Une tribune pour les luttes

« L’Afrique aux Africains » (Massinissa)

L’Afrique ne manque pas d’énergie ni d’intelligence mais de cap mobilisateur

par Chems Eddine Chitour

Article mis en ligne le mercredi 7 février 2007

C’est par cette certitude que le grand Aguellid Masinissa l’un des fondateurs de l’Algérie, il y a plus de 2000 ans, définissait le cap à suivre pour l’indépendance de l’Algérie et partant de l’Afrique. D’ailleurs il semble que le mot « Afrique » serait berbère.

« L’Afrique aux Africains »
Massinissa

« Les Berbères Numides utilisaient le mot “Taferka” qui signifiait “Terre” dans le sens de “propriété terrienne”, et le mot “Aferkiw” pour désigner celui qui vit sur la terre dans le sens de propriétaire terrien. La célèbre maxime numide traduite en latin par la suite a donné le mot “Africa” pour désigner les terres de la côte sud de la Méditerranée autour de la Numidie et de Carthage (plus tard et après l’Empire romain les Européens utilisèrent le mot "Afrique" pour désigner tout le continent africain) » [1].

Que reste t-il de ce continent qui fut le berceau de l’humanité ?
« Lucy », l’Eve africaine, aurait vu le jour dans la corne de l’Afrique, mieux encore l’homme de Tsumaï (découvert au Tchad) serait notre plus lointain ancêtre, il y a 7 millions d’années. Quand on parle de l’Afrique, plusieurs sentiments nous viennent.
Si l’on regarde l’aspect tourisme, l’Afrique c’est le Sahara, c’est les safaris, le farniente de l’homme blanc. C’est aussi le continent de l’horreur des épaves de « harraguas » par milliers qui fuient le pays de leurs ancêtres, pour aller mourir sur les plages des anciennes et toujours puissances coloniales européennes.
Si l’on regarde sous l’angle de l’histoire, l’Afrique est le continent de Cham le maudit de la Bible, donc condamné par l’Eglise à accepter sa condition d’esclave, car pour Bossuet « telle est la volonté divine ». De par cet adoubement, l’homme blanc qui se dit « civilisé », conforté dans ses certitudes est parti à la conquête de ce continent pour, dit-on, le civiliser en l’animalisant. Franz Fanon parlant du colon dit qu’il utilise « un langage zoologique » remis au goût du jour. Bien plus tard s’agissant de nommer les descendants de ces « esclaves » et de ces colonisés, Jean Pierre Chevènement parle de « sauvageons » tandis que Nicolas Sarkozy, « français plus français que les colonisés immigrés », lui, parle de racaille à traiter au karcher. C’est dire si le sort de l’Afrique et des Africains n’est pas enviable.

Que reste t-il de l’Afrique devenu, à partir des années soixante, formellement indépendante, par suite de décolonisations bâclées, où les anciennes puissances coloniales décident d’un solde de tout compte envers les pays qu’ils ont subjugués. Souvenons-nous de soubresauts sanglants du fait des manipulations, l’exemple le plus typique est celui de Patrice Lumumba sacrifié au profit d’un Moïse Tchombé beaucoup plus docile. De ce fait, le nécolonialisme a pris la place du colonialisme brutal sous les habits d’un paternalisme et de « chasse gardée » qui ressemble étrangement aux découpages des anciens empires coloniaux. On connaît la politique africaine de de Gaulle et de son « monsieur Afrique, Jacques Foccar », par la suite ce sera le discours de Mitterand à la Beaule. Les bons points sont distribués envers les dirigeants africains respectueux « des droits de l’homme » dont la norme est détenue par les anciennes puissances coloniales.

