Une tribune pour les luttes

Lettre n°86 (17 octobre 2007)

Article mis en ligne le mercredi 31 octobre 2007

http://culture.revolution.free.fr/

Bonsoir à toutes et à tous,

Après six mois à subir la bande gouvernementale et patronale
actuelle, on a la pénible impression d’avoir déjà encaissé
six ans supplémentaires d’agressions tous azimuts minant
toutes les bases de notre existence : santé, conditions de
travail, retraite, emploi, logement, pouvoir d’achat, droits
sociaux et juridiques, mensonges et diversions médiatiques
en continu d’une démagogie grossière et lamentable...
La sensation d’écoeurement devient envahissante et fait
progressivement naître l’envie d’en découdre à fond avec ces
pitres médiocres détenant tous les pouvoirs, ces “initiés”
pleins aux as, ces irresponsables surfant sur les capitaux
et nous conduisant droit dans le mur : désespoir des
chômeurs, des jeunes et des retraités, désarroi et
épuisement des salariés, destructions inexorables des
ressources de la nature pour nourrir le capital financier.

Autant dire qu’une grève et des manifestations de grande
ampleur vont être accueillies comme un premier bol d’oxygène
commençant à assainir une atmosphère délétère et restaurant
un peu de solidarité et de convivialité chaleureuse. Et plus
si affinité et volonté collective d’investir la rue et nos
lieux de travail, sans frontières corporatistes ou
générationnelles. Gardons le cap pour construire
démocratiquement dans les semaines et les mois à venir un
vaste mouvement de contestation globale.

Repris à leur compte par les acteurs des luttes actuelles et
futures, le sens du mot rupture pourrait alors s’inverser :
la rupture tous ensemble, oui ! Rupture avec la casse des
droits sociaux et des services publics, rupture avec le tout
répressif délirant, rupture avec le culte de la concurrence,
de la performance, de l’évaluation et du fric, rupture avec
le système régressif et destructeur du profit. Modernisons
la société en la débarrassant de l’archaïque domination des
nantis.


Retour sur le printemps étudiant 2006
Frontières de la politique
Transgression
Frères, cousins et ancêtres
Improvisation
Harpiste
In situ


RETOUR SUR LE PRINTEMPS ÉTUDIANT 2006

L’école de la lutte et d’autant plus porteuse d’avenir
qu’elle est complétée par une mémoire réflexive de la lutte.
C’est à un tel travail que dix étudiants et étudiantes de
Lyon ayant des points de vue différents se sont consacrés
pendant plusieurs mois pour rendre compte et réfléchir sur
le mouvement contre le CPE et la Loi d’égalité des chances
sur leur ville. Sophie Béroud (maître de conférences à
l’université Lumière Lyon 2) a aidé à la réalisation de leur
projet. Il en est sorti un livre par le collectif 4 bis,
Le CPE est mort... Pas la précarité ! Retour sur le printemps
étudiant 2006
(éd Syllepse, mai 2007, 279 pages). Il
pourrait très utilement servir de base à des réunions-débats
entre étudiants et salariés précaires ou pas.

Une étude semblable, réalisée plus à chaud par quelques
acteurs de ce mouvement à Nancy avait déjà donné lieu à la
rédaction d’une brochure très vivante dont nous avons déjà
eu l’occasion de rendre compte (lettre n°71 du 18 août 2006 ;
brochure Toi aussi bloque ta fac ! téléchargeable sur
nancy-luttes.net/anti-CPE/printemps....

Le collectif lyonnais a choisi de fonctionner en atelier
d’écriture. Il passe au crible tous les problèmes qui se
sont posés au cours du mouvement, les illusions, les prises
de conscience, la mise en place tour à tour laborieuse,
parfois paralysante mais aussi efficace de diverses
modalités démocratiques. Le livre donne un très bon aperçu
des questionnements qui ont parcouru le monde des étudiants
et des étudiantes au cours de ce printemps 2006 : légitimité
du blocage, légitimité des actions minoritaires,
positionnement par rapport à la répression policière,
tentatives d’élargissement aux salariés de l’université et à
ceux des entreprises, tentative de contacts avec des jeunes
des banlieues pauvres, interrogations sur les ambiguïtés des
syndicats et partis de gauche voulant cantonner la
mobilisation au seul rejet du CPE, légitimité d’une société
condamnant à la majorité des jeunes à la précarité...

Les autoportraits des contributeurs montrent bien au travers