Une tribune pour les luttes

J’aimerais que l’asile ne soit pas qu’un souvenir dans ce pays

par Isabelle de Liffiac

Article mis en ligne le jeudi 30 août 2007

J’aimerais que l’on n’ajoute pas d’autres noms au Livre des Morts de Bosnie-Herzégovine, qui recense les victimes de la guerre, et les nomme (1992-1995), publié ce mois de juin 2007, par le Centre de recherche et de documentation Sarajevo.

J’aimerais que l’on n’inflige pas à des enfants de survivants du massacre de Srebrenica (7 000 morts, en quelques jours) d’autres persécutions en mon nom.

J’aimerais que l’asile ne soit pas qu’un souvenir dans ce pays.

J’aimerais que le placement d’une enfant de 2 ans à la DDASS, censé la protéger d’actes de maltraitance de ses parents (?) ne cache pas une maltraitance d’Etat ; je connais les arguments développés par certains « défenseurs » des enfants qui n’ont aucun mal à me convaincre qu’un enfant est mieux aux mains de la DDASS qu’en détention (surtout après un mois d’août passé en centre de rétention) avec sa mère, dans l’attente de son jugement (« comparution immédiate », dès lundi) ; mais j’ai besoin de croire encore à l’indépendance des juges, je ne me résous pas à l’idée d’un calcul qui aurait été fait selon lequel après deux « refus d’embarquer » pour la Bosnie, la mère risquait de toutes façons d’être séparée de son enfant …

J’aimerais qu’après tous ces jours passés en centre de rétention, puis séparée de sa mère, Mélina, 2 ans, ait d’autres souvenirs que ceux de ce traumatisme et de ce déchirement[*].

J’aimerais que l’on songe à la dégradation de l’image de notre pays dans le monde entier, aux risques qui pèsent déjà sur les Français de l’étranger, à l’accélération spectaculaire de la diffusion des informations et des coups portés au « rayonnement » de la France ; tous ses expatriés, ses coopérants ne risquent-ils pas de devenir les otages de cette politique du chiffre ? En Afghanistan, en République démocratique du Congo, au Nigéria, en Algérie ou en Guinée ? Sans compter l’évidence par la preuve diplomatique de l’ambivalence de la position française sur ce dossier de la maîtrise de l’immigration et du co-développement : tout un chacun qui consulterait le site internet « diplomatie.gouv » aurait le loisir de constater que la Guinée (pour ne prendre qu’un exemple récent), la Guinée (dont sont originaires une grande partie des sans-papiers grévistes du Nord), appartient à la Zone de Solidarité Prioritaire définie par le gouvernement français (via le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement – CICID), c’est-à-dire à un espace « favorisé » de la « politique française en faveur du développement », celle où « l’aide publique engagée de manière sélective et concentrée peut produire un effet significatif et contribuer à un développement harmonieux des institutions, de la société et de l’économie. Celle avec lesquels la France entend nouer une relation forte de partenariat dans une perspective de solidarité et de développement durable qui répond à quelques objectifs exemplaires, dont la consolidation de l’état de droit et de l’enracinement de la démocratie ou la promotion de développement participatif et culturel » : c’est beau comme du raï (raï pour ceux qui l’ont oublié veut dire « la bonne solution » !)

Est-ce sur ce double discours que s’adossera demain la politique de co-developpement en EurAfrique dont ce ministère rayonnant a la charge ?

Je préférerais que l’on ne confie pas à un ministère la charge de « refonder la communauté nationale ». M’inquiètent les visées de ce ministère de la « nation identitaire », dont les seules valeurs identifiées à ce jour pour « refonder la communauté nationale » sont, objectivement, la haine de l’étranger, étranger « choisi », pas n’importe lequel, l’étranger non européen ou, comme les nomment les statisticiens et démographes auxquels se réfèrent les idéologues américains, les « non caucasiens » !

Pour certains, cette politique n’a rien d’incompatible avec l’ambition présidentielle de « remettre la morale au cœur de la vie politique », il suffit de baisser les yeux, de détourner le regard et d’adresser sa compassion au ministre Hortefeux, harcelé par tous ces trotskistes nostalgiques ou compassionnels démagogiques –. Chacun sait que la morale est « l’essence de la religion ».

Pourtant nous sommes quelques millions en France à vouloir croire que la politique surpasse la morale dans la conduite des affaires de la vie de la cité.

