Une tribune pour les luttes

Lettre n°85 (19 septembre 2007)

Culture et Révolution

Article mis en ligne le jeudi 20 septembre 2007

http://culture.revolution.free.fr/

Bonsoir à toutes et à tous,

Le gouvernement français est tout à fait à la hauteur de ce
qu’on pouvait attendre de lui. A savoir d’une incroyable
bassesse. La proposition d’un amendement visant à mettre en
oeuvre des tests ADN pour les immigrés candidats au
regroupement familial est chargé de ce sens pervers contre
les immigrés qui en fait un franc succès sur le terrain du
racisme, même si finalement elle n’était pas retenue. Elle
contribue comme d’autres mesures ou projets annoncés avec
roulement de tambours à accoutumer tout le monde aux
injustices à répétition, aux coups tordus, à la répression
la plus vile, comme celle qui se déchaîne contre les parents
sans papiers et leurs enfants.

Ces gens au pouvoir sont bien incapables d’inventer quoi que
ce soit. Ce sont des plagiaires. « Tel pays le fait, l’a
fait ou va le faire, pourquoi pas nous ? » Ainsi toute une
bande de joyeux hystériques fouillent dans toutes les
poubelles des autres gouvernements occidentaux actuels ou
passés, pour dénicher les mesures infâmes qu’ils pourraient
bien mettre en oeuvre, soit pour enrichir directement les
riches, soit pour faire diversion et diviser les classes
populaires afin qu’elles soient sonnées et incapables de
résister à cette déferlante.

Il faudrait lutter, certes. Mais pas faire semblant de
lutter. Pas lutter en ordre dispersé. Ce qui arrangerait
peut-être le gouvernant car défaire le monde du travail
morceau par morceau, avec la démoralisation en prime qui
suivrait, lui permettrait de se rengorger et de tout se
permettre. Comme naguère Reagan après la défaite des
contrôleurs aériens aux États-Unis. Comme Thatcher après la
défaite des mineurs britanniques. On ne déclenche pas des
luttes en en parlant mais on peut perdre des luttes faute de
préparation, faute de détermination et surtout faute de
vigilance sur la façon dont elles sont menées.

Le gouvernement voudrait frapper vite et fort les salariés
et les retraités car le contexte économique européen et
mondial est loin de lui être favorable. C’est l’évolution de
ce contexte qu’il nous faut suivre et comprendre pour ne pas
être impressionnés ni par les simagrées ni par les
agressions des mercenaires politiques du CAC 40.


- La destruction des travailleurs
- Les enfants illégitimes
- Par-dessus le bord du monde
- Du parti des myosotis
- Âmes solitaires
- Disparition des abeilles et au-delà
- Bartók
- In situ
- Sept ans de bonheur internautiques


LA DESTRUCTION DES TRAVAILLEURS
Effrayant mais nécessaire. Tel est le livre d’Annie Thébaud-
Mony, Travailler peut nuire gravement à votre santé (éd.
La Découverte, février 2007, 291 pages). Le long sous-titre
indique clairement qui est visé : sous-traitance des
risques, mise en danger d’autrui, atteintes à la dignité,
violences physiques et morales, cancers professionnels
.
La sociologue qui est directrice de recherches à l’Institut
national de la santé et de la recherche médical (inserm)
confronte le comportement des patrons aux exigences
(théoriques) du code de procédure pénal. Pourquoi la mise en
danger de la santé ou de la vie d’autrui, la mise en cause
de sa dignité n’était-elle pratiquement jamais sanctionnée
par les tribunaux dès lors que le coupable est un employeur ?