Que reste t-il d’un continent qui regorge de richesses- malgré la rapine sauvage des anciens colonisateurs- et qui est géré sans cap mobilisateur par des dirigeants qui en font une propriété personnelle ! Le développement de l’Afrique est hypothéqué par une gabegie des différents dirigeants qui se sont succédés depuis un demi-siècle et dont la légitimité des dirigeants est dans l’immense majorité des cas décidé par les anciennes puissances coloniales et non, on l’aura compris par les peuples. Et pourtant l’Afrique est un continent exubérant plein de jeunesse qui ne demande qu’à vivre et non pas à mourir dans des embarcations de fortune au large des Canaries, des barbelés des villes espagnoles ou des côtes de Lampédusa ? portes d’entrée de la forteresse de l’opulente Europe qui a bâti sa prospérité sur le sang, les larmes, et les matières premières de ces pays africains.

Si on tente de décrire l’une des multiples facettes des potentialités de l’Afrique, on s’aperçoit que les atouts ne manquent pas. On dit que l’Energie est le moteur du développement. L’Afrique n’en manque pas. Savons-nous que la plupart des Africains dépendent, pour la majeure partie de leur énergie, des combustibles, en particulier le bois de feu, mais aussi des déchets animaux et des résidus de l’agriculture et beaucoup de cette énergie est utilisée pour la cuisine. Si, dans l’absolu, l’Asie utilise un pourcentage plus important de bois de feu que l’Afrique (46% contre 30%), l’Afrique a de loin la plus importante consommation par habitant. La superficie de l’Afrique est de plusieurs millions de km2 (15% du total mondial) ; Sa population dépasse les 850 millions d’habitant (15%) son PNB est de 530 milliards de dollars ; sa dette dépasse les 2500 milliards de dollars. Les réserves Pétrole 10 milliards de tonnes (7,1%). Les réserves en gaz 11 400 milliards de m3(7,5%) , et les réserves en charbon sont de 55 milliards de tonnes, (10,6%) ses réserves en uranium sont de 613.000 tonnes (≤ 130 $/kg) (18,7%) . Enfin la capacité hydroélectrique est supérieur à 1900 TWh/an (13%) [2].

L’utilisation de l’électricité présente le même schéma de concentration dans l’extrême nord et l’extrême sud. L’Afrique du Sud représente près de la moitié (46%) de toute l’électricité consommée sur le continent, tandis que l’Egypte, la Libye et l’Algérie, à elles trois, en consomment 30%. Deux tiers de l’Afrique ne sont pas raccordés au réseau. La production d’électricité de nombreux pays africains est équivalente à celle d’une petite ville d’Europe ou des Etats-Unis, et la consommation par habitant est infime, descendant même à 24 KWh par habitant et par an dans certains pays contre 500 fois plus en Europe !

Les divergences dans la consommation d’énergie reflètent parfaitement le tableau de la répartition des richesses, du revenu par habitant et de l’urbanisation dominée par le nord et le sud de l’Afrique. Elles témoignent toutes de la forte relation entre le développement économique et l’utilisation de l’énergie commerciale. Même si l’on tient compte du fait que dans une économie de subsistance, le revenu par habitant ne reflète pas l’existence de besoins divers hors de l’économie commerciale, les niveaux de pauvreté atteints dans beaucoup de pays d’Afrique sont à l’évidence extrêmement préoccupants. Les 27 pays figurant en queue du classement du Développement Humain des Nations-Unies sont situés en Afrique. De la même façon, vaincre cette pauvreté énergétique implique que la dépendance envers les combustibles traditionnels soit réduite. L’énergie commerciale est nécessaire, à la fois sous des formes décentralisées et à plus grande échelle. L’énergie décentralisée aidera les communautés rurales et isolées, mais les progrès, notamment dans les zones urbanisées, passeront par la fourniture d’énergie commerciale sur une grande échelle. Pour cela, la géographie énergétique de l’Afrique implique de passer par un développement régional intégré de l’énergie.

