens, précaires ... _ La convergence de toutes ces luttes ne pourrait que déboucher sur une épreuve de force, une crise sociale. Les dirigeants des principaux syndicats n’en veulent pas parce qu’ils sont des défenseurs de l’ordre économique existant.
Les résultats de ces luttes éclatées sont bien minces.
Même les chercheurs dont la revendication était populaire n’ont obtenu que des emplois précaires (mais pas de postes). Dans les autres cas, même quand la lutte était de grande ampleur, le pouvoir n’a pas cédé, jouant délibérément le pourrissement des conflits.
Les syndicats ont choisi dans plusieurs cas d’organiser l’arrêt des luttes en n’ayant strictement rien obtenu par rapport aux objectifs initiaux.
Pour le gouvernement, il y a la volonté de casser les syndicats en ne donnant rien.
Qu’a-t-il trouvé en face de lui ?
_Soit des alliés, prêts à signer le pire : la CFDT a signé sur les retraites des fonctionnaires ou la non-indemnisation des intermittents, des mesures patronales qu’aucune organisation censée défendre les intérêts des travailleurs ne pouvait signer.
Mais les autres (CGT, FO, FSU) ont envoyé les secteurs un à un à la bataille en les laissant délibérément isolés.
Ils ont accepté, voire organisé, des défaites graves qui portent atteinte à la crédibilité du syndicalisme. Tout cela pour ne pas se retrouver dans une situation de grève générale ou d’épreuve de force qu’ils n’étaient plus sûrs de contrôler.

La façon dont le mouvement lycéen de 2005 qui était demandeur d’aide et de solidarité a été laissé isolé jusqu’à la répression qui s’est abattue sur ses animateurs n’est pas seulement scandaleuse. Elle est totalement improductive puisque les lycéens se sont battus pour le
service public d’éducation que les enseignants sont censés défendre.
_Leur défaite a permis de nouvelles attaques, contre les enseignants précaires, sur les postes au concours ...
Les défaites successives, alors que l’opinion commence à comprendre la violence des ravages du capitalisme (comme l’a montré le référendum) ouvrent un boulevard à la droite pour achever son œuvre de démantèlement. Patronat et gouvernement continueront de passer en force tant qu’on ne les aura pas arrêtés par la lutte.

Retour sur 2003

L’attaque sur les retraites a permis une grande convergence, au moins de tous les travailleurs du secteur public et de la fonction publique.

Personne ne peut prétendre que la victoire était simple à obtenir. Il était crucial pour le pouvoir de ne pas céder. Mais les syndicats portent une grave responsabilité dans la défaite de 2003. Ils ont fortement attendu alors que la grève générale était possible. Or cette grève générale était indispensable, c’était le seul moyen d’empêcher le
gouvernement de jouer le pourrissement et de faire converger tous les secteurs. Les directions syndicales n’ont pas mis leur poids dans la bataille pour entraîner le secteur privé, ce qui n’était possible qu’en ayant la volonté (derrière le mot d’ordre « 37 ans pour tous ») de
revenir sur la défaite de 1994. Elles ont eu en permanence peur des convergences, de l’interprofessionnel, de toutes les formes de coordinations et d’auto organisation. Elles théorisent l’idée que seuls les syndicats sont « représentatifs ». Elles affirment être les seuls
représentants « légitimes » des travailleurs et ce pouvoir est devenu plus important que la satisfaction des revendications.

Pire, les directions syndicales ont organisé, dès la mi-mai 2003, le repli de la lutte. Dans l’enseignement, les dirigeants de la FSU ont décidé que le bac se déroulerait normalement, donc qu’il n’y aurait pas d’épreuve de force, comme si l’objectif était là : refuser l’affrontement.

Nous n’avons pas fini de payer les conséquences de cette défaite qui a permis au pouvoir d’attaquer sur tous les fronts. Les syndicats l’ont chèrement payé. La CFDT qui est allée au bout de sa stratégie de force d’appoint au patronat a perdu une partie de ses voix aux élections
syndicales et une partie de ses syndiqués.

Elle n’a pas été seule à perdre des plumes : le SNES par exemple a perdu plusieurs milliers de syndiqués et il ne les a toujours pas récupérés.

Changer une stratégie qui perd ?

Ces lignes sont écrites la veille de la grève du 28 mars, que les grands syndicats se refusent à appeler « grève générale ». Le mouvement de lutte contre le CPE est plus fort que celui des retraites. Il a été lancé par la jeunesse étudiante et lycéenne qui a paralysé facs et
lycées. Il bénéficie d’un large appui de l’opinion publique. Ces différents facteurs expliquent que même la CFDT n’a pas encore eu l’occasion (qu’elle attend) de quitter le navire de la lutte. Mais les mêmes symptômes déjà observés en 2003 sont à l’œuvre. Le mouvement
syndical, dans sa grande majorité, reste allergique à tout ce qui ressemble à l’auto organisation, à la démocratie dans les luttes, aux coordinations, à l’épreuve de force.

Alors que les millions de manifestants posent comme préalable le retrait du CPE, les 5 confédérations se sont précipitées chez Villepin, comme si le but était
d’éviter cette grève. Leur unité continue de se faire sur les positions les plus droitières. Et puis, on sent bien le coup de frein incessant contre toute convergence d’ensemble, leur peur du « tous ensemble », leur frayeur devant la perspective de la grève générale, leur volonté
par-dessus tout, d’être les interlocuteurs obligés du pouvoir.

Syndicalisme de lutte ou corps social intermédiaire ? Le syndicalisme qui refuse la lutte et l’épreuve de force ne peut nous mener qu’à de nouvelles défaites.

Pierre Stambul
(27 mars 2006)

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Analyse/réflexions c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 2110