Une tribune pour les luttes

Gaza-Fatah-Hamas ou comment l’occupant a déclenché la guerre civile

Intervention de Pierre Stambul

Article mis en ligne le mardi 3 juillet 2007

Réunion Publique-Débat "Collectif Justice et Paix en Palestine", organisée par Ballon Rouge, Aubagne, 30 juin 2007

La paix ? Quelle paix ?

Les accords d’Oslo datent de 1993. S’ils sont rangés aux poubelles de l’histoire et si la perspective de la paix a tellement reculé, c’est avant tout parce qu’il y a un consensus dans l’opinion israélienne et parmi les dirigeants de ce pays. Il est hors de question pour eux de revenir à l’idée « la paix contre les territoires ». Il est hors de question de revenir à la frontière internationalement reconnue en évacuant les territoires occupés depuis 1967. Il est hors de question de faire partir les 450 000 Israéliens installés à Jérusalem Est et en Cisjordanie. Il est hors de question de « concéder » aux Palestiniens autre chose que des bantoustans éclatés sans unité ni viabilité qu’on baptiserait État Palestinien. Il est hors de question de leur donner leurs droits : une vraie souveraineté, la maîtrise de l’économie, la liberté totale de circuler, de commercer, d’avoir accès à l’eau. Les Israéliens ont fait disparaître dans les faits la frontière internationale et ils poursuivent la politique qui leur a si bien réussi jusqu’à présent : celle du fait accompli, de la colonisation et d’une annexion de territoires qui n’est même plus rampante.

Tout ce qui reste des accords d’Oslo, c’est un gigantesque piège qui s’appelle L’Autorité Palestinienne. Les Palestiniens n’ont pas d’État, mais ils ont deux gouvernements concurrents qui se combattent pour un pouvoir qui n’en est pas un : l’Autorité Palestinienne, c’est un enchevêtrement de services de sécurité prolifiques et rivaux. Mais cette « autorité » ne possède aucun des attributs habituels d’un État. Certains Palestiniens qui subissent les humiliations quotidiennes dues à des statuts différents (zone A, B ou C selon leur lieu d’habitation) en viennent à regretter l’époque où l’occupant était obligé d’assumer seul ses responsabilités. Ils ont à la place un pays morcelé, balafré par les check points et le mur, et privé de toute souveraineté.

Depuis 1967, plus de 600 000 Palestinien(ne)s ont été emprisonné(e)s. Il y a actuellement 11 000 prisonniers politiques. Parmi ces prisonniers, un grand nombre de députés, de maires, de ministres, de dirigeants politiques. Du Hamas, bien sûr mais aussi du Fatah (le plus célèbre étant Marwan Barghouti) ou d’autres partis (toute la direction du Fplp kidnappée dans la prison de Jéricho).

Gaza : un laboratoire

Pourquoi Sharon a-t-il « évacué » Gaza en 2005 contre une partie de son opinion publique ? Deux ans plus tard, on comprend tous les bénéfices obtenus par les dirigeants israéliens. Les 8 000 colons de Gaza sont une goutte d’eau par rapport aux 450 000 autres. Sans Gaza, les Israéliens seront encore majoritaires entre Méditerranée et Jourdain pour de longues années.

Mais surtout, cette évacuation qui n’en est pas une a permis aux dirigeants Israéliens de reprendre l’initiative politique, de faire partager la propagande qu’ils martèlent : « nous n’avons pas de partenaire pour la paix » ou « les Palestiniens sont incapables d’avoir un État ».
C’est délibérément que les Israéliens ont utilisé à Gaza la « stratégie du chaos ». Et hélas, ils ont réussi. Minuscule territoire surpeuplé (4 000 habitants au km2), Gaza est une prison à ciel ouvert. Toutes les infrastructures construites avec l’argent de la communauté internationale (port, aéroport) ont été détruites sans possibilité de reconstruction. La destruction des centrales électriques pose en permanence de graves problèmes, y compris pour l’approvisionnement en eau. Les derniers services qui fonctionnent (écoles, hôpitaux) manquent de tout. Les anciennes colonies qui occupaient 40% du territoire sont toujours des gravats. La pêche est interdite sauf sur quelques centaines de mètres. Les frontières sont régulièrement fermées selon le bon vouloir de l’occupant, y compris la frontière égyptienne à Rafah, provoquant la pénurie permanente. Le chômage et la pauvreté frappent la grande majorité de la population qui dépend de l’aide internationale. Parmi les rares emplois, l’embauche dans une des innombrables « forces de sécurité » est souvent la seule possibilité.

