Une tribune pour les luttes

LDH Toulon et Réseau TERRA

Après un nouveau drame, Emmanuel Terray, Jean-Pierre Dubois et Laurent Giovannoni reviennent sur le mot “rafle”

Article mis en ligne le jeudi 4 octobre 2007

Dossier établi par la LDH Toulon et transmis par le réseau TERRA

http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2279]

Vendredi dernier, Chulan Zhang Liu, chinoise résidant en France, est décédée après s’être défenestrée lors d’un contrôle de police boulevard de la Villette à Paris. Cette mort tragique, la cinquième défenestration d’un étranger sans papiers en deux mois, est la conséquence de la violence d’Etat qui se met en place contre les étrangers en situation irrégulière.

Après l’annonce de ce nouveau drame, l’anthropologue Emmanuel Terray, dont nous avions publié en janvier dernier 1942-2006 : réflexions sur un parallèle contesté, puis Jean-Pierre Dubois et Laurent Giovannoni, sont revenus sur le mot « rafle » : est-il légitime de l’utiliser pour désigner certaines des opérations de police auxquelles la « chasse aux sans-papiers » donne lieu. Leurs propos ont été recueillis par Karl Laske.


Communiqué commun - 26 septembre 2007

LE « CHIFFRE » TUE !

Vendredi 21 septembre, Chulan Zhang Liu, chinoise résidant en France, est décédée après s’être défenestrée lors d’un contrôle de police boulevard de la Villette à Paris.

Cette mort tragique, qui a été dissimulée tout le week-end, n’est pas un malheureux accident dû au hasard. C’est la cinquième défenestration d’un étranger sans papiers en deux mois. La mort de Madame Zhang Liu est la conséquence de la violence d’Etat qui se met en place contre les étrangers en situation irrégulière.

Les lois se multiplient pour fermer toutes les voies à la régularisation, et ôter aux personnes le droit de vivre en famille. On veut imposer des tests ADN à l’usage exclusif des immigrants. On met en place des fichiers classant les personnes selon leur origine ethnique. Le droit d’asile est de plus en plus menacé. Le gouvernement somme les préfets de faire du chiffre et de remplir des quotas d’expulsion. Les rafles se multiplient, les gens n’osent plus sortir, circuler, aller travailler, les jeunes partent à l’école la peur au ventre. La peur et l’absence de perspectives conduisent à des gestes désespérés, qui vont fatalement se reproduire.

Nous ne pouvons pas admettre cette politique discriminatoire et violente, qui provoque des drames. Combien de morts faudra-t-il pour que s’arrêtent les contrôles, les perquisitions, les arrestations et les expulsions ? La politique du chiffre doit cesser. Les étrangers doivent être accueillis dans le respect des droits fondamentaux de la personne conformément aux principes de la république et des conventions internationales. Ce ne sont ni des délinquants, ni des criminels. Les signataires demandent solennellement au ministre de l’immigration de cesser de fixer aux préfets des quotas de reconduites aux frontières, politique du chiffre aux conséquences inévitablement dramatiques.

Les signataires :

ACORT-RACORT, ALIF, ATMF, AUTREMONDE, CIMADE, CEDETIM, COORDINATION DES GROUPES DE FEMMES EGALITE, CSP 11, CSP 19E, CSP MONTREUIL, FASTI, FCPE, GISTI, LDH, MRAP, RACORT, RESF, UCIJ.
CFDT, CGT, FSU, SOLIDAIRES, SUD-EDUCATION, UNSA-EDUCATION.
ALTERNATIVE LIBERTAIRE, LCR, LES ALTERNATIFS, MJS, PCF, PCOF, PS, LES VERTS.
LE MAIRE DE PARIS.


Après l’annonce du décès de Madame Chulan Zhang Liu, le blog du Contre journal (http://contrejournal.blogs.liberation.fr/) a ouvert le débat sur les opérations policières en cours : rafle ou pas rafle ? Pourquoi le mot rafle est-il tabou ? Mais surtout est-il légitimement tabou ? A cette occasion l’anthropologue Emmanuel Terray revient un parallèle contesté.


