Une tribune pour les luttes

Israël vs Hezbollah

Par Rana El-Khatib

Article mis en ligne le jeudi 27 juillet 2006

Le présent témoignage a été écrit il y a quelque jours par Rana El-Khatib, dans Beyrouth bombardé. La nuit dernière elle a compté 30 bombes qui firent trembler les murs de sa maison. Les mots ne suffisent pas à décrire l’horreur vécue présentement par des populations civiles innocentes qui ne sont pas des victimes “collatérales” mais les victimes principales des bombardements de l’armée israélienne. Jusqu’où ira la barbarie ? Israël vs Hezbollah : le côté ironique de ce titre ne saurait échapper.

Israël vs Hezbollah

Israël est déterminé à alimenter les braises de la tension qui règne dans la région. Les Israéliens ont pris pour cibles trois pistes d’atterrissage de l’Aéroport International du Liban - par deux fois, la seconde pour rebombarder une des pistes que les Libanais avaient remis en état. Ils ont bombardé plusieurs ponts et plusieurs quartiers d’habitation chiites, les qualifiant de “bastions du Hezbollah”. Ils ont bombardé plusieurs points principaux d’entrée et de sortie du Liban, y inclus la principale artère menant en Syrie. Leurs avions et leurs navires de guerre ont ravagé certains quartiers d’habitation. Les grondements et les nuages de fumée qui s’en suivent, qui rappellent les jours sombres de la guerre, portent avec eux la promesse d’une escalade. Ce sont plus de 50 civils qui ont été tués, sans compter les nombreux blessés, et semble t-il, le pire est à venir.

Il était difficile de prévoir exactement il y a encore quelques jours ce qu’il adviendrait sur ou autour de la “Ligne Bleue” [1]. Ceux qui veulent croire Israël veulent ceci, et ceux qui veulent croire le Hezbollah, veulent cela. Mais le résultat reste le même - des deux pays, c’est le Liban qui risque fort de souffrir des plus graves conséquences - à la fois par la perte d’innocentes vies humaines et en subissant une charge financière qui ne cessera de croître tant que cette situation durera. Israël a supporté une situation et l’a rendue bien pire qu’elle ne devrait être. Pour deux soldats, Israël est en train de frapper le coeur du Liban, le ramenant aux pires moments de sa guerre civile barbare.

Nous savons bien qu’Israël n’a pas besoin d’envoyer le moindre soldat sur le sol libanais pour faire du Liban un enfer sur la terre. Il a suffisamment de puissance de feu, par air et par mer, pour étouffer et en partie ensevelir le Liban sous son poids. Nos centrales électriques et notre aéroport ne sont qu’un début. Israël peut les détruire et le fera - comme il l’a fait dans le passé et comme il a fait pour deux de nos principales pistes d’atterrissage de notre nouvel aéroport construit dans une pathétique tentative de ressusciter notre industrie touristique. Cette fois, ce sont les conteneurs de carburant qui ont été détruits. Même si nous avons de l’électricité, il est possible que nous n’ayons plus de carburant pour longtemps.

La situation d’ensemble soulève la question suivante : l’action militaire du Hezbollah, la garde de deux soldats israéliens dans l’espoir d’un échange avec six combattants libanais, avec en plus les près de 10.000 Palestiniens injustement détenus en Israël, vaut-elle la peine si nous sommes sur le point de perdre les vies, au bout du compte, de plusieurs centaines de civils innocents ?

Il y a longtemps que le Hezbollah a cessé d’avoir peur de la puissance et de la brutalité, à l’échelle régionale, d’Israël. C’est nous les simples mortels - ceux d’entre nous qui préféreraient laisser tomber Israël et espérer qu’il en fera de même - qui sommes ébranlés à la pensée d’Israël canonnant impitoyablement notre espace et larguant des bombes là où nous sommes recroquevillés. C’est nous dont les gorges sont sèches et qui cherchons notre respiration au moindre rugissement au-dessus de nous. C’est nous simples mortels qui implorons pour la paix - même si ce que nous avons, en temps de “paix” n’est pas la paix idéale. Peut-être bien que nous nous contenterions de juste l’absence de guerre, parce que même dans une soi-disante “paix”, nous vivons dans un état d’intranquillité.

Israël est au-dessus de la loi, et à ce jour n’a jamais été tenu responsable de sa longue liste d’atrocités. Israël est aussi le maître des dérapages contrôlés. Il peut envahir, bombarder un pays, le ramenant à l’âge de pierre, tuer des milliers de personnes et encore paraître être la victime. Nous, dans le monde arabe, avons encore à maîtriser l’art d’être suffisamment unis pour raconter notre histoire, avant même de pouvoir dire qu’elle tourne en notre faveur. Nous sommes comme l’éléphant dans la porcelaine chinoise.

Nous voyons ce qu’Israël est en train de faire à Gaza. Après la capture par des combattants palestiniens d’un soldat israélien, le caporal Gilad Shalit, Israël est allé de sa diatribe. Avec un complet mépris pour le Droit International, plusieurs avions israéliens ont profané l’espace aérien syrien, pas seulement au-dessus de la frontière, mais au-dessus de la tête du président Bachar El Assad. Il a ensuite procédé à l’arrestation de 60 dirigeants du Hamas dont beaucoup sont des ministres de l’Autorité Palestinienne et des membres élus du Parlement palestinien. Il a par ailleurs détruit la seule centrale hydraulique, qui alimente en eau et en électricité la moitié des 1,4 millions d’habitants de Gaza. Il a ravagé des quartiers entiers de Gaza, bombardé des ponts essentiels, endommagé les canalisations et les réservoirs d’eau et forcé un millier de personnes à fuir leur domicile. Et dépassant les bornes, il a multiplié les vols aériens de ses F16 made in USA qui percent les tympans, sèment la panique, provoquent des booms supersoniques, empêchant les gens de dormir

En somme, les Palestiniens détiennent un soldat israélien pendant qu’Israël détient dans ses prisons presque 10.000 Palestiniens dont beaucoup sont des civils détenus illégalement, beaucoup torturés, Israël ayant carte blanche pour faire ce qu’il a fait et continue de faire aux Palestiniens. Cette parodie de justice n’est comprise ni par les Palestiniens, ni par le Hezbollah.

Maintenant, c’est le tour du Liban. Alors que le tourisme repartait, après l’arrêt provoqué par l’assassinat de l’ex Premier Ministre libanais Rafik Hariri en 2005, Israël met fin à nos espoirs - une fois de plus.

Au Liban, soit nous continuons à agir comme une épine dans la botte oppressive d’Israël, et souffrirons toujours autant des conséquences de ces actions, soit nous essayons de nous centrer sur notre Liban ressuscitant et sur notre place sur la scène internationale. Cette dernière option semble pouvoir épargner plus de vies innocentes mais alors nous existons dans un inquiétant état de calme. La précédente met fin à l’impasse, mais à quel prix ? Nous ne sommes pas de taille face à Israël, la Vache Sacrée du monde. Elle est au-dessus des lois ; ses actions échappent au radar de la moralité. Et quand le radar de la moralité la détecte, il y a toujours le grand frère d’Israël, les Etats-Unis, pour venir lui apporter une immorale défense devant les Nations Unies.

La question du Liban doit être résolue avant qu’elle ne nous emporte tous, y compris les observateurs en costume-cravate qui “pontifient” sur le “droit d’Israël d’assurer sa propre défense”, alors qu’ils alimentent l’arrogance et la puissance d’Israël, fournissant la clé qui perpétue la violence et l’injustice dans la région.

Dans l’intérim, il semble que le Liban et la Palestine sont destinés à exister perpétuellement dans les limbes du purgatoire et de l’oubli tandis qu’Israël continue à se faire les muscles et à les tester sur notre sol.

Rana El-Khatib

source : blog peacepalestine 15-07-06

Rana El-Khatib, auteur palestinienne-libanaise, vit à Beyrouth. Son e-mail est : brandedpoetry chez yahoo.fr

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Notes

[1Pour mémoire, cette Ligne Bleue a été définie par l’ONU comme frontière entre le Liban et Israël faute d’un accord entre les deux Etats sur le tracé de leur frontière commune.

[2Pour mémoire, cette Ligne Bleue a été définie par l’ONU comme frontière entre le Liban et Israël faute d’un accord entre les deux Etats sur le tracé de leur frontière commune.

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