Une tribune pour les luttes

Dans le Bulletin n°149 de Comaguer

A qui appartiendra le XXI° siècle ?

par Immanuel Wallerstein

Article mis en ligne le vendredi 7 juillet 2006

Cet article remarquablement synthétique a été publié le 21 Juin 2006 par le quotidien mexicain LA JORNADA

cacgbul149

Nous devons la traduction française (approuvée par l’auteur) à COMAGUER (CONTRE LA GUERRE, COMPRENDRE ET AGIR) qui le publie dans son bulletin n°149 -semaine 27- 2006 que nous avons reçu le 5 juillet 2006 et que vous trouverez en fichier joint.

Dans ce n° 149 on trouvera par ailleurs une discussion sur le thême A qui appartiendra le XXI° siècle ? et Comaguer lance un débat autour de l’article d’Immanuel Wallerstein.

Les contributions à ce débat sont bien sur à envoyer à Comaguer (adresse dans le bulletin).

Les notes de bas de page sont du traducteur.

MB


A qui appartiendra le XXI° siècle ?

En 1941, Henry Luce [1] proclama que le XX° siècle serait le siècle américain. Depuis lors, la plupart des analystes ont été d’accord avec lui. Le XX° siècle fut évidemment plus que le siècle étasunien. Ce fut le siècle de la décolonisation de l’Asie et de l’Afrique. Ce fut le siècle de l’épanouissement, en tant que mouvements politiques, du fascisme et du communisme. Ce fut aussi, tout à la fois, le siècle de la grande dépression et de l’incroyable expansion, sans précédent, de l’économie-monde pendant les 25 années qui suivirent la seconde guerre mondiale.
Ce fut cependant le siècle américain. Dans la période 1945-1970, les Etats-Unis se transformèrent en puissance hégémonique incontestable et modelèrent le système-monde à leur convenance.

Les Etats-Unis devinrent le premier producteur, la force politique dominante et le centre culturel du système-monde. Bref, les Etats-Unis dominèrent la scène, au moins pendant un temps.

Aujourd’hui, les Etats-Unis sont dans une décadence visible. De plus en plus d’analystes commencent à le déclarer ouvertement, bien que la position officielle de la classe dirigeante US soit de le nier vigoureusement, comme le fait également une certaine fraction de la gauche mondiale qui insiste sur la persistance de l’hégémonie de ce pays.

Mais partout, les réalistes à la pensée claire, reconnaissent que l’étoile étasunienne est en train de pâlir. La question sous-jacente à toutes les prévisions devient alors : « A qui appartiendra le XXI° siècle ? »
Bien sur, nous ne sommes qu’en 2006 et peut-être est-il trop tôt pour répondre à cette question avec quelque certitude. Cependant, partout dans le monde, les dirigeants politiques font des calculs autour de la réponse à cette question et formulent leurs politiques en conséquence. Si nous reposons la question et nous demandons simplement comment pourrait se présenter le monde en 2025, nous serons peut-être en mesure de dire au moins quelque chose d’intelligent.

Fondamentalement, il y a trois types de réponses à la question sur ce que sera l’état du monde en 2025.

- La première est que les Etats-Unis jouiront d’une ultime vigueur, d’une résurgence de leur puissance et continueront à dominer le poulailler en l’absence de tout concurrent militaire sérieux.
- La seconde est que la Chine remplacera les Etats-Unis comme superpuissance mondiale.
- La troisième est que le monde deviendra le champ d’un désordre multipolaire, anarchique et relativement imprévisible. Examinons la validité de chacune d’elles.

Les Etats-Unis en tête ? Il y a trois raisons d’en douter.

La première est une raison économique : c’est La fragilité du dollar étatsunien en sa qualité d’unique monnaie de réserve dans l’économie-monde. Le dollar est soutenu aujourd’hui par les achats massifs de bons du trésor par le Japon, la Chine, la Corée et d’autres pays. Il est très peu probable que cela dure. Quand le dollar chutera de façon dramatique, cela produira momentanément un accroissement des produits manufacturés [2], mais les Etats-Unis perdront le contrôle de la richesse mondiale et leur capacité à augmenter leur déficit sans sanction immédiate sérieuse. Les niveaux de vie baisseront [3] et apparaîtront de nouvelles monnaies de réserve, y compris le yen et l’Euro.

