Une tribune pour les luttes

"Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair- obscur, surgissent les monstres" (Antonio GRAMCSI)

par Gustave Massiah,

Article mis en ligne le dimanche 17 juin 2007

18 avril 2007

Le contexte stratégique

Dans les périodes électorales beaucoup de contradictions affleurent. Ces
périodes ne sont pas seulement des révélateurs des enjeux et des défis, ce
sont aussi des moments où se nouent et se dénouent des évolutions possibles.

La période dans laquelle nous entrons est marquée par une double hégémonie
et par la crise de ces deux hégémonies : une hégémonie des politiques
néo-libérales et une hégémonie géopolitique des Etats-Unis.

Les issues de
ces crises ne sont pas prédéterminées.

La société française est caractérisée par le cours dominant de la phase
néo-libérale de la mondialisation mais elle est aussi marquée par de très
fortes spécificités.

La société française vit une contradiction fondamentale. Elle est grosse
d’immenses possibilités, de dépassements, d’émancipations comme en
témoignent les luttes, les initiatives et les pratiques sociales nouvelles.

Cette transformation qui gronde suscite une réaction conservatrice d’une
rare violence. Elle prend la forme d’une régression sociale, d’une atteinte
aux libertés et d’une montée politique de la droite extrême.

La campagne électorale s’inscrit dans une série d’élections (présidentielles
et législatives en 2007, municipales en 2008, européennes en 2009) qui vont
dans les trois prochaines années recomposer le paysage politique français.

Il nous faut dans l’immédiat, construire un front contre la droite-extrême ;
à moyen terme, ouvrir une perspective alternative, et à long terme, mener
l’offensive dans la bataille des idées. C’est dans ce contexte que se situe
la construction de la prochaine période de Attac.

Une offensive conservatrice d’une rare violence

La contre-offensive sociale s’appuie toujours sur le chômage et la
précarisation. Elle met en scène la logique de l’ajustement au marché
mondial et la dictature du marché mondial des capitaux.

Alors que les
profits n’ont jamais été aussi grands, les licenciements augmentent et la
pression sur les salaires s’accentuent. Le scandale des stocks options, des
« parachutes en or » et des cadeaux fiscaux étale un cynisme et une
indécence insupportable.

La société est en danger. Les inégalités sociales se creusent, la pauvreté
progresse dans notre société et dans le monde. Le lien social se brise. La
crise du logement témoigne de la pauvreté, de l’exclusion et de la
déshérence des politiques publiques. L’insécurité augmente, elle est la
conséquence directe et le résultat recherché des politiques dominantes. Plus
de 75% des résidents en France pensent qu’ils pourraient devenir des SDF !

Insécurité sociale et peur du chômage, insécurité écologique et peur de
l’avenir des générations futures, insécurité physique et peur du terrorisme
et des guerres, insécurité civique et peur de la violence.
Les libertés sont en danger.

La Ligue des Droits de l’Homme a publié le bilan d’une législature
sécuritaire. Le bilan est effrayant Toujours moins de libertés, un contrôle
social et une « société de surveillance » généralisée, une pression
policière de plus en plus intrusive, le recul des garanties judiciaires pour
les perquisitions, les fouilles, les gardes à vue, la détention provisoire.

Toujours plus de répression, une justice expéditive, plus sévère pour les
pauvres, la substitution de la répression à l’éducation. Des discriminations
qui ciblent les personnes en difficultés, la chasse aux « marginaux » et aux
« différents ». La politisation de la répression et du contrôle social. La
tendance à la privatisation de la justice et de la police.
La chasse aux étrangers a pris un tour terrible.

La Ligue des Droits de l’Homme a publié aussi le bilan effrayant d’une
législature xénophobe. Elle pointe les armes de cette chasse : le fichage,
les obstacles supplémentaires à l’entrée en France, la politique humiliante
des visas, la précarisation du séjour, la double peine maintenue, la traque
des sans-papiers et l’insécurisation de tous les étrangers, la délinquance
étendue à la solidarité. Les cibles s’élargissent : les conjoints des
français, les parents d’enfants français, les membres de famille, les futurs
français, les travailleurs, les demandeurs d’asile, etc.

La montée de la droite extrême

La convergence de l’extrême droite et de larges courants de la droite
conduit à la mise en avant d’une droite extrême. Cette alliance est une
réponse au mouvements des années quatre vingt dix (94 en Italie, 95 en
France, 96 en Allemagne et aux Etats-Unis). Les dominants, les possédants et
les privilégiés ont choisi la manière forte pour faire face aux résistances
sociales, citoyennes et à celle des peuples dominés.

