Une tribune pour les luttes

Les immigrés dans l’oeil du "cyclone Europa"

Une politique migratoire inhumaine

Article mis en ligne le mercredi 27 juin 2007

« Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité ». Constitution ’’Gaudium et Spes’’ du Concile Vatican II

L’histoire des mouvements migratoires est, en fait, l’histoire du monde. Dans ce monde, les biens, les marchandises et les capitaux circulent de plus en plus facilement, tandis que la libre circulation est de plus en plus difficile pour les gens du Sud, notamment les plus pauvres et les moins qualifiés. Avec la mondialisation qui tend, depuis une vingtaine d’années, à accroître la fracture entre le Nord et le(s) Sud(s). Poussés par la misère, les guerres civiles de plus en plus nombreuses ou encore l’absence de perspectives dans leur pays, les migrants inventent de nouveaux itinéraires et guettent les chances de fixation, s’affranchissant des liens historiques culturels et même cultuels et linguistiques. Deux types de migrants se battent pour rejoindre le monde industrialisé : les migrants non qualifiés qui, au péril de leur vie, utilisent tous les moyens, les embarcations de fortune, véritables coquilles de noix où ils s’entassent par dizaines, généralement quand ils survivent à la soif, aux requins et à la noyade, ils sont recueillis, parqués dans des centres de rétention, nouveaux zoos humains du XIXe siècle. Ils sont ensuite renvoyés dans leur pays après avoir été fichés.

Une deuxième catégorie de migrants est constituée par les diplômés. Ils sont majoritairement jeunes, urbain(e)s et scolarisé(e)s et s’inscrivent, avant tout, dans une logique individuelle : la recherche de conditions de vie dignes. Leur insertion dans les pays d’accueil en est d’autant facilitée, a priori. La connaissance est, aujourd’hui, considérée comme la source fondamentale de la création de richesses et le facteur primordial de la compétitivité internationale. Lorsqu’un informaticien indien est débauché de son pays, pour exercer son métier aux Etats-Unis, on dit de la firme qui le démarche qu’elle fait du « body shopping » (achat corporel). C’est cela aussi l’émigration choisie.

Immigration « Kleenex »

Cependant, cette forme de mobilisation de la main-d’oeuvre étrangère laisse émerger une nouvelle catégorie de travailleur, celle du migrant détaché : il s’agit d’un étranger qui n’a le droit de rester sur le territoire que dans le cadre de sa relation contractuelle avec son employeur et qui est contraint de repartir, à tout moment, au bon vouloir de l’employeur. Le secrétariat de l’OMC écrivait ainsi à propos des services de santé : Les bénéfices significatifs ne viendront pas tant de la construction et de la gestion des hôpitaux, etc., que de la possibilité d’y employer un personnel plus qualifié, plus efficace et/ou moins cher que celui qui pourrait se trouver sur le marché du travail local Un tel régime permet de rendre compatible la fermeture des frontières des Etats les plus développés avec le besoin des entreprises de recourir à des migrants plus malléables et corvéables que ceux déjà présents sur le marché du travail. Dit autrement, c’est une immigration dite « Kleenex » qui est encouragée. Naturellement, l’insertion sociale ne pourra jamais se faire puisque quand il n’est plus rentable, l’immigré intellectuel devra repartir dans son village, dans la savane.

Les conflits actuels sont des répliques de tsunami des guerres coloniales où les identités, les spiritualités, les structures sociales ont été démolies au même titre que la mise en coupe réglée des richesses et potentialités des pays subjugués Plus que jamais, le post-colonialisme bat son plein, ayant revêtu cette fois-ci les habits de la mondialisation avec comme faire-valoir une APD qui est, en fait, une aumône en contrepartie d’un hold up colonial et d’une dette toujours recommencée bien qu’elle ait été payée plusieurs fois. Les puissances coloniales préfèrent avoir en face des tyrans manipulables à volonté, aux ordres du grand capital par pays industrialisé interposé. Susan George, écrit : La mondialisation économique dénationalise les économies nationales. En revanche, l’immigration renationalise les politiques d’accueil. Il existe un consensus toujours plus fort afin de lever les contrôles frontaliers qui pèsent sur les flux de capitaux, sur l’information, sur les services, et sur tout ce qu’implique une mondialisation plus importante [1].