Son enquête de vaste envergure est précise et impitoyable.
Elle nous conduit en France mais aussi au Québec, en Afrique
du Sud, en Inde ou au Brésil. L’auteure met fortement en
cause la sous-traitance des risques par les grandes
entreprises. Elle s’appuie sur les témoignages de
travailleurs du bâtiment, du nucléaire, de la chimie, de la
sidérurgie ou de l’agroalimentaire. Une bonne partie du
livre est consacrée au cas scandaleusement exemplaire de
l’exposition des travailleurs à l’amiante. Elle montre que
c’est la lutte d’ouvrières d’Amisol qui a fait exploser ce
scandale et permis qu’un Collectif Amiante arrache des
compensations financières, sans pour autant qu’aucun
employeur ne se retrouve en prison, ce qui aurait été la
moindre des choses en toute logique pénale. L’auteure
dénonce aussi la complaisance de nombreux médecins à l’égard
des intérêts patronaux en matière de santé des travailleurs.
Elle donne des exemples concrets de connivence de
chercheurs, et en particulier de cancérologues de renom,
avec des grandes entreprises pour cacher la nocivité de
certains produits ou des expositions aux radiations
nucléaires.

La lecture de ce livre engendre inévitablement un sentiment
de révolte contre tous ces capitalistes qui détruisent les
travailleurs à tous les niveaux et au sens littéral du
terme.

LES ENFANTS ILLÉGITIMES
Abdelmalek Sayad (1933-1998), ami et interlocuteur essentiel
de Pierre Bourdieu, était un grand sociologue. Il peut
encore et plus que jamais nous aider à comprendre les
contradictions et les déchirements engendrés par
l’immigration. Nous avons déjà signalé ici la parution du
premier tome de ses études rééditées par les éditions
Raisons d’agir (L’immigration ou les paradoxes de
l’altérité
1. L’illusion du provisoire, février 2006).
Le deuxième tome dont le sous-titre est Les enfants
illégitimes
réunit trois textes publiés entre 1979 et
1994.

Le premier texte intitulé « Exister, c’est exister
politiquement » date de 1985 mais garde toute sa pertinence
et sa charge critique. D’autant plus qu’on sait ce qui en a
été depuis de l’attitude de tous les gouvernements à l’égard
des immigrés et de la trahison des aspirations des jeunes
immigrés par les partis de la gauche gouvernementale.

Le corps de ce recueil est constitué par des entretiens de
Sayad réalisés en 1975 avec Zahoua, une étudiante
appartenant à une famille algérienne immigrée en France.
Il est clair que la connaissance du sociologue à la fois
des réalités de la société algérienne et des réalités de
l’immigration a permis à Zahoua d’aller très loin dans
l’analyse de sa situation, de celle de ses parents et de ses
frères et soeurs. La mise au jour des comportements et des
itinéraires des uns et des autres a un effet libérateur.
Les entretiens de Zahoua et de son père avec le sociologue
“les révèlent à eux-mêmes”.

Le troisième texte aborde parmi d’autres thèmes celui du
“sinistre jeu circulaire de l’anathème et de la provocation”
à propos du port du voile islamique. D’autres passages
jettent un éclairage très important pour comprendre le
rapport en évolution de certains immigrés algériens avec la
religion musulmane.

PAR-DESSUS LE BORD DU MONDE
L’Australie est un pays-continent qu’on se contente souvent
de situer dans son esprit au moyen de quelques stéréotypes
et images récurrentes. Pêle-mêle, les Aborigènes, l’opéra de
Sidney, le surf, les kangourous ou les films « Mad Max »,
« Crocodile Dundee » ... Pour ne pas se contenter de cette
perception réductrice, on peut faire confiance à l’écrivain
australien Tim Winton né en 1960. Son roman Par-dessus le
bord du monde
(éd Rivages poche, 493 pages) nous expédie
sans ménagement sur la côte occidentale de l’Australie,
entre la ville de Perth au sud et la région tropicale
inhospitalière située au nord de Broome. C’est l’Australie
d’aujourd’hui, avec ses ordinateurs, ses musiques country,
blue-grass et ZZ Top, ses 4 X 4, ses pêcheurs de langoustes
qui gagnent gros grâce au marché japonais mais en risquant
leur vie, ses familles recomposées, ses solitudes terribles
et ses vieilles haines locales.

Au coeur de ce roman, Georgie Jutland, une ancienne
infirmière de quarante ans dont la vie perdrait son sens
lentement et sûrement sans la survenue foudroyante de
l’amour pour un homme moralement blessé. Rencontre à risque
pouvant emporter plusieurs personnes “par-dessus le bord du
monde”.

