Une tribune pour les luttes

Un régal...

Journal de notre bord

Lettre n° 68 (le 6 mai 2006)

Article mis en ligne le vendredi 5 mai 2006

Bonsoir à toutes et à tous,

Dans son désarroi, le gouvernement n’a toujours pas annoncé
les mesures (bidon) qu’il compte prendre face à la prochaine canicule. La communication gouvernementale est totalement paralysée par le grand concours de croche-pieds entre Villepin et Sarkozy.

Aux grands maux, les grands remèdes. Pourquoi ne pas
organiser un lâcher d’ours dans les jardins de Matignon et
de l’Élysée plutôt que dans les Pyrénées ? A défaut
d’éclaircir l’affaire Clearstream, ça apaiserait les
éleveurs et ça éclaircirait les rangs dans les sommets de
l’Etat. Le général Rondot étant grillé, pourquoi ne pas
demander au sympathique Jean Dujardin, dans le rôle du
lamentable espion franchouillard OSS 117, d’enquêter au
Luxembourg et à Taïwan, muni d’un stock de photos du
Président Chirac ? Au stade d’enlisement où se trouve le
trio Villepin-Sarkozy-Chirac, un petit supplément de
bouffonnerie ne serait pas de refus.

Au pays de Rabelais, de Voltaire et d’Alfred Jarry, certains grincheux ne trouvent pas du tout drôle cette affaire. Les dirigeants du Parti socialiste, qui n’ont jamais été impliqués dans aucune " affaire " comme chacun sait, déplorent que " l’image de la France " soit ternie. Les électeurs de droite s’inquiètent et les députés UMP
s’affolent. L’un d’eux déclarait dans " Le Monde " de mardi : " Tout le monde a peur de finir au fond de la cale. " En
clair de perdre sa sinécure aux prochaines législatives. Un
autre député confiait hier à " Libération " : " Il y a comme une sédimentation des affaires dans l’esprit des gens : sur les trois derniers jours, on m’a reparlé pêle-mêle du sang contaminé, de l’affaire Urba, des ennuis de Juppé et du logement de Gaymard ! Nous, on oublie. Pas les citoyens. "

La messe est dite. Ils mentent, ils empochent, ils
suppriment des emplois et des services sociaux, parfois ils
font tuer des innocents, ils soutiennent des dictateurs en
Afrique... Et puis ils oublient, pour pouvoir remettre ça
sereinement et cyniquement, au service de l’État et des
grandes fortunes.

Se contenter de craindre que tout cela ne profite l’an
prochain à l’extrême droite est à la fois unilatéral,
réducteur et sans efficacité. Le danger d’extrême droite
n’est pas qu’électoral. Il nous explose déjà à la figure,
sous la forme du projet de loi pourrie de Sarkozy contre les immigrés et leurs proches, sous la forme de la répression policière et judiciaire quotidienne, et sous la forme de propos et d’actes de racisme et de xénophobie de plus en plus nombreux. Le système capitaliste décompose le corps social, nourrit la démoralisation et les rancoeurs dans la population et stimule la démagogie nationaliste des
politiciens. Simultanément il détruit massivement l’illusion de le réformer ou d’en tirer parti individuellement que certains avaient à son endroit parmi les jeunes et les salariés. Le système relance l’esprit critique et la volonté de lui résister, voire d’en finir avec lui. Le mouvement victorieux d’une fraction de la jeunesse et des salariés contre le CPE est un pas encourageant dans cette direction.


SOMMAIRE
Stress, harcèlement et licenciement
L’amour, pas la guerre
Femme de science
Gogol et Chagall
Le gentil Rousseau
Kodaly, le moderne
In situ


STRESS, HARCÈLEMENT ET LICENCIEMENT

" Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés " est
le titre, emprunté à une fable de La Fontaine, d’un film
documentaire remarquable de Sophie Bruneau et Marc-Antoine
Roudil sur les souffrances au travail. Ils ont filmé des
entretiens que des salariés ont eu avec une psychologue et
deux médecins. Une ouvrière, une femme de ménage, une
vendeuse et un directeur d’agence confient tour à tour les
agressions psychologiques des employeurs contre eux pour les rétrograder et finalement pour se débarrasser d’eux.