Cependant, lorsqu’il s’agit d’immigrés et de réfugiés, l’Etat cherche à retrouver sa splendeur passée en affirmant son droit souverain à contrôler ses frontières. Il y a cinquante ans, ni les Africains ni les Latino-Américains n’émigraient dans les proportions que l’on connaît aujourd’hui. Ceux qui émigraient étaient les Européens méridionaux : les Espagnols, les Portugais. Le phénomène actuel est lié de façon radicale à la mondialisation de l’économie ainsi qu’aux nouvelles relations régissant les forces sociales. Celui qui émigre vit une rupture et son intégration peut être synonyme de déchirement et de névrose identitaire. Il découvre que la société dans laquelle il essaie de survivre ne lui fait pas de place ni sociologiquement, ni économiquement, ni spirituellement. Il tente alors de sauver l’essentiel en tentant de fondre dans le décor, au besoin, en abdiquant un certain nombre de valeurs identitaires, voire religieuses. Rien n’y fait. Au détour d’un contrôle musclé, il découvre que c’est un indésirable. Il est alors « chartérisé » à la première occasion. Finalement, son retour se transforme en mythe : Il ne peut revenir les mains vides, car il représente l’espoir de réussite économique caressé par la famille qui l’a envoyé, qui le soutient et qui l’attend [2].

La question des flux migratoires révèle les ambiguïtés de l’intégration européenne. la libre circulation des personnes nées au bon endroit, est bien réelle. La création de l’espace Schengen, en 1990, a instauré une politique des frontières à deux vitesses. L’assouplissement des frontières intérieures s’est accompagné d’une plus grande rigidité des frontières extérieures. L’Union européenne, en devenant une forteresse, conduit aux scènes d’horreur telles que celles du Maroc espagnol ou les épaves de Lampédusa. Mieux encore, elle sous-traite en utilisant le Maghreb, pour faire le sale boulot en permettant des zones de rétention. Il n’existe pas de politique communautaire sur l’immigration si ce n’est celle de se barricader.
Cette bunkerisation n’est pas spécifique à l’Europe, d’autres pays font le choix d’un repli sur eux-mêmes qui se traduit parfois par la construction de murs de séparation censés les protéger de voisins jugés dangereux. Le Pakistan construit une barrière le long de sa frontière avec l’Afghanistan, les Etats-Unis ont déjà construit 300 kilomètres de mur pour fortifier leur frontière avec le Mexique et, le 10 avril 2007, ils ont entrepris à Baghdad la construction d’un mur qui séparera les quartiers sunnites et chiites. Dresser ce genre de mur n’est pas une idée nouvelle : en 2004, l’Inde a édifié un mur au Cachemire, la Chine en a fait de même pour se prémunir de l’immigration nord-coréenne, et, depuis 2002, Israël continue d’enclore les territoires palestiniens. Pourtant, ces murs sont un aveu de faiblesse de ceux qui les dressent, qui espèrent ainsi se créer un rempart de dernier recours, et ce, malgré la chute du mur de Berlin, en 1989, qui avait prouvé l’échec de ce genre de partition [3].

L’Europe avait mis en place, en Espagne, le Sives qui permet de repérer les pateras (embarcations) du Maroc espagnol. Le nouveau dispositif « Frontex » est censé être plus étanche. En 2006, 31.000 clandestins ont débarqué sur les côtes de l’UE, La Valette avait été critiquée pour avoir refusé d’accueillir sur son sol 27 personnes ayant survécu pendant trois jours, au large des côtes libyennes, accrochées à des filets de pêche dérivants. Réunis mardi 12 juin à Luxembourg, les ministres européens de l’Intérieur n’ont pas soutenu une proposition maltaise visant à répartir, entre les 27 Etats membres, les immigrants clandestins sauvés en mer. Dans l’immédiat, l’Agence Frontex, se contentera d’envoyer, en juin, une mission de surveillance maritime en Méditerranée, baptisée Nautilus et destinée à « sauver des vies ».(4).