Tim Winton a un talent qui embrasse la démesure de la nature
et la complexité des sentiments. Son énergie et sa finesse
d’observation l’apparente à des romanciers américains tels
que Russell Banks ou Jim Harrison.

DU PARTI DES MYOSOTIS
Jean-Pierre Levaray a emprunté une belle expression à
Georges Brassens pour intituler son dernier livre Du parti
des Myosotis
(éd L’Insomniaque, 63 pages). Nous avons eu
plusieurs fois l’occasion de conseiller la lecture de ses
textes où il donne à voir et à comprendre sans fioritures et
sans nous “monter le coup”, ce que peut être la vie des
travailleurs dans une grande et dangereuse entreprise
chimique (Putain d’usine voir le point de vue sur notre
site, Après la catastrophe, Classe fantôme, etc.).
Ici son attention se porte sur l’existence de son père,
cheminot dans la banlieue de Rouen, un homme bien souvent
absent à cause de son travail, un “taiseux”, un ouvrier
combatif mais pas un militant comme son fils.

Jean-Pierre Levaray s’aperçoit au moment où son père Marceau
va disparaître qu’il le connaît mal, qu’il ne sait
finalement pas grand-chose de ce qu’il a vécu et qu’il est
trop tard pour combler ces manques. Il raconte avec une
sobriété impressionnante la maladie, l’agonie, la mort et
l’inhumation de son père. Les rares souvenirs reviennent,
concrets, émouvants dans leur sobriété. Grâce à l’écriture,
la vie du cheminot simple et “sans histoire” prend une
autre consistance. Par ricochet, on songe à d’autres
personnes disparues qui ont eu aussi une vie droite et
digne, en toute discrétion.

ÂMES SOLITAIRES
Gerhart Hauptmann (1862-1946) est un dramaturge allemand
pratiquement inconnu en France depuis des décennies. Le fait
qu’il ait reçu le prix Nobel de littérature en 1912 ne
prouve évidemment rien quant à la qualité de son oeuvre. Plus
intrigant est le fait que la très critique Rosa Luxemburg,
en littérature comme dans tous les domaines, se plaît à le
citer à plusieurs reprises dans sa correspondance et
recommande avec enthousiasme et insistance auprès de ses
ami(e)s le roman de Hauptmann, Der Narr in Christo
Emmanuel Quint (Le Fou de Dieu)
paru en 1910 et jamais
traduit en français à notre connaissance.

Nous disposons à présent de deux pièces d’Hauptmann
traduites, La Peau de castor et dernièrement
Âmes solitaires (les deux aux éditions Théâtrales,
www.editionstheatrales.fr). Cette dernière pièce très
vivante, de sensibilité naturaliste et expressionniste, se
lit sans aucune difficulté. L’action se situe à la fin du
XIXe siècle dans une maison de campagne au bord d’un lac,
près de Berlin. L’action se déroule dans le cadre douillet
et apparemment bienveillant d’une famille bourgeoise pétrie
de conventions religieuses et moralistes. Cadre étouffant
pour des jeunes gens qui cherchent les voies de leur
accomplissement. Situation dramatique pour une jeune femme
condamnée au rôle de mère et qui se sent délaissée par son
mari, jeune philosophe qui peine à mener à bien l’ouvrage
sur le matérialisme qu’il a entrepris. Survient alors dans
ce milieu, une jeune étudiante russe pleine d’allant dont
les parents ont été déportés en Sibérie.

Âmes solitaires n’est pas sans faire penser à certaines
pièces de l’écrivain norvégien Ibsen ou même du russe
Tchekhov. On retrouve chez ces trois dramaturges des
questions toujours actuelles pour des jeunes et des moins
jeunes. Dans un contexte social et familial donné, que faire
de sa vie, comment devenir libre, comment ne pas gâcher sa
vie ni celle des autres ?