Alors que l’Afrique possède, dans l’absolu, les ressources énergétiques suffisantes, la distribution de ces diverses ressources à travers le continent est extrêmement inégale. C’est l’organisation de la distribution et de l’utilisation de l’énergie qui motivent la mise en place d’un développement intégré de l’énergie au plan régional et, à terme, au plan continental. La Libye possède les réserves récupérables les plus importantes du continent (3.892 millions de tonnes), suivie par le Nigeria (3.000 millions de tonnes) et l’Algérie (1.236 millions de tonnes). Le Nigeria est le premier producteur de pétrole en Afrique avec 98 millions de tonnes, devant la Libye, l’Algérie, l’Egypte et l’Angola. Sur un total de 46 raffineries en Afrique, 9 sont en Egypte. Le Nigeria, l’Algérie et l’Afrique du Sud en ont 4 chacun, tandis que 17 pays n’en ont qu’une seule. En termes de capacité de raffinage, l’Egypte vient au premier rang avec 726.000 barils/jour, alors que l’Afrique du Sud, l’Algérie et le Nigeria atteignent respectivement 469.000, 450.000 et 439.000 [3].

Les réserves africaines de gaz sont de la même façon concentrées au nord de l’équateur. L’Algérie dispose des plus importantes réserves d’Afrique et des 7èmes dans le monde, avec 4500 milliards de mètres cubes. Le Nigeria vient ensuite avec 3500 milliards de m3, puis la Libye avec 1300 milliards de m3. Seuls deux pays au sud de l’équateur (le Mozambique et la Namibie) possèdent des réserves dépassant les 50 milliards de m3. L’Algérie est également le premier producteur de gaz en Afrique - et de très loin - et elle est le 4ème producteur mondial. La production algérienne a été de 83 milliards de m3 en 1999. Le deuxième producteur africain est l’Egypte, avec 15,5 milliards de m3, puis le Nigeria, avec 7 milliards de m3. Par contraste avec le pétrole et le gaz, la quasi-totalité des réserves africaines de houille sont dans le sud. Elles sont principalement bitumineuses et 90% se trouvent en Afrique du Sud, avec des réserves récupérables estimées à 50 milliards de tonnes en 1999. La plupart des réserves restantes sont partagées entre les voisins de l’Afrique du sud, le Botswana, le Zimbabwe, la Mozambique et le Swaziland. L’Afrique du Sud est aussi le premier producteur de houille, avec une production de plus de 220 millions de tonnes en 1999.

Si les hydrocarbures liquides et gazeux sont concentrés dans le nord du continent et les combustibles solides dans le sud, le potentiel hydroélectrique se situe essentiellement en Afrique centrale et en Afrique de l’Est. L’Afrique a une capacité techniquement exploitable de 1,888 TWh/an dont 41% (soit 774 TWh/an) sont situés dans un seul pays, la République Démocratique du Congo, grâce au puissant fleuve Congo. L’Ethiopie, avec ses hauts plateaux, a une capacité exploitable de 260 TWh/an et le Cameroun de 115 TWh/an. Madagascar a également une forte capacité potentielle de 180 TWh/an. En termes de capacités installées, l’Egypte, avec son fameux Barrage d’Assouan, vient en tête avec 2.810 MW, suivie par la République Démocratique du Congo (2.440 MW) et le Mozambique (2.180 MW), tandis que le Mozambique (11.548 GWh) et l’Egypte (11.450 GWh) sont les premiers producteurs d’hydroélectricité (données 1999).

Il y a également de grandes possibilités de schémas hydrauliques à petite échelle dans maints pays d’Afrique. Le continent africain est, dans sa majeure partie, bien exposé au soleil, mais la technologie photovoltaïque est généralement encore trop onéreuse pour être appliquée en Afrique. Les ressources géothermales sont concentrées dans la vallée de la Mer Rouge et dans la vallée du Rift. L’Algérie possède plus de 200 sources géothermales inexploitées pour cause de solution de facilité. Le Kenya est le principal exploitant de l’énergie géothermale en Afrique, avec 45 MWe et l’utilisation directe de la chaleur. L’Ethiopie est le seul autre pays africain à produire aujourd’hui de l’électricité géothermale. Le potentiel éolien en Afrique est très largement inexploité à ce jour. L’Egypte est le pays le plus avancé dans ce domaine, avec une capacité installée de plus de 15 MWe Le Maroc a installé une ferme éolienne avec 10 MWe. Il y a de toute évidence un énorme potentiel additionnel. Des autres sources renouvelables, la plus prometteuse est sans doute la biomasse, si elle était produite et utilisée de façon plus durable. Comme on l’a vu, la biomasse, y compris le bois, est la principale contribution pour couvrir les besoins de l’Afrique en énergie. Cependant, elle est utilisée inefficacement et pollue l’air ambiant et dégrade l’environnement lui-même bien abîmé.(id 3).

L’Afrique est relativement riche en uranium et elle possède une longue tradition de production de l’uranium en tant que sous-produit de la production d’or en Afrique du Sud. La plus grande quantité de réserves récupérables à moins de $130/kg se trouve en Afrique du Sud, en Namibie, au Niger et en Algérie. Le Niger produit 2.918 tonnes de production annuelle de U 3O8 (en 1999), suivi par la Namibie, avec 2.689 tonnes, et l’Afrique du Sud, avec 1.093 tonnes.

Il apparaît donc clairement que la combinaison de la distribution des ressources d’énergie est inégale, mais chaque région dispose d’options pour la fourniture d’une énergie moderne, efficace et relativement propre, bien que chaque source ait ses avantages et ses inconvénients particuliers. Cependant, on l’a vu, la dépendance aux combustibles traditionnels demeure très importante. Alors, où est utilisée l’énergie commerciale en Afrique ?

La consommation d’énergie commerciale est fortement concentrée dans l’extrême nord et dans l’extrême sud du continent. L’Afrique du Nord domine la consommation de pétrole. A elles trois, l’Algérie, la Libye et l’Egypte représentent 58,5% de la consommation africaine. L’Afrique du Sud en consomme 14% et les 27,5% restants sont répartis entre les autres pays. L’utilisation du gaz est encore plus concentrée dans le nord de l’Afrique que le pétrole. L’Algérie, la Libye et l’Egypte comptent pour 77% de la production continentale. Le Nigeria représente 11% supplémentaires de la consommation de gaz. S’agissant de la consommation de houille, l’Afrique du Sud consomme 93% de la consommation totale de l’Afrique.

Voilà donc décrite une facette des potentialités de l’Afrique.
Pourquoi l’Afrique ne décolle pas ?
Elle est invisible dans les statistiques mondiales, si ce n’est qu’en terme de vache à hydrocabures. La rente de certains pays, ne saurait être le développement. La vraie richesse de l’Afrique, c’est cette jeunesse en panne d’espérances. Ce n’est pas les rendez vous traditionnels, des « sommets africains » où les dirigeants donnent l’impression de vivre sur une autre planète, totalement déconnectés des aspirations démocratiques de liberté, de seulement de vivre dans la dignité de leur peuple. La schizophrénie est telle qu’on se prend à se demander s’ils parlent des mêmes Africains. Quand on entend que les pays africains s’auto-évaluent et s’encouragent mutuellement pour mettre en place la « bonne gouvernance », c’est à mourir de rire, si ce n’était pas tragique. Quand on nous dit « que nous allons voir ce que nous allons voir » avec le Nepad cette Arlésienne de Bizet, ce monstre du Loch Ness qui tarde à apparaître pour enfin apporter la sérénité à ces peuples épuisés, on se prend à rêver. Prions que le cauchemar cessent et que les Africains, redeviennent ce qu’ils étaient. Ceci ne peut se faire qu’en associant les peuples à leur destin. Je suis sûr que le retard sera rattrapé, que l’Afrique pourra, même, devenir une puissance nucléaire qui comptera. Amen.

Prof.Chems Eddine Chitour

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Notes

[1Histoire de l’Algérie : Encyclopédie Libre Wilkipédia.

[2Nations Unies, Etude des Ressources Energétiques 2001, WEC, Atlas du Times.

[3World Energy Council. Bilan 1999-2005.

[4Histoire de l’Algérie : Encyclopédie Libre Wilkipédia.

[5Nations Unies, Etude des Ressources Energétiques 2001, WEC, Atlas du Times.

[6World Energy Council. Bilan 1999-2005.

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