Pour le quotidien allemand “L’Europe est définitivement fermée. Le nombre de demandes d’asile qui pouvaient être déposées en Europe a diminué d’un tiers au cours des dix dernières années ; en Allemagne, le nombre de demandeurs d’asile n’a jamais été aussi bas depuis 1984. Bien loin de Berlin, sur les côtes de l’Andalousie, des réfugiés morts ou vivants sont déposés sur le rivage. Et les eaux de Malte charrient des bateaux chargées d’hommes à moitié morts de soif. (..) La devise de la politique européenne des réfugiés est la suivante : loin des yeux, loin du coeur. Le plus souvent, les réfugiés africains qui parviennent à rejoindre l’Europe ne dépassent pas Malte [4].

La « solution » française

Pour sa part, le gouvernement français prépare une nouvelle loi, la quatrième en quatre ans, c’est un nouveau tour de vis sur le regroupement familial qui a, pour objet principal, un durcissement des conditions d’accès au regroupement familial. Selon le texte, une attestation de suivi doit permettre d’obtenir un visa de long séjour en France et, éventuellement, d’entamer une procédure de regroupement familial. Déjà les lois de novembre 2003 et de juillet 2006 rendaient obligatoire la signature d’un contrat d’accueil et d’intégration (CAI) à l’arrivée en France pour l’obtention d’un premier titre de séjour et de la carte de résident de dix ans. En 2006, près de 100.000 CAI avaient été contractés. Le texte d’Hortefeux va plus loin en instituant « un contrat d’accueil et d’intégration pour la famille » et non plus seulement pour le migrant. Ce contrat prévoit une formation aux « droits et devoirs des parents », ces derniers devant s’engager à faciliter l’intégration de leurs enfants dans la société française...Le préfet pourrait saisir le juge des enfants si la famille s’exonère de cette obligation. En d’autres termes, la suspension du versement direct des allocations. Enfin, le montant des ressources nécessaires pour faire venir ses enfants, déjà fixé par la loi de 2006 au Smic hors prestations sociales, sera, selon le projet, modulé en fonction du nombre d’enfants.

Avec 94.500 premiers titres de séjour délivrés en 2005, l’immigration familiale reste le premier motif de venue en France. Le regroupement familial stricto sensu ne représentait déjà plus que 17.000 cartes de séjour en 2005 contre 26.000, il y a cinq ans [5].

Enfin, le texte propose de créer un fichier des empreintes digitales et de la photographie des bénéficiaires de l’aide [6000 euros] au retour. Laurent Giovannoni, secrétaire général de la Cimade, estime que le nouveau texte signifie « une mise sous tutelle des familles étrangères ». On voit que le codéveloppement, préconisé par le parti socialiste pas plus que l’aide des 6000 euros et qui nous rappelle le million Stoléru de 1975, sont les deux faces d’une même médaille.

Les pays industrialisés ont asservi les pays du Sud, ils se sont servis de leurs matières premières rendant les économies autochtones totalement inadaptées à l’indépendance. Ils ont utilisé les bras des indigènes pour leurs travaux pénibles et dangereux (mines, houillères, bâtiments, autoroutes...). Ils ont, ensuite, disposé de la chair à canon pour leurs aventures guerrières. Dernier acte, ces mêmes pays, anciennes puissances coloniales, aspirent les cadres et diplômés des universités pour quelques euros, voire dollars américains ou canadiens. Ceci se fait naturellement, sans contrepartie. Selon l’Unesco, un diplômé à Bac +5 ou 7 nécessite 60.000 à 80.000$ pour sa formation. A titre d’exemple, on dit que l’Afrique a perdu, depuis les années 90, plus de 1 million de diplômés. Le calcul est vite fait. Qui va rembourser ? C’est cela l’une des faces du post-colonialisme et du nouveau monde qui se dessine.