« Quand on veut interpeller des indésirables, il faut aller les chercher là où ils sont »

par Emmanuel Terray, anthropologue [1]

A partir du moment où la police se livre à des interpellations massives opérées à l’improviste dans une certaine population, eh bien il y a rafle ! Effectivement, le terme de rafle a été utilisé dans plusieurs circonstances historiques. Au moins deux, dans l’espace de mon existence. Pendant la guerre bien entendu, l’exemple cité par le Petit Robert, c’est la rafle du Vel d’Hiv. Il y a eu aussi des rafles pendant la guerre d’Algérie, et il se trouve qu’à ce moment-là, j’ai assisté à certaines de ces rafles, en tous cas l’une d’entre elles, le 17 octobre 1961, où une manifestation pacifique, désarmée, a été proprement raflée par la police. A partir du moment où de telles opérations ont lieu, et elles ont lieu, je ne vois pas pourquoi on n’emploie pas le mot rafle. Le mot rafle s’écrit avec une minuscule, c’est nom commun. C’est par une sorte de pudeur ou de scrupule incompréhensible que ce terme n’est pas employé. […]

Ce qui fait le caractère suprêmement tragique des rafles de 1942, dont je rappelle qu’elles sont effectuées pour l’essentiel par la police française, c’est qu’au terme de la rafle, la police française remet les gens qu’elle a capturé aux Allemands. Elle les remet aux nazis et à partir de ce moment-là, ils sont déportés, ils partent d’abord à Drancy, puis à Compiègne, et ils sont mis dans des trains en direction de l’Allemagne et à ce moment-là la police française se désintéresse de leur sort. C’est cette présence allemande qui fait tout le caractère unique et extraordinairement tragique de l’extermination de 1942, et bien entendu aujourd’hui, il n’y a pas extermination, et il n’y a pas Allemands. Mais en revanche si l’on regarde l’attitude de la police française, les similitudes apparaissent.

La première similitude, c’est le fait qu’un certain nombre d’individus qui vivent parmi nous, qui sont installés sur notre territoire, sont désignés comme des indésirables. Et ces indésirables, on décide de s’en débarrasser en les mettant dehors. La deuxième similitude est commandée par la nature des choses : à partir du moment où l’on veut interpeller des suspects collectivement désignés, il n’y a pas beaucoup le choix. Les techniques existent. C’est la convocation piège dans les préfectures, qui était déjà pratiquée en 1942. C’est la rafle, l’arrestation massive. C’est l’interpellation des enfants dans les écoles. On a beau me dire que les deux situations n’ont aucun rapport, c’est quand même la première fois depuis les années 1940-1945 que des enfants sont interpellés dans des écoles. C’est l’interpellation des gens à leur domicile comme ça s’est produit à Amiens, avec les conséquences tragiques que l’on connaît. Techniquement parlant quand on veut interpeller des indésirables, il faut aller les chercher là où ils sont. Le fait que la police française se soit vue fixer des objectifs chiffrés en la matière, et sur lesquels les responsables sont jugés par leur hiérarchie, a pour conséquence que cette chasse prend des formes tout à fait spectaculaires.

Ce qui c’est passé à deux pas de votre journal, place de la République, l’année dernière, à l’occasion des Restaurants du cœur, où la police est venu interpeller une trentaine de sans-papiers après en avoir contrôlé bien davantage, c’est une rafle. J’ai ici le rapport de la Cimade, il y a une rubrique rafles et une liste de rafles vous est indiquée : liste des rafles et nombre de personnes placées en rétention recensées par la Cimade. Ce document est dans le domaine public, chacun peut le consulter. Et la Cimade, qui est experte en la matière puisqu’elle était déjà sur ce front en 1940-42, n’hésite en aucun cas à parler de rafles, je ne vois pas pourquoi je m’abstiendrais d’en parler.