Cette situation n’est pas réservée à la France. L’Italie de Berlusconi en
est une des illustrations, prémonitoire en quelque sorte. Le basculement
d’une large partie de l’Europe (Autriche, Pays-Bas, Danemark, etc.) marque
le succès de cette droite extrême qui s’inscrit dans l’évolution des
Etats-Unis de Bush.

Le succès de la droite extrême se fait en deux temps : construire une
extrême droite et contraindre la droite à passer alliance avec cette extrême
droite. C’est dans la bataille des idées que se construit, en vingt cinq ans
cette alternative fascisante. Les clubs occidentaux, à l’image du Club de
l’Horloge en France, les courants évangélistes et les franges rigoristes des
différentes religions lancent une première offensive contre l’égalité à
partir de la justification génétiques des différences, des races et des
inégalités.

La deuxième vague d’offensive idéologique, rejette sur les pauvres et les
exclus la responsabilité de leur situation et propose de combattre
l’insécurité et les incivilités par la répression et le fichage génétique
généralisé.

La droite extrême a réussi à déplacer l’échiquier politique vers l’extrême
droite en plaçant le débat sur l’insécurité, l’immigration et la xénophobie.

Ce sont les terrains qu’elle laboure depuis vingt-cinq ans. Elle avait
échoué à contraindre la droite à choisir cette alliance. Le deuxième tour de
2002 en montrant que 80% des français refusait cette alliance avait fait
échouer les propositions qui allaient dans ce sens.

Mais, la fraction dominante de la bourgeoisie considère aujourd’hui que la
situation est trop dangereuse. La montée des luttes et les résultats du
référendum européen l’ont convaincu qu’il y avait un risque d’alternance
comme l’a confirmé le résultat des régionales. De plus, l’émergence de
courants radicaux l’a inquiété sur la capacité du PS à y résister ; la
défaite de courants plus ou moins gaullistes et non-atlantistes a conduit à
la victoire de la droite extrême dans la droite.

Le PS reste, à court terme, un enjeu central. Il a réussi en moins de quatre
ans à surmonter sa défaite de 2002 et à servir de recours aux élections
régionales. Mais, il a accentué sa posture de parti de gouvernement et n’a
pas réussi à imposer son terrain. Il s’agit d’une évolution qui dépasse la
situation en France. La social démocratie a perdu sa capacité à représenter
un réel projet de transformation sociale. Il lui reste une position stable,
c’est une posture « blairiste », en ne le prenant pas au sens caricatural et
en admettant qu’il peut y avoir une posture moins atlantiste, ou moins « 
bushiste » et en cherchant à combiner l’acceptation néo-libérale avec une
relance de services publics.

Elle est confrontée à une recomposition interne qui combine trois courants
qui cohabitent, avec différentes articulations, dans tous les partis et les
mouvances de la gauche. Proposons de distinguer : un courant « blairiste »
tenté par un libéralisme mondial, un courant régulationniste et keynésien
plus attaché à l’Etat social, un courant altermondialiste à la recherche
d’une alternative nouvelle.

Le PS, n’ayant pu se positionner sur une alternative, privilégiant
l’alternance, n’a pu éviter de se laisser entraîner sur les terrains de
l’insécurité sans pouvoir se dégager de la manière de les définir de la
droite extrême.

Les alternatives altermondialistes

L’affirmation des alternatives, même si elles sont à long terme, est une
nécessité pour la bataille immédiate. Sans la perspective d’un autre monde
possible, on est conduit à des choix tactiques et à accepter le terrain des
adversaires, c’est à dire ceux aujourd’hui de la droite extrême. Nous nous
situons dans cette perspective, celle d’un courant altermondialiste capable
de construire des réponses qui s’ancrent dans les réalités immédiates, qui
refuse radicalement le néolibéralisme, en tant que la plus récente des
phases du capitalisme, et qui s’attache à tirer les leçons des échecs du
social-libéralisme, du keynésianisme fordiste et du soviétisme.

L’alternative altermondialiste propose une orientation stratégique :

substituer à la régulation de chaque société et du monde, par le marché
mondial des capitaux, une régulation fondée par l’accès aux droits
fondamentaux pour tous dans chaque société et dans le monde.

Cette orientation se retrouve dans toutes les luttes, dans les résistances,
les mobilisations et les propositions. Elle a permis de mettre sur la
défensive les fondements des politiques néo-libérales, les plans
d’ajustement structurel, et de mettre en avant la nécessité de la
redistribution et de la régulation publique dans le débat international.

C’est cette orientation qui est la critique la plus forte du type de
croissance que nous refusons et de la recherche d’autres types de
développement. Cette orientation fonde aujourd’hui les bases des alliances
sociales et citoyennes entres les syndicats, les organisations paysannes,
les associations écologistes, de consommateurs, féministes, de jeunesse, de
défense des droits humains et de solidarité internationale.