Dans cette lutte internations par multinationales interposées pour les marchés, il y a une lutte où les nations développées font avec succès aux pays en développement : celle de la chasse aux épaves harassées qui, après avoir, certaines fois, franchi avec succès le danger de la mer ne peuvent rien, elles sont continuellement dans l’oeil du cyclone Europa, tant il est vrai qu’elles sont vite capturées, rétentionnées, humiliées, bâillonnées, menottées, encadrées entre des policiers et ramenés à la case départ [chez elles]. Souvenons-nous du manque d’état d’âme des exécuteurs des basses oeuvres. Un exemple : Après la mort du Sri-Lankais conduit à l’avion et mort par étouffement des suites d’un baillonnement avec une bande Velpeau, le commissaire Eric Brendel, incriminé, déclare au procès : Il fallait exécuter une mission, un point c’est tout. C’était soit cela, soit une admission sur le territoire qui mettait en route une pompe aspirante. C’est un exemple parmi tant d’autres des pratiques de reconduction à la frontière. La récompense de bons « tableaux de chasse », entendons par là, de capture de sans-papiers, donne des ailes à la police qui se sent pousser du zèle...et ceci, quel que soit le pays européen concerné, tant il est vrai que les hommes politiques surfent sur les peurs des populations, désignent des boucs émissaires [les Noirs, les Arabes, les musulmans]. Inexorablement, ils font le lit de politiques de plus en plus xénophobes, racistes, donnant corps à ce fameux choc des civilisations que Samuel Huntington avait appelé de ses voeux et que les médias n’arrêtent pas de présenter comme inéluctable. Dans l’Europe riche, il n’y a plus de frontières que pour les pauvres, les damnés de la terre.Voilà la situation : d’un côté, les riches, prospères, héritiers d’une tradition démocratique. Et il y a les autres. Eux, un seul mot les définit : rien. Ils n’ont rien. Donc ne sont rien. Jürgen Habermas a trouvé le mot juste pour définir cette attitude : c’est, dit-il, l’époque du « chauvinisme de la prospérité ».

La mondialisation avance à pas de géant, brisant toutes les frontières, écrasant les sociétés et leurs identités, transformant les Etats en gardes du corps du capitalisme financier, ouvrant grandes les artères de la circulation aux marchandises, aux capitaux, à la communication, aux personnes qui ont eu la chance de naître là où il faut. Il est clair que la psychose de l’invasion immigrée brandie par les politiciens nostalgiques de l’empire des Indes, de l’empire de l’AOF, AEF, voire d’une « Reconquista » est insensée et suicidaire à terme, pour ces pays. Les pays européens, terres d’émigrants, qui mettent en oeuvre une mondialisation sans éthique où la circulation des capitaux des hommes est un principe intangible doivent reconnaître le droit naturel à l’émigration et rendre la législation plus généreuse, afin que cette Europe devienne une terre d’asile, à simple charge de réciprocité envers ceux qui, il n’y a pas si longtemps, reçurent chez eux des dizaines de millions d’Européens.

Pr Chems Eddine CHITOUR
École Polytechnique alger
École d’ingénieurs Toulouse

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Notes

[1Susan Georges, « Le rapport Lugano, Les légionnaires de la mondialisation », Le Monde Diplomatique, août 2000.

[2C.E.Chitour, La nouvelle immigration entre errance et body-shopping, Editions Enag. 2004.

[3Courrier international, L’émigration et l’Europe, le 7 juin 2007.

[4L’immigration met à l’épreuve la solidarité européenne, (Malte) Repris dans Courrier international 13/06/2007.

[5Marie-Christine Tabet, « Le regroupement familial sera bientôt durci », Le Figaro. 11 juin 2007.

[6Susan Georges, « Le rapport Lugano, Les légionnaires de la mondialisation », Le Monde Diplomatique, août 2000.

[7C.E.Chitour, La nouvelle immigration entre errance et body-shopping, Editions Enag. 2004.

[8Courrier international, L’émigration et l’Europe, le 7 juin 2007.

[9L’immigration met à l’épreuve la solidarité européenne, (Malte) Repris dans Courrier international 13/06/2007.

[10Marie-Christine Tabet, « Le regroupement familial sera bientôt durci », Le Figaro. 11 juin 2007.

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