Les méthodes policières sont commandées par la nature des choses : c’est un problème technique. A partir du moment où vous voulez interpeller des gens qui n’ont pas commis de délit particulier, sauf celui d’être là, ou bien c’était celui d’être juif en 1942, vous allez les chercher là où ils sont, vous leur tendez des pièges pour les amener dans les préfectures, vous allez mettre des dispositifs policiers pour les interpeller dans les quartiers où ils habitent. Il faut savoir que cette année au métro Belleville, c’est pratiquement chaque semaine que les opérations de ce genre ont lieu. D’après ce que m’ont raconté les habitants du quartier, une semaine ce sont les Chinois, une autre semaine ce sont les Arabes, probablement en fonction des avions qu’il faut remplir, et ce sont des rafles qui sont ciblées sur des populations déterminées.

Une des conséquences de tout cela, c’est quand même le fait extrêmement grave que désormais, c’est par centaines que les enfants sont enfermés en centre de rétention. La Cimade le mentionne : les chiffres pour 2005 sont de l’ordre de 400. Et je pense qu’aujourd’hui ils ont beaucoup augmenté. Les parents sont soumis au chantage : ou bien vous les emmenez avec vous, ou bien on les met à la Ddass. C’est quand même extrêmement grave que des enfants de trois à six ans soient enfermés dans des centres de rétention. Ultime parallèle : quand la Cimade a interpellé les autorités sur ce placement des enfants en rétention, en leur disant "mais les enfants n’ont pas à être en rétention puisqu’ils ne sont pas expulsables", la réponse de l’administration a été “oui mais nous agissons dans un but humanitaire pour ne pas séparer les parents des enfants“. Eh bien, je le dis brutalement, j’appelle ça la jurisprudence Laval–Bousquet, parce que c’est exactement la réponse que Laval et Bousquet ont faite aux autorités chrétiennes quand les autorités chrétiennes leur ont demandé de ne pas interpeller les enfants juifs, Laval et Bousquet leur ont répondu qu’ils faisaient cela dans un but humanitaire pour ne pas les séparer de leurs parents. On peut penser qu’il s’agit d’une pure et simple coïncidence, n’empêche que la réponse est mot pour mot la même.

Emmanuel Terray


« Techniquement, rafle est le mot juste »

par Jean-Pierre Dubois
président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
depuis 2005 [2]

On est toujours très prudent, parce qu’il y a des mots qui rappellent des choses très fortes mais on assiste depuis plusieurs mois à des opérations systématiques, préparées, qui conduisent à des bouclages d’un certain nombre de zones. Il y a une partie des arrondissements de l’Est parisien, notamment le 19ème, où cela se passe régulièrement. On voit des forces de police qui remontent une rue, en fouillant systématiquement les cafés, les commerces, les cages d’escalier.

Le mot de rafle vient à l’esprit parce que, techniquement, il s’agit bien de cela. Ensuite il faut mesurer les choses, parce ce n’est pas parce qu’on constate qu’il y a bien une tendance à voir se multiplier ce genre d’opérations, qu’on est dans les mêmes conjonctures historiques que celles auxquelles le mot rafle renvoie dans notre inconscient collectif. Mais on ne peut pas dissimuler qu’il y a apparition de ce genre de choses.

C’est une histoire qui remonte loin. La Ligue des droits de l’Homme s’était insurgée il y a près de vingt ans contre les dérives des contrôles d’identité. Nous avons eu à la suite des lois Pasqua un élargissement des possibilités de contrôle tout à fait considérable. Il y a quelques dizaines d’années en France, un contrôle d’identité ne pouvait intervenir que s’il y avait des raisons extrêmement précises de penser qu’une infraction venait d’être commise ou qu’il y avait un risque très particulier pour l’ordre public. L’état de la législation depuis les lois Pasqua, donc depuis très longtemps, autorise des interprétations extrêmement laxistes. C’est à dire que si les parquets n’y prêtent pas attention, on peut pratiquement organiser des contrôles d’identité à peu près n’importe où, n’importe quand, avec des conditions de temps et de lieu extrêmement larges. Et c’est tout à fait ce qui se passe.