Elle sert de
base pour construire l’alliance plus large avec les collectivités locales et
de larges secteurs des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Elle peut ouvrir, dans certaines situations, à des ouvertures vers des
entreprises locales et même vers des entreprises nationales, notamment
publiques. Nous pouvons vérifier dans la campagne électorale que le débat
sur l’accès aux droits n’est plus contrôlé par la droite-extrême qui a du
mettre une sourdine à son antienne favorite : privatisons et laissons faire
le marché.

L’alternative altermondialiste consiste à lier fortement les dimensions
sociales, écologistes, démocratiques et solidaires.

L’avancée est claire dans la campagne électorale sur le refus du
productivisme et les dangers pour l’écosystème planétaire.

Encore faut-il
éviter la tentative de séparer la prise de conscience écologique des
conséquences sociales, démocratiques et solidaires.

Les avancées sont moins claires sur le plan de la démocratie, mais il y a
des indices perceptibles. L’appropriation des nouvelles technologies par les
internautes et les logiciels libres, les mouvements pour une science
citoyenne et contre les brevets des multinationales en sont une illustration

La démocratie dans l’entreprise peut bénéficier de la méfiance grandissante
vis à vis de la dictature des actionnaires. La démocratie locale gagne en
crédibilité par l’articulation reconnue entre démocratie représentative et
démocratie participative.

La solidarité reste une valeur de référence malgré tous les dénis et toutes
les manipulations. Elle s’affirme dans les mobilisations comme celle de RESF
 ; elle est réaffirmée dans toutes les enquêtes et les prises de position
chaque fois que les grands moyens de communication ne choisissent pas de
minorer ces mobilisations au profit des égoïsmes sectaires.
La solidarité internationale est particulièrement absente de la campagne des
« grands candidats ». Elle est loin de l’être de la préoccupation des
citoyens comme le montre le succès de la campagne « Urgence planétaire,
votons pour une France solidaire » à laquelle participe activement Attac.

Il en est de même sur la politique que la France doit mettre en œuvre au
niveau de l’Europe. Les dix conditions des quinze Attac d’Europe a mis
l’accent sur l’urgence de ces débats. Pour Attac, la dimension
internationale et mondiale est déterminante, non pour expliquer la fatalité
des évolutions, au contraire, pour montrer qu’il est indispensable d’agir
aussi à ce niveau pour gagner des marges de manœuvre. Et aussi que c’est au
niveau local et au niveau national, que l’on peut agir sur cette
mondialisation que nous contestons dans sa nature. Les propositions d’Attac
sur ces points, sur la redistribution des richesses à l’échelle mondiale, la
taxation internationale, notamment, des transactions financières,
l’annulation de la dette du Tiers Monde, la suppression des paradis fiscaux,
la remise en cause des institutions financières internationales et de l’OMC,
trouvent là toutes leur pertinence.

Les enjeux électoraux

Les échéances électorales des trois prochaines années vont recomposer le
paysage politique français. Elections présidentielles et législatives en
2007, élections municipales en 2008, élections européennes en 2009.

Les inquiétudes sont grandes pour les présidentielles et les législatives
qui suivront ; on peut aisément le comprendre. Le risque de voir la
droite-extrême s’installer pour un moment est réel.

D’autant que le
traumatisme des élections de 2002, avec l’arrivée du Front National au
deuxième tour, est réel. La culture électorale française est construite sur
un comportement très ancien : au premier tous on choisi, au deuxième on
élimine. Vouloir éliminer dès le premier tour en recherchant avant tout un
vote utile conduit au désarroi et à la multiplication des combinaisons
hasardeuses. C’est pourquoi, à une semaine du premier tour, il y avait
encore plus de 40% des électeurs indécis alors que le débat électoral a
rarement été aussi suivi et intense.

Il nous faut dans cette conjoncture concilier deux impératifs qui ont des
aspects contradictoires. Dans l’immédiat, construire un front contre la
droite-extrême et lutter pied à pied contre son emprise sur notre société.

A moyen terme, préparer dès maintenant l’avenir, ouvrir une perspective
alternative, et des alliances, sans lesquelles la victoire de la
droite-extrême finira par l’emporter.

A long terme, mener l’offensive dans la bataille des idées, pour l’égalité,
la justice, les libertés, les solidarités, pour annihiler le poison que
l’extrême droite a réussi à distiller dans nos sociétés.

Les trois années à
venir seront déterminantes dans cette bataille.

Gustave Massiah, 18 avril 2007

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