La seconde est militaire. L’Afghanistan et l’Irak encore plus, ont démontré ces dernières années que les avions, les navires et les bombes ne suffisent pas. Une nation doit aussi disposer d’une force terrestre pour vaincre la résistance locale. Les Etats-Unis ne disposent pas d’une telle force et ils n’en disposeront pas pour des raisons de politique intérieure. C’est pourquoi ils sont condamnés à perdre de telles guerres.

La troisième est politique. Les nations du monde entier aboutissent à la conclusion logique qu’aujourd’hui ils peuvent défier politiquement les Etats-Unis. Prenons l’exemple le plus récent : L’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui réunit Russie, Chine et déjà quatre républiques d’Asie Centrale [4], est prête à s’étendre en incluant l’Inde, le Pakistan, la Mongolie et l’Iran. Ce dernier pays a été invité au moment même où les Etats-Unis tentaient d’organiser une campagne mondiale contre le régime iranien. Le Boston Globe a défini, avec justesse, l’OCS comme une « alliance ANTI-BUSH » et un « glissement tectonique dans la géopolitique mondiale »

La Chine prendra-t-elle la tête d’ici 2025 ?

Il est tout à fait clair que la Chine fait très bien en matière économique, qu’elle développe considérablement ses forces militaires et qu’elle commence à jouer un rôle politique important dans des régions bien au-delà de ses frontières. La Chine sera indubitablement plus forte en 2025. Elle est cependant confrontée à trois problèmes qu’elle doit régler.

Le premier est interne. La Chine n’est pas stabilisée politiquement. L’importance de la réussite économique et le sentiment nationaliste plaident en faveur du régime du parti unique. Mais la Chine doit affronter le mécontentement d’environ la moitié de la population qui se sent exclue des bénéfices, et le mécontentement de l’autre moitié en raison des limites de leur liberté politique.

Le second problème est lié à l’économie-monde. L’incroyable expansion de la consommation en Chine (comme en Inde) prélèvera sa dîme sur l’écologie mondiale et sur les possibilités d’accumulation du capital.

Un Trop grand nombre de consommateurs et trop de producteurs aura de grandes répercussions sur les niveaux de profits mondiaux

Le troisième problème réside chez les voisins de la Chine. Si elle réussit à réintégrer Taiwan, si elle aide à régler la réunification de la Corée et si elle parvient à se concilier (psychologiquement et politiquement) le Japon, il se créera dans ce cas, une structure géopolitique unifiée en Asie orientale qui pourra occuper une position hégémonique.

Ces trois problèmes peuvent être résolus, mais ce ne sera pas facile. Et il n’est pas certain que la Chine parvienne à surmonter ces trois difficultés d’ici 2025.

Le dernier scénario est celui de l’anarchie multipolaire et de fluctuations économiques désordonnées. En raison de l’incapacité de l’ancien pouvoir hégémonique à se maintenir, de la difficulté d’en établir un nouveau et de la crise de l’accumulation du capital, ce troisième scénario parait le plus probable.

Immanuel Wallerstein

***

Notes du traducteur :

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Notes

[1Henry LUCE : célèbre éditorialiste étasunien (1898-1967) fondateur des grands magazines TIME, FORTUNE et LIFE. Soutien actif du Parti Républicain, il se signalera après la deuxième guerre mondiale par son anticommunisme, puis par son anticastrisme virulents. Ancien étudiant de YALE, il fut membre de l’étrange confrérie secrète des diplômés de cette université : les SKULLS AND BONES

[2Il s’agit de l’accroissement des exportations des produits MADE IN USA

[3Aux Etats-Unis

[4Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizstan

[5Henry LUCE : célèbre éditorialiste étasunien (1898-1967) fondateur des grands magazines TIME, FORTUNE et LIFE. Soutien actif du Parti Républicain, il se signalera après la deuxième guerre mondiale par son anticommunisme, puis par son anticastrisme virulents. Ancien étudiant de YALE, il fut membre de l’étrange confrérie secrète des diplômés de cette université : les SKULLS AND BONES

[6Il s’agit de l’accroissement des exportations des produits MADE IN USA

[7Aux Etats-Unis

[8Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizstan

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