La séquence réelle, si l’on regarde la réalité des pratiques judiciaires et policières, c’est que le Président de la République dit : j’en veux 25.000, son ministre dévoué, qui est un collaborateur de M. Sarkozy, reproduit exactement la même logique, c’est à dire qu’il en veut 25.000. Donc les préfets et les procureurs sont soumis à des pressions du ministère de l’Intérieur, du ministère de la Justice, et on leur dit « attention vous êtes en retard ». Vous avez vu que M. Hortefeux a convoqué un certain nombre de préfets en leur disant « c’est pas bien, vous n’êtes pas productifs ». La même pression existant au parquet, on leur dit « il faut y aller, il faut faire du chiffre », et pour faire du chiffre, il faut faire des coups de filets, il faut ratisser large. Et c’est ce qui se passe. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a autant de cas maintenant avec des enfants scolarisés.

Quand on est préfet ou procureur et qu’on vous dit « il m’en faut plus dans les centres de rétention », on tape sur ceux qui sont les plus intégrés. Parce que c’est beaucoup plus facile d’aller arrêter des gens à la sortie d’une école que de chercher des gens qui sont dans la clandestinité. Donc il y a plus de familles, il y a plus d’enfants, ça fait du nombre et ils sont plus faciles à attraper. C’est comme ça qu’on arrive à des opérations de type rafle, parce qu’on est dans une logique de rendement. Nous voyons maintenant des préfets s’exprimer en terme de rendement comme s’il étaient là pour améliorer l’efficacité de l’administration. Ce qui est insupportable humainement parce qu’en fait le rendement cela veut dire que des gamins retournent vers un inconnu qui peut être synonyme de mort ou d’extrême danger avec leurs cahiers et leur livre d’école sous le bras.

Rappelez-vous, au printemps dernier, quand ce grand père chinois avait été arrêté à la porte de l’école Rampal, c’était dans le cadre d’une de ces rafles. On remonte, on se met à proximité des écoles, on bloque les issues, et on tend le filet, on attend les poissons. C’est effectivement insupportable. Quant aux dispositions sur les contrôles d’identité, on a des réquisitions qui sont incroyables, qui sont vraiment pour la forme. Des sans-papiers, on sait : dans certaines zones de Paris ou de la banlieue, on peut tendre le filet : c’est très poissonneux. On le fait systématiquement aux mêmes heures. On calcule quelques fois les jours. Souvent, c’est le jeudi, parce que ça permet d’affaiblir la défense des droits en centre de rétention parce que, le week-end, les gens de la Cimade ne sont pas là le dimanche. On en est au point où les choses sont calibrées pour affaiblir la défense des droits. Tout cela est malheureusement de plus en plus organisé, de plus en systématique. Mais même si on a un préfet ou un procureur qui peut être plus ou moins humain sur le plan personnel, ce sont des rouages d’une machine politique et administrative. Et ils ont une pression politicienne au dessus d’eux qui dit « toujours plus, toujours plus ». Et donc on est dans le systématique.

Nos sections essayent de montrer à tel préfet ou tel procureur qu’il y a des cas insupportables. Humainement, il y a des choses terribles. La famille Popov risquait la mort au Kazakhstan, avec leurs gosses. On a arrêté ça au dernier moment. Parfois on n’y arrive pas. Ce jeune [Tamoul] qui a été assassiné après avoir été considéré comme pas en danger par l’Ofpra on n’a pas pu. Plus fondamentalement, nous disons à la magistrature vous ne pouvez pas accepter ça. Vous ne pouvez pas accepter d’être à la remorque d’une logique policière. C’est la séquence Nicolas Sarkozy – Brice Hortefeux – les Préfets – la police et, en bout de chaîne, les procureurs, qui répondent à une pression policière ou à une pression politique, et qui mettent l’application du code de procédure pénale en harmonie avec l’exécution d’une volonté politique. La règle de droit devient seconde. Ce n’est pas le rôle décent de la magistrature.