Ces témoignages serrent le coeur et permettent de comprendre ce que sont les stress et les humiliations subis par ces travailleurs. La façon très sobre et respectueuse des gens de tourner est à l’opposé du voyeurisme de la télé réalité.

L’écoute de la psychologue et des médecins est remarquable
de tact et d’honnêteté intellectuelle. Le film se termine
par un échange entre eux avec Christophe Dejours,
psychanalyste et psychiatre, auteur notamment de deux livres sur les souffrances psychiques au travail, "Souffrance en France" (Point Seuil) et "Travail, usure mentale" (Bayard).

L’AMOUR, PAS LA GUERRE

En écoutant la dernière émission " Continent sciences " sur
France-Culture consacrée aux singes bonobos, on se
convainquait sans peine que la société des homo sapiens à
encore quelques progrès à accomplir pour parvenir au niveau
des bonobos sur le terrain des relations sociales. D’après
Claudine André qui a créé une association de défense des
bonobos du Congo dans des conditions difficiles et qui en a
une connaissance approfondie, on n’a jamais vu un bonobo
tuer un autre bonobo. Dès qu’un jeune bonobo se rend
insupportable dans la vie du groupe, quelques femelles
adultes interviennent fermement pour lui faire comprendre
qu’il est temps d’arrêter les frais. Dans leurs relations,
ces singes-là sont des négociateurs subtils qui résolvent
les tensions par une activité amoureuse importante et
diversifiée. Aucun membre ou groupe n’ayant un territoire où une position hiérarchique à défendre, les raisons de se
battre s’évanouissent et laissent le champ libre à la
convivialité et aux caresses. Le grand livre de la nature
est décidément plein d’enseignements. A condition de ne pas
en arracher des pages et des pages, pour finalement le
détruire systématiquement sur l’autel des profits et des
guerres pour les profits.

FEMME DE SCIENCE

Voltaire a écrit à propos d’Émilie Du Châtelet qu’il aima et avec qui il dialogua pendant près de quinze ans : "Jamais une femme ne fut si savante qu’elle, et jamais personne ne mérita moins qu’on dit d’elle : c’est une femme savante. Elle ne parlait jamais de science qu’avec ceux avec qui elle croyait pouvoir s’instruire, et jamais n’en parla pour se faire remarquer."

Elle parlait couramment l’allemand, l’anglais, le grec et le latin dès l’âge de douze ans. Sa curiosité scientifique précoce l’amena à côtoyer Fontenelle puis à suivre des leçons de mathématiques auprès de Maupertuis et de Clairaut. Au prix d’un travail considérable, elle fut la première à traduire l’ouvrage fondamental de Newton, " Principes mathématiques de la philosophie naturelle ".

L’exposition qui lui est consacrée à la Galerie Médicis de
la Bibliothèque nationale de France à Paris rue Richelieu
jusqu’au 3 juin est très bien conçue pour nous faire
découvrir les différentes facettes de cette étonnante femme
des Lumières, joueuse impénitente (Voltaire épongea ses
dettes), organisatrice de spectacles théâtraux dans sa
demeure, à la fois amoureuse et scientifique passionnée.

GOGOL ET CHAGALL

Un régal ! La dernière traduction du roman de Nicolaï Gogol
" Les Âmes mortes " par Anne Coldefy-Faucard est un pur
régal (éditions Le Cherche Midi, octobre 2005). Et pourtant
nous l’aimions bien la traduction d’Henri Mongault datant de 1925 ; d’autant plus que dans le Livre de Poche classique, ce chef-d’oeuvre était précédé d’une pertinente et crépitante préface du romancier égyptien Albert Cossery.

Quand le texte de ce roman fut soumis en 1842 au chef de la
censure tsariste, il s’était déjà indigné sur le titre.
Comment pouvait-on parler d’âmes mortes alors que " l’âme
est immortelle ! ". Quand on lui expliqua que " les âmes "
étaient des serfs morts entre deux recensements, son
hostilité redoubla : " C’est contre le servage ! ". En fait
ce roman était encore plus subversif que ne pouvait
l’imaginer le cerveau épais de ce censeur et Gogol lui-même.

