Une tribune pour les luttes

La face cachée du co-développement

par Damien Millet, Nicolas Sersiron

Article mis en ligne le mercredi 11 avril 2007

Chez les principaux candidats à l’élection présidentielle française, l’expression fourre-tout du « co-développement » fait florès. Pourtant, le terme est particulièrement discutable : en quoi ce co-développement diffère-t-il de l’aide au développement, qui appartient elle-même à la pensée néocoloniale ? Car comme l’a écrit l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo : « On ne développe pas, on se développe. » Les peuples africains sont privés de leurs propres richesses au profit d’une minorité qui s’enrichit démesurément, tant au Nord que sur le continent noir, et toute forme de développement est impossible dans ces conditions.

La plus belle ambition internationale d’un candidat à l’élection présidentielle française ne serait-elle pas de permettre aux populations africaines d’enclencher le développement qu’elles auraient elles-mêmes choisi, en faisant en sorte que, débarrassées du fardeau de la dette, elles disposent enfin des leviers de décision ? Dans ce cas seulement pourront émerger un réel espoir d’une vie meilleure dans leur pays et la dignité qui leur est refusé depuis des siècles. Les solutions pour permettre aux peuples du Sud de construire un avenir plus juste sont connues.

L’annulation immédiate de toutes les dettes extérieures publiques, dont une grande part est illégitime et odieuse, rendrait possible la fin de la domination subie avec une si grande violence par les populations africaines, notamment les plus démunies. Asphyxiés par le remboursement de la dette, qui représente très souvent plus du tiers du budget, et par la captation des richesses par des dirigeants peu scrupuleux au service des grandes puissances, les Etats africains sont donc privés des moyens financiers de garantir les droits humains fondamentaux pour leurs populations.

Un audit des créances de la France sur ces pays, réalisé par le gouvernement français avec la participation des mouvements sociaux, permettrait de savoir à qui ont profité les sommes prêtées. Celles ayant servi à corrompre des dirigeants africains (et à rétro-corrompre certains responsables politiques français), à réprimer des populations en quête de justice et de démocratie, à enrichir des sociétés transnationales ou à élaborer des projets pharaoniques pour le profit de dirigeants mégalomaniaques et d’entreprises amies soutenues par la France sont nulles et non avenues d’un point de vue juridique.

Les paradis fiscaux sont au cœur du dispositif, permettant une évasion facile de capitaux ainsi soustraits à l’impôt, ici comme ailleurs. Des centaines de milliards de dollars, qu’ils aient été acquis illégalement ou non, sont dissimulés dans ces trous noirs de la finance qui sont moralement injustifiables. Ces paradis fiscaux sont à nos portes (Monaco, Andorre, Luxembourg, Suisse, City de Londres et tant d’autres) et le gouvernement français peut très facilement, si la volonté politique existe, porter le combat contre ce scandale qui dépossède la majorité des humains.

La France, quatrième actionnaire de la Banque mondiale et du FMI, pourrait utiliser son pouvoir au sein de ces institutions pour placer ces questions au cœur du débat public et promouvoir un changement radical de ces deux institutions-clés, au bénéfice des plus démunis. Actuellement, les conditionnalités qu’elles imposent à ces pays empêchent les Etats du Sud de mener une politique orientée vers l’amélioration des conditions de vie de leurs populations. Cette forme de colonisation économique, qu’on a osé appeler « bonne gouvernance » et dont les dirigeants du Sud sont complices, prend différentes formes qui frappent de plein fouet les populations pauvres :

- l’ouverture des frontières aux sociétés transnationales qui s’approprient une grande part des richesses naturelles africaines et rapatrient leurs bénéfices en ne laissant en Afrique qu’inégalités et désastres écologiques. Une taxe sur les bénéfices de ces sociétés et sur les transactions financières internationales pourrait s’attaquer aux inégalités les plus flagrantes du modèle économique dominant ;

- le « tout à l’exportation », imposé par les créanciers, au détriment de l’agriculture vivrière, pour rembourser cette dette dont le montant n’a plus aucune réalité économique. Les nouveaux prêts servent le plus souvent à rembourser les anciens... Si l’on sait que la moitié de la population africaine vit avec moins de 2 dollars par jour, on sait moins que 70% de ces personnes vivent dans les campagnes et sont les premières touchées par la sous-alimentation.

- la disparition imposée de toute barrières douanières de protection pour l’agriculture des pays du Sud alors que les productions européennes sont largement subventionnées et particulièrement polluantes. Elles arrivent sur les marchés africains à des prix inférieurs à ceux des productions locales, empêchant les petits paysans - du Sud mais aussi du Nord d’ailleurs - de vivre dignement de leur travail. La France pourrait promouvoir à l’échelle internationale un commerce plus équitable et une agriculture paysanne, visant avant tout à la souveraineté alimentaire de tous les pays.

L’annulation totale et inconditionnelle de la dette des pays du Sud, un mécanisme de répartition équitable de la richesse, la suppression des paradis fiscaux et une autre architecture financière internationale seraient de nobles combats pour une France qui aujourd’hui prend toute sa part dans le puissant mécanisme d’oppression en place. Question secondaire lors d’une campagne présidentielle, nous direz-vous ? Rien de plus faux ! Prétendre gouverner demain la France dans le respect des valeurs de justice reconnues par le droit international sans vouloir rompre avec la logique néolibérale actuelle ne peut être qu’une erreur politique majeure.

Source :

URL : http://www.cadtm.org

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