La circulaire du 21 février 2006 c’est un mémento du chasseur. Les services de M. Sarkozy à l’époque avec M. Guéant, son directeur de cabinet à l’Intérieur, ont pris la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait interdit que l’on mette la main sur des sans-papiers dans des lieux protégés - leur domicile par exemple -, et ils ont en creux, indiqué, de manière très obligeante et précise, tous les endroits où, à contrario, l’on pouvait alpaguer des sans-papiers. En prenant en creux la jurisprudence protectrice. On avait cité le cas le plus extraordinaire, c’est l’histoire des cliniques : la police peut entrer dans un hôpital ou une clinique, elle ne peut pas rentrer dans les chambres, parce que quand même les chambres, c’est un domicile. Et comme la Cour de cassation avait dit çà, MM Sarkozy et Guéant ont dit alors c’est possible dans les couloirs, c’est possible dans les toilettes, c’est possible dans les blocs opératoires. On nous a dit « mais enfin jamais on n’envisageait une seule seconde de faire arrêter quelqu’un en cours d’intervention chirurgicale ». Peut être mais alors pourquoi écrire cela ? Nous avons déféré cette circulaire devant le Conseil d’Etat qui nous répondu qu’il n’y avait rien là qui menace les droits fondamentaux.

Je ne veux pas abuser des parallèles historiques, mais on sait très bien que le Conseil d’Etat a été quelquefois un bon protecteur des libertés, mais quand la pression politique était trop forte, y compris dans des moments beaucoup plus graves que la période actuelle, le Conseil d’Etat n’a pas tenu. Est-ce que le Conseil d’Etat pouvait défendre les droits de l’homme face à des régimes comme celui de Vichy ou même aux pires moments de la torture sous la guerre d’Algérie ? On ne peut pas demander trop au droit et aux juges. Mais nous ne sommes pas dans ces moments-là justement. Nous avons été très déçus. Nous espérions davantage et nous continuerons d’essayer.

Jean-Pierre Dubois


« Les rafles ont commencé quand la police avait du mal à atteindre ses objectifs »

par Laurent Giovannoni
secrétaire général de la Cimade
[3]

D’un point de vue d’une juste utilisation du français, rafle est le mot juste. Nous avons hésité à l’utiliser. Mais nous avons décidé de le faire de façon rare. Parce qu’il est chargé. Ce mot est très chargé parce qu’il fait directement référence dans l’histoire française au régime de Vichy et la rafle du Vel d’Hiv. Il y a effectivement une notion tabou autour de ce mot. Il a fallu soixante ans pour que soit admise la responsabilité de l’Etat français dans les arrestations et les déportations au moment de la rafle du Vel d’Hiv. Il a fallu attendre la déclaration de Jacques Chirac en 1995, pour reconnaître la responsabilité de l’Etat français, comme quoi c’est quelque chose qui est effectivement tabou.

On a vu réapparaître des rafles à partir de 2004 et 2005. Très précisément en application de la politique du chiffre imposée par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy qui a donné à ses services un objectif chiffré en matière de reconduites à la frontière.

Chaque préfecture étant astreinte par le ministère à atteindre un nombre précis, mais à l’unité près, de personnes devant être reconduite à la frontière c’est à dire expulsées du territoire français. Pour atteindre ces objectifs, il était inévitable, on l’avait évoqué devant le ministre et les membres de son cabinet, que les services administratifs et les services de police utilisent des méthodes fort contestables, voire détestables. Ces arrestations massives, ces rafles, ont commencé en 2003-2004 quand les services de police avaient du mal à atteindre les objectifs qui leur étaient assignés.