J’aimerais aussi dire à ceux qui sont désemparés quand des voix si autorisées qu’elles en deviennent cassantes leur interdisent d’oser la comparaison, le parallèle avec les actes perpétrés par la police du régime de Vichy – les interventions des forces de police au petit matin au domicile de sans-papiers pour les arrêter, les emmener chez le juge des libertés, les enfermer dans un centre de rétention, les arrestations sur dénonciations... Je me retiens, pour ne pas polémiquer, de parler de délation (dénonciation inspirée par des motifs méprisables), parce que la liberté d’expression est aujourd’hui si menacée qu’un conseiller général de canton est poursuivi en justice quand il dénonce une rafle, à croire que le mot dérange plus que les rafles, elles-mêmes !

Même si les dictionnaires ne s’entendent pas tous entre eux, aucun ne conteste son origine allemande « raffen », emporter. Rafle évoque des arrestations massives opérées, à l’improviste, par la police (les linguistes se querellent sur « à l’improviste » !). À peu près synonyme, la langue française, qui, si j’en crois l’air du temps, deviendrait l’ultime rempart dressé contre les nouvelles invasions barbares, la langue française connaît descente de police, plus urbain et policé, et aussi coup de filet, plus nautique et côtier. Mais elle s’est enrichie, voilà pas moins de deux siècles d’un terme tout aussi adapté à cet « appel d’air du temps », c’est razzia, d’origine arabe, si cela peut convenir… aux puristes qui nous gouvernent !

Et, ce n’est pas parce qu’elles furent parfois massives que rafle emporte étymologiquement des vagues massives d’arrestations, contrairement à l’hécatombe qui étymologiquement emporte sur les côtes de la Méditerranée des dizaines et des dizaines de naufragés de l’EurAfrique…

Je préfère penser que cette crise doit beaucoup à l’air du temps, qui, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer se modèle, se façonne, se fabrique. Et que les persécutions infligées aux sans-papiers ne persistent que par l’oubli de l’Histoire.

Mais je crois aussi que la faculté d’indignation devant les crimes du passé n’a de sens que si elle s’adresse au temps présent et n’écrase pas de son ombre paralysante toute velléité de résister ; l’horreur absolue du crime perpétré contre les Juifs de France auquel les plus hautes autorités de l’Etat et la police de Vichy collaborèrent activement cet été 42, dont le Premier ministre Fillon relevait récemment la « faute imprescriptible » ne devrait pas pouvoir figer par son incommensurabilité, son éloignement dans le temps, toute velléité d’insoumission au seul motif que rien n’est comparable !

Chaque jour, pendant l’été, des fonctionnaires, des policiers ont prêté leur concours à ces petits actes de barbarie, au fil de l’eau, au cas par cas, avec ce sentiment d’impunité que confère l’impression que c’est « dans l’air du temps. A ceux-là, je préfère rappeler que cette violence infligée sous l’uniforme leur sera reprochée à eux qui ont obéi aux ordres ! A tous ceux que la mémoire des jours sombres de la Collaboration pétrifie, je rappellerai que les Justes français furent soutenus par la population française qui sut protester.

Enfin, à tous ceux qui ne sont pas insensibles à la poésie du Code Pénal, je veux rappeler aussi que la résistance passive n’est pas punissable.

Parce qu’il ne sera pas dit que nous aurons laissé faire.

Et, ici, je veux dire mon admiration à tous ceux qui sans attendre, quotidiennement, depuis des mois et pendant l’été, se sont mobilisés, par de tout petits gestes ou de grands faits d’arme, n’attendant ni le coup éditorial, ni la rentrée universitaire, ni les salons littéraires, pour se mobiliser, non pour prouver qu’ils existent mais pour nous représenter, nous qui sommes ailleurs, nous qui sommes sonnés par : « la conjoncture qui s’assombrit, nos petites inquiétudes misérables, le déficit du commerce extérieur, la bagnole qu’il faudrait bien songer à remplacer, le recul de la production industrielle, la prime de rentrée scolaire qui est déjà rognée, la stagnation des créations d’emplois, la hausse de la baguette de pain… Alors l’expulsion de quelques jusqu’au-boutistes, « clandestins » en plus…

Sans ces anonymes du Réseau Education Sans Frontières, le bien nommé, sans leur mobilisation, nous Français de tous horizons, devrions nous cacher pour dissimuler notre honte d’avoir si peu, si mal résisté !

Nantes, le 27 août 2007,

Isabelle de Liffiac
membre du Collectif Enfants Étrangers Citoyens Solidaires (Nantes), RESF44
http://enfantsetrangers.hautetfort.com/


[*]Nous avons appris, le même jour, que SABINA ÉTAIT LIBRE.

Le juge a prononcé une peine de 3 mois de prison avec sursis. Sabina va pouvoir récupérer sa fille, Mélina, ce soir ou plus vraisemblablement
demain matin.

L’avocate dépose un recours à la CRR suite au refus de la demande d’asile
faite pendant la rétention.

Restons vigilants.

MB

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