En 2 ans, plus de 700 Palestinien(ne)s ont été tué(e)s par l’Armée Israélienne. Ces exécutions extrajudiciaires où l’occupant se justifie au nom de la lutte « antiterroriste » ont majoritairement frappé des civil(e)s, des femmes, des enfants. Chaque fois que des possibilités d’avancée vers la paix ont semblé possibles, une nouvelle provocation sous forme « d’assassinat ciblé » ou « d’incursion armée » les a ruinées.

La responsabilité écrasante de l’Occident

La « communauté internationale » tout comme l’Union Européenne, après avoir exigé des Palestiniens des élections libres et transparentes, les a punis pour avoir « mal » voté en donnant la majorité parlementaire au Hamas. Les Occidentaux ont sciemment pris le parti de l’occupant. Ils ont infligé une sanction collective au Peuple Palestinien en contribuant à son blocus. Jamais l’État d’Israël qui viole allègrement le droit international depuis 60 ans n’a été sanctionné. À l’Ujfp, nous sommes clairement pour un boycott, un retrait de tous les investissements et des sanctions contre l’Etat d’Israël tant que durera l’occupation. Les Occidentaux considèrent le Hamas comme une organisation terroriste. Jamais ce qualificatif n’a été appliqué à l’Etat d’Israël qui occupe, expulse, emprisonne, exécute sans jugement, colonise ... Ce « deux poids deux mesures » a considérablement contribué à la détérioration de la situation en Palestine. Les Occidentaux poussent le Fatah à « éliminer » le Hamas. Alors que la Palestine subit un blocus et un embargo, l’Occident a fourni des armes au Fatah. En pure perte. Non seulement cela n’a pas empêché le Fatah d’être défait à Gaza mais sur le plan politique, ce dernier n’a strictement rien obtenu : ni libération de prisonniers, ni levée de barrage, ni relance du processus de paix.

Étranglée, la bande de Gaza a vu son peuple résister de plus en plus difficilement. Comment s’étonner de voir le développement de bandes armées ou le retour au clanisme ? C’est dans ce contexte que les Israéliens ont remporté une victoire majeure avec l’éclatement d’une guerre civile longtemps retardée par la volonté de la grande majorité des Palestiniens que leur peuple reste uni. Les Israéliens ont joué successivement un camp ou l’autre en poussant au conflit et en espérant que cette guerre civile éliminerait pour longtemps toute pression pour en finir avec l’occupation.

Faut-il choisir ?

Dans le camp de celles ou ceux qui soutiennent les droits du peuple Palestinien, des clivages sont apparus. Certain(e)s considèrent que le Fatah représente le camp de l’impérialisme américain, qu’il a tenté un coup d’état en voulant éliminer le Hamas et que celui-ci représente désormais la résistance. Pour d’autres, c’est le Hamas qui a déclenché les hostilités à Gaza et les valeurs de ce parti sont opposées aux valeurs universelles qui sont défendues pour dénoncer l’occupation de la Palestine.

Le Fatah
Ses dirigeants sont souvent des membres de la bourgeoisie Palestinienne. Ainsi l’ancien Premier Ministre Ahmed Qorei est un industriel du béton et il est soupçonné d’en avoir vendu aux Israéliens pour la construction du mur. Les « cadres » de l’Autorité Palestinienne sont vécus comme des « Palestiniens de l’extérieur » qui sont revenus avec les accords d’Oslo. Cette situation n’est pas sans rappeler l’opposition qu’a connue l’Algérie indépendante et qui explique partiellement les drames qui ont suivi. Le fait que l’Autorité détienne le peu d’argent qui circule en Palestine et qu’elle soit chargée de le distribuer a fortement contribué aux nombreux phénomènes de corruption. Cette corruption n’est pas la seule explication de la défaite électorale du Fatah. Elle n’est pas plus importante que la corruption qui sévit dans la classe politique israélienne où ceux qui ne sont pas poursuivis par la justice pour des affaires de viol ou de harcèlement sexuel le sont pour des détournements de fonds très importants. Le Fatah a aussi été déconsidéré par des personnages comme Mohamed Dahlan qui a ajouté à la corruption le fait d’être un véritable chef de milice pratiquant la torture ou l’assassinat contre ses opposants. Et surtout, il a perdu la confiance d’une partie importante du peuple palestinien à cause des accords d’Oslo. Avec le temps, ces accords sont apparus comme un véritable marché de dupes. Les Palestiniens n’y ont rien gagné. Au contraire, la perspective d’obtenir ce qui était pour eux un compromis majeur (un État Palestinien sur les territoires occupés en 1967, soit 22% de la Palestine historique) s’éloigne chaque jour un peu plus. On dit que le gouvernement Israélien fait tout pour aider Mahmoud Abbas. C’est faux, il fait tout pour alimenter une guerre civile. Sinon, il aurait levé les barrages et le blocus, libéré des prisonniers emblématiques comme Marwan Barghouti et il cesserait d’agrandir les colonies. Le peuple palestinien dans sa majorité désavoue une stratégie de négociations avec l’occupant sous pression américaine. Ces « négociations » ont toujours porté sur la « sécurité de l’occupant » et son exigence que Mahmoud Abbas élimine le Hamas. Elles n’ont rien apporté qui puisse même indiquer qu’Israël songe à se retirer des territoires occupés.