Principalement, elles se sont déroulées dans deux sites distincts, d’abord Paris très fréquemment et dans les quartiers à forte population étrangère — c’est Belleville, c’est Ménilmontant, le 18ème, 19 ème arrondissement. C’est quelques villes dans la région parisienne et aussi dans les camps de rom, une ou deux par mois, plus parfois. La police faisait une opération massive d’interpellation pour des raisons x, y, z, soit pour évacuer des camps sur décision de la justice.

Pour permettre ces contrôles d’identité massifs, il est nécessaire que la police ait un sésame. Or ce sésame ne peut venir que du procureur qui délivre des réquisitions pour procéder à des contrôles d’identité sur un territoire donné. A une époque, ces réquisitions n’avaient lieu qu’à l’occasion de faits bien particulier et sur des périmètres bien circonscrits. On a constaté, à travers les dossiers des personnes interpellées, que ces réquisitions avaient tendance à devenir de plus en plus souples, de plus en plus larges, et à être motivées par n’importe quelles considérations. J’ai quelques exemples. On a vu récemment des réquisitions permettant des contrôles d’identité sur des agglomérations entières. Notamment récemment des réquisitions permettant des contrôles sur l’ensemble de l’agglomération de Chelles. Sur un périmètre géographique hallucinant. C’est le sésame qui permet ensuite à la police de contrôler systématiquement l’identité des personnes interpellées.

La politique du chiffre conduit les administrations à développer des pratiques détestables. C’est l’interpellation aux abords des écoles. Nous voyons se développer des interpellations à domicile. Le drame d’Amiens est directement la conséquence de ce type de pratique. Nous voyons des interpellations dans les foyers d’hébergement des personnes. Dans les administrations. Parfois à la poste. Dans les préfectures, au guichet, suite à des convocations pièges. Les gens reçoivent des convocations les invitant à venir pour examen de situation, ils en sortent en garde à vue puis en centre de rétention. Tout un tas de pratiques contestables et détestables. L’ensemble du processus, même s’il se déroule convenablement en apparence, est très violent symboliquement. La personne n’a pas de papiers mais elle vit comme n’importe qui, elle se retrouve arrachée à sa vie quotidienne, elle se retrouve en garde à vue, interrogée, puis elle est emmenée en rétention, et c’est sa vie entière qui bascule. C’est en plus le cas de gens qui ont des attaches en France, qui brutalement voient leur vie basculer. C’est quelque chose d’extrêmement traumatisant. Sans parler des conditions même de renvoi.

La presse ne parle quasiment plus de charter. Ce sont pourtant des pratiques régulières. On parle de “vols groupés”. La presse a plus ou moins repris les termes que proposait le ministère de l’intérieur. Il y a encore quinze, vingt ans, c’était un sandale inouï. Aujourd’hui les charters sont réguliers, cela n’émeut plus personne. Alors qu’il s’agit, ni plus ni moins d’une expulsion collective prohibée par la convention européenne des droits de l’homme.

Laurent Giovannoni

Notes

[1] Emmanuel Terray, ancien directeur du Centre d’études africaines (EHESS-CNRS) entre 1984 et 1991, membre de la Ligue des Droits de l’Homme, est l’auteur de Lettre à la fugitive, Odile Jacob, 1988 ; La politique dans la caverne, Seuil, 1990 ; Le troisième jour du communisme, Actes Sud, 1992 ; Une passion allemande, Seuil, 1994 ; Clausewitz, Fayard, 1999 ; En substance, Fayard, 2000, Traversées, avec Jean-Paul Colleyn, Labor, 2005, Face aux abus de mémoire. Actes Sud, 2006.
Le texte est repris de http://contrejournal.blogs.liberati....

[2] Jean-Pierre Dubois est professeur de droit constitutionnel et d’histoire des idées politiques à l’Université Paris Sud.
Le texte est repris de http://contrejournal.blogs.liberati....

[3] La Cimade (Comité intermouvements auprès des évacués) est la seule ONG habilitée à intervenir dans les centres de rétention.
Le texte est repris de http://contrejournal.blogs.liberati....


Source TERRA :

http://terra.rezo.net/

et LDH Toulon

http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2279

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