BARTOK
Les six quatuors à cordes du compositeur hongrois Béla
Bartók (1888-1945) viennent d’être réédités en deux CD par
Sony-BMG dans l’interprétation de 1963 du Quatuor Juilliard.
C’est une des plus remarquables interprétations parmi
quelques autres dont celle du Quatuor Vegh et du Quatuor
Hongrois. Ces oeuvres exigent beaucoup de l’auditeur. On ne
saurait les écouter en fond sonore comme les grandes
surfaces infligent impunément ce traitement à la musique de
Vivaldi ou de Mozart. Les chefs-d’oeuvre de ce compositeur ne
se laissent pas aimer facilement car ils sont définitivement
modernes. Ensuite, à la seconde écoute, on sait que quelque
chose d’important s’est passé dans notre vie d’auditeur de
musique. Bartók a composé ces quatuors entre 1906 et 1939.
Ils montrent l’étendue de ses audaces d’écriture nourries de
nombreuses musiques folkloriques et expriment d’une certaine
façon tout le destin tragique des peuples de l’Europe dans
cette période.

Les créateurs engagés au meilleur sens du terme, c’est-à-
dire en adéquation avec leurs convictions et leur visée
artistique, ne sont pas légions. Il est donc nécessaire de
préciser que, en 1919, Bartók a accepté un poste au
commissariat à la musique dans l’éphémère République des
Conseils dirigée par Béla Kun. Athée, humaniste et
antifasciste convaincu, il s’exila aux États-Unis où il ne
connut que misère et incompréhension jusqu’à sa mort. Il
avait écrit à un ami roumain en 1931 : « Mon idée maîtresse
véritable, celle qui me possède entièrement depuis que je
suis un compositeur, c’est celle de la fraternité des
peuples, de leur fraternité envers et contre toute guerre,
tout conflit. Voilà l’idée que, dans la mesure où mes forces
me le permettent, j’essaie de servir par mes oeuvres. C’est
pourquoi je ne me refuse à aucune influence, qu’elle soit de
source slovaque, roumaine, arabe ou autre, pourvu que cette
source soit pure, fraîche et saine. » [cité par Michèle
Reverdy dans Histoire de la Musique occidentale, Sous la
direction de Brigitte et Jean Massin]

IN SITU
Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne plusieurs
textes sur notre site : « A propos de l’expérience chilienne
de l’Unité populaire (1970-1973) », des « Nouvelles d’Oaxaca »
et un article en provenance de Suisse, « Un paquet plombé,
De la régie fédérale à l’entreprise privée : procès-verbal
d’une liquidation ».

Nous avons également annoncé dans notre page d’accueil le
Congrès Marx International V qui se tiendra à Paris et
Nanterre du 3 au 6 octobre, avec son programme.

SEPT ANS DE BONHEUR INTERNAUTIQUE
Le site Culture et Révolution vient de fêter son septième
anniversaire. Notre toute petite équipe ne s’était fixé
aucun objectif précis. L’aventure pouvait bien durer 7
semaines, 7 mois ou 7 ans, l’essentiel était de s’y lancer,
de faire partager nos intérêts, nos plaisirs, nos passions
pour certains livres, certaines musiques et toutes sortes
d’expression culturelles et politiques ayant à voir de près
ou de loin avec l’émancipation de l’humanité, émancipation
de tout ce qui la rabaisse, l’aliène, l’écrase ou peut la
détruire.

Nous serions bien en peine de dire si ce site a été un
succès ou un échec en termes d’audience ou de nombre de
connexions pour la simple raison que nous n’avons pas voulu
nous en préoccuper. Faire découvrir un livre utile ou une
belle oeuvre à quelques personnes est en soi une réussite qui
nous comble. Les messages que nous avons reçus depuis la
création de ce site en attestent. Ils nous ont étonnés par
leur diversité et par leur provenance, de toutes les
générations, d’autres pays et même d’autres continents. Ils
nous ont encouragés à continuer. La seule ombre au tableau
est que nous n’avons pas toujours été à la hauteur pour
répondre à tout le monde. Nous sommes bien décidés à nous
secouer pour remédier à ces lacunes. Toutes les suggestions
et critiques nous ont été précieuses. Notre souhait le plus
cher est que le dialogue se poursuive encore longtemps avec
vous.

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder


http://culture.revolution.free.fr/


Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Lire c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 340