En s’appuyant sur Dahlan, en cédant face à l’occupant, le Fatah a précipité sa défaite à Gaza.

Tout ceci ne fait pas de la direction du Fatah des « traîtres » à éliminer. D’autant que ce parti ou l’Autorité Palestinienne sont très divers politiquement. Marwan Barghouti incarne une ligne politique unitaire qui est prête à de vraies négociations, pas à des simulacres. C’est bien pour cela qu’il n’est pas libéré et même qu’il est souvent déplacé dans une prison du désert pour être éloigné des « territoires ». Des personnalités comme Leila Shahid, Hind Khoury ou Elias Sanbar partagent les valeurs universelles du mouvement de soutien au peuple palestinien. Leur colère rentrée contre le clan Dahlan ou leur peur d’une victoire du Hamas doivent être entendues.

Le Hamas

Idéologiquement, il est issu du mouvement des « Frères Musulmans ». Ce n’est pas un parti nationaliste ou un mouvement de libération nationale. Il appartient à un ensemble de mouvements politiques du Monde Arabe dont le succès vient de l’impasse historique des mouvements nationalistes et de la corruption généralisée des dirigeants arabes, souvent liés à l’impérialisme américain. Le programme du Hamas, c’est le Califat, ce n’est évidemment pas un État Palestinien laïque. Le Hamas est apparu dans les années 80 et le journaliste franco-israélien Charles Enderlin a expliqué comment les services secrets israéliens ont favorisé son expansion, ravis de l’apparition d’un mouvement capable d’affaiblir l’OLP. La propagande sioniste cite souvent la Charte du Hamas qui date de 1988. Il est vrai qu’elle contient toujours le « protocole des sages de Sion » ou d’autres textes inquiétants. Avec l’occupation, le Hamas est devenu un véritable mouvement populaire. Il a su canaliser à son profit toutes les colères : contre l’occupation, contre l’impasse des négociations, contre les humiliations quotidiennes, contre l’étranglement, contre la corruption. Le vote pour le Hamas s’est partagé entre un vote d’adhésion et un vote de protestation. La gauche, émiettée en de nombreux partis rivaux, n’a pas su capter ce vote. La direction du Hamas incarne une ligne politique « de dignité » face à l’occupation et le refus de concessions qui ont toujours été à sens unique. Sur cette question, elle est majoritaire dans l’opinion.

La nécessité de l’unité

Il semble bien que l’initiative des combats à Gaza soit venue des milices proches de l’un ou l’autre des deux camps et pas des directions politiques qui n’ont fait qu’avaliser le fait accompli. Les combats ont donné lieu à des atrocités de part et d’autre. En pleine guerre civile à Gaza, des manifestants du Fplp et du Fdlp ont essayé de séparer les belligérants.

La situation est certes plus compliquée qu’au début de la deuxième Intifada. Mais il y a toujours un occupant et un occupé. Il y a toujours un peuple dont on détruit la société et une stratégie de colonisation et d’annexion. La société palestinienne est composite. Au moment des accords de La Mecque qui n’auront fait que retarder la guerre civile, le FPLP avait refusé d’entrer dans le gouvernement d’union nationale. Le Fatah et le Hamas ne représentent pas toute la société palestinienne. Il y a plein de petits partis, de syndicats, d’ONG, d’associations. C’est sans doute sur cette partie de la société qu’il va falloir s’appuyer pour déjouer le piège mortel de la guerre civile. La victoire de l’un ou de l’autre des deux camps serait avant tout une victoire de l’occupant. La partition de ce qui reste de la Palestine retarderait considérablement la paix fondée sur l’égalité des droits plus que jamais nécessaire.

Dans l’immédiat, l’aide à la Palestine doit être massive et non discriminée. Nous devons exiger de la communauté internationale qu’elle cesse de jeter de l’huile sur le feu en faisant semblant de jouer un camp contre l’autre. Nous devons exiger qu’elle sanctionne l’occupant et pas la victime. Nous disons à nos amis palestiniens : « votre ennemi, notre ennemi, c’est l’occupation. Votre unité et votre pluralisme sont indispensables. » Nous n’avons pas à choisir les « bons » ou les « mauvais » Palestiniens. Nous pouvons juste les aider à résister.

Pierre Stambul, Président de l’Ujfp, le 30 juin 2007

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