On obligea Gogol a ajouter en sur-titre " Les aventures de
Tchitchikov ". L’idée de ce roman picaresque par certains
côtés lui avait été suggérée avec insistance par le poète
Pouchkine. Le personnage principal a mis au point une
escroquerie vis-à-vis du fisc consistant à racheter à bas
prix des moujiks décédés en se déplaçant en calèche de
village en hameau auprès d’une galerie invraisemblable de
propriétaires. Gogol s’appuie fortement sur la réalité pour
finalement lui faire un pied de nez.

Cette nouvelle traduction met en relief le comique ravageur
de Gogol et sa langue savoureuse.

L’autre bonheur consiste dans la reproduction des nombreuses gravures que le peintre Chagall avait réalisé en 1925 pour une édition à tirage limité. L’artiste qui était issue d’un village russe et avait bien débridé sa propre imagination corrosive, se glisse allègrement dans les pas de Tchitchikov et de l’écrivain Gogol.

Si vous n’avez le temps de lire qu’un seul roman dans les
trois mois qui viennent, choisissez celui-là.

LE GENTIL ROUSSEAU

Jusqu’au 19 juin prochain, il est possible d’aller à la
rencontre du peintre Henri Rousseau, dit le Douanier car il
occupait un emploi modeste à l’Octroi de Paris.

L’exposition se tient au Grand Palais à Paris. C’est une visite qui met de bonne humeur et redonne à chacun le sens du rêve et du merveilleux. Rousseau était un homme simple et généreux, ce qui lui a joué un vilain tour le conduisant devant le tribunal sur ses vieux jours. Certaines toiles plaisamment allégoriques montrent ses convictions de républicain radical et pacifiste. Nous avons le témoignage du peintre Delaunay qui l’a soutenu moralement et matériellement jusqu’à sa mort en 1910 : " ...il était conscient de sa force, de sa valeur.

Souffrait-il, au fond, de toute l’injustice de sa vie ? Il
ne le laissait pas voir, bien qu’une fois il m’eût confié,
comme à un ami avec lequel on peut se laisser aller aux
confidences : " Tu sais, Robert, je suis anarchiste. "

Au petit jeu des influences, on peut imaginer que Rousseau a observé de près les toiles d’Ucello (notamment pour " La
guerre ") et de Pisanello dans ses portraits et le
traitement de certains ciels. Son influence sur Magritte et
sur Max Ernst semble flagrante. De toute façon le Douanier
est à part et il faut insister sur son grand art de
coloriste qui s’est particulièrement épanoui dans ses
grandes jungles de deux mètres sur trois au bas mot.

KODALY, LE MODERNE

Dans la musique de chambre du XXe siècle, deux oeuvres de
Zoltan Kodaly, l’ami de Bela Bartok, sont de tout premier
plan. Elles restent impressionnantes par leur modernité même si elles furent composées en 1914 et 1915 : le duo pour violon et violoncelle et la sonate pour violoncelle seul.

Le couplage de ces deux oeuvres se trouve sur le CD harmonia mundi que viennent d’enregistrer Jean-Marc Philips-Varjabédian, violoncelle et son frère Xavier Philips au violon. Leur interprétation a toute la subtilité, l’intériorité mais aussi la fougue que nécessitent ces oeuvres où l’on discerne l’influence de Debussy que Kodaly avait rencontré à Paris en 1907 et la prégnance de la musique populaire hongroise.

La sonate pour violoncelle seule donne une impression de
libre improvisation et requiert une virtuosité donnant
l’illusion d’écouter plusieurs instruments.

La prise de son de ce CD est extraordinaire et nous cloue au fond de notre banquette, notre sofa, notre pouf, notre
fauteuil ou notre tapis. Peu importe, c’est moderne et c’est beau.

IN SITU

Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne sur notre
site un point vue sur le roman " Terre des oublis " de la
vietnamienne Duong Thu Huong.

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

Vous pouvez recevoir cette lettre en écrivant :

Culture.Revolution chez free.fr
http://culture.revolution.free.fr/

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