Une tribune pour les luttes

"Je poursuis ma grève de la faim..."

Corps enseignant

par Jean Philippe JOSEPH.

Article mis en ligne le vendredi 23 février 2007

On apprend vite à s’y faire, dans l’Education nationale. On nous prend, on
nous place, on nous déplace, on nous partage. On coupe notre temps, on
l’éclate, on aménage nos salles. On l’avait appris en tant qu’élèves, on
le poursuit en tant qu’enseignants, que surveillants, que CPE, qu’ATOSS.
Une fois muté, affecté à une zone, à un établissement, à un service. ces
affectations rechangent. On nous « affecte » , on nous « gère ».

Une fois stabilisés, on acquiert un peu de liberté pour développer notre
talent, quand on en a encore le goût. Avant de se poser, on gesticule, où
on peut, on bricole des projets sans lendemain : l’an prochain on sera
ailleurs, d’autres contraintes administratives, d’autres villages,
d’autres villes auxquels s’adapter, d’autres enseignements. C’est précieux
quand on nous pose ; alors nos vrais projets peuvent se développer, nos
enseignements peuvent mûrir. On n’est plus dans la survie. On habite. On
connaît nos élèves, les frères et sours, les parents. Ca change tout.
C’est si précieux que souvent, on n’ose plus bouger, on se recroqueville
sur sa famille, sa maison. On a assez bougé.

Souvent aussi on a envie d’essayer, de prendre des risques, d’avoir du
génie, de se gourrer, de se battre. Parce qu’on aime ça, parce qu’on les
aime bien, parce que ça vaut la peine, parce qu’ils le méritent. Alors, si
on veut nous faire payer, si on veut faire taire les autres, il suffit de
nous bouger, de nous « gérer » : de changer l’emploi du temps, de changer
les cours, les classes, les villes et les villages. Et c’est reparti pour
la survie, les nouveaux repères, les trajets, les nouveaux cours, les
aller-retours, les bizutages du nouveau.

Nos corps sont gérés, comme ceux de nos élèves et se développent des
coquilles technologiques (TICE, Iprof, vidéosurveillance, scanner laser
des absences, ritaline.) qui nous enveloppent, « pour notre bien » et
donnent l’impression que tout fonctionne. Peu importe que derrière cette
coquille, dans cette coquille, tout s’effondre. Peu importe que nos élèves
soient psychologiquement en ruine, du moment qu’ils sont présents, assis
et muets, peu importe que les profs soient sous calmants et qu’ils ne
croient plus en leurs « contenus ». Sauvons les apparences, The show must
go on !

Aujourd’hui, Roland Veuillet me parle peut-être de ça. De ces personnes
qui morflent déjà dans leur quotidien et qu’on déplace comme ça, un jour,
à 300km de chez eux, pour les punir. Et toc ! De ces corps qui crient
qu’ils ne sont pas heureux dans nos écoles et qui veulent s’enraciner. De
ceux auxquels on demande sans cesse des preuves. Ils peuvent courir 16 500
km et ne pas s’alimenter pendant deux mois, on leur en demandera encore.
Comme ces sans-papiers auxquels on demande sans cesse des preuves de leur
amour du pays après qu’ils aient traversé les Pyrénées pieds nus.

J’habite mon lycée et j’habite ma classe. Nos corps enseignent, entourent,
encadrent les enfants dans nos écoles. C’est sur eux que s’appuie notre
métier, c’est avec mon corps que je fais le mien. Ce qui nous menace, ce
qui nous appauvrit moi, mes élèves et mes collègues c’est cette Gestion.

Pour ça, je poursuis ma grève de la faim pour que Roland Veuillet soit
approché des siens, pour qu’on ne stigmatise pas l’action politique alors
qu’on se gargarise d’« éducation à la citoyenneté », pour qu’on arrête de
médicaliser et de psychiatriser celles et ceux qui sont encore en vie, qui
réagissent encore en humains.

Jean Philippe JOSEPH

Professeur d’économie-droit

Lycée JB Dumas
Alès

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