Une tribune pour les luttes

Un Enfant de l’Invasion Israélienne

La Fabrication d’Issa

par Rana EL-KHATIB

Article mis en ligne le mardi 12 septembre 2006

En 1982, Issa avait cinq ans. Cette année-là, Israël a envahi le Liban, tuant plus de 19.000 civils libanais et plus de 9.000 Palestiniens du Liban. C’est alors qu’Israël a semé les graines de la résistance au Liban — les graines qui ont conduit à la formation du Hezbollah, les graines qui vont faire pousser Issa et qui vont entraîner sa mort 24 années plus tard alors qu’il résistait à une autre invasion du Liban par Israël.

Je connaissais Issa depuis 12 ans et je me souviendrai toujours de son sourire timide quand il parlait de sa nouvelle épouse avec laquelle il s’était marié deux années plus tôt, ainsi que de la manière dont il montrait les photos de sa nouvelle fille, Fatima, la fierté sortant de toutes ses pores. Issa était du Liban sud. Il a vécu la plus grande partie de sa vie sous occupation israélienne. Il a été le témoin chaque jour de la cruauté insouciante contre sa famille, son peuple, son Liban. Comme la plupart des Libanais du Sud, des membres de sa famille sont morts et leurs maisons détruites sous les bombes israéliennes.

Depuis 1968 Israël a tué 33.630 civils libanais et blessé 49.385 autres.

Bien que ce soit presque toujours le Sud qui a supporté le plus gros de la furie israélienne, aucun Libanais n’est épargné par cette brutalité. Et aucun Libanais n’ignore que la communauté internationale n’a pas bougé le petit doigt, laissant impitoyablement Israël tuer en toute impunité.

Les enlèvements commis par Israël sur des civils libanais et palestiniens sont passés dans une grande mesure inaperçus, n’entraînant aucune condamnation de la part des leaders du monde.

Des guérilleros palestiniens ont enlevé un soldat israélien le 25 juin en réponse à l’enlèvement par Israël de deux civils palestiniens la veille. Comme le monde était uni derrière Israël, ce détail n’a pas été relevé. Il n’y a pas eu d’appels pour leur libération, aucune reconnaissance d’un droit des Palestiniens à se défendre eux aussi. Au lieu de cela, alors qu’Israël déchaînait son courroux contre les civils de Gaza, le président Bush prit position pour Israël et déclara que ce dernier avait le droit de s’ "auto-défendre".

Aujourd’hui, avec quelque 9.200 Palestiniens croupissant dans les prisons israéliennes, la plupart sans jugement ni aucune charge réelle contre eux, Israël poursuit ses agressions contre les cités et villes des territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza et continue d’ enlever des civils palestiniens, y compris des personnalités politiques de premier plan, comme des ministres du gouvernement démocratiquement élu du Hamas et des membres du Conseil législatif palestinien. Le silence du monde est assourdissant.

Lorsque le 12 juillet, des combattants du Hezbollah capturèrent deux soldats israéliens dans l’intention de les échanger contre les six Libanais détenus dans les prisons israéliennes, Israël, une fois de plus avec le soutien des Etats-Unis d’Amérique, infligea des dommages massifs à la totalité du territoire libanais, détruisant sa fragile économie, tuant plus de 1.400 civils innocents et en blessant environ 4.000.

Même si les crimes d’Israël sont blanchis sous couvert de l’ "auto-défense", leurs traces sont enregistrées dans les mémoires de tous les Libanais.

En 1982, Israël a constitué une milice qui a arrêté, torturé et emprisonné des Chiites du Sud du Liban. La plupart ont été détenus dans la tristement célèbre prison de Khiam. Quand Israël a enfin fini par être chassé du Liban 18 années plus tard, le Hezbollah ouvrit les portes de Khiam au public. Il s’agissait d’un monument accablant sur la sauvagerie de la prison qui était placée sous la direction de la force de sécurité d’Israël, le Shin Bet.

Le Hezbollah proposait des visites guidées, souvent conduites par d’anciens prisonniers qui connaissaient Khiam comme leur poche. Ils s’arrêtaient à l’extérieur de chaque pièce afin de décrire, par des détails douloureux, les tortures et cruautés qui eurent lieu à l’intérieur de ses murs. Les cellules d’isolement absolu étaient particulièrement choquantes. Après l’ouverture de la prison, la puanteur des excréments et de l’urine humaine étaient insoutenables, la souffrance humaine manifeste.

Au cours de la dernière guerre, Israël a démoli la prison, afin de détruire les preuves. Il ne reste aujourd’hui que des ruines. Une autre parcelle de la sinistre et accablante preuve de la cruauté d’Israël au Liban a été éliminée. Mais les cicatrices de Khiam sont aussi gravées dans les mémoires des Libanais.

Quand Israël a à nouveau envahi le Liban, pilonnant le pays et promettant de le ramener vingt ans en arrière, Issa a pris les armes pour l’en empêcher. Il voulait vivre libre ou mourir en échappant aux étiquettes que lui collaient les envahisseurs. Un jour il se rendit chez lui pour passer quelques heures avec sa femme et sa fille. Il fut tué le jour suivant par un missile lancé d’un drone.

Issa était un enfant "made in Israël". Pour un Issa qui meurt injustement, dans le silence de la communauté internationale, dix autres naissent.

Il y a un autre chemin : celui de la justice.

Rana EL-KHATIB

Beyrouth, in CounterPunch, Edition du week-end des 2 et 3 septembre 2006

Source : www.counterpunch.org

Traduit de l’anglais en français par Gérard Jugant.

Rana El-Khatib est une écrivaine et poétesse palestinienne/libanaise vivant à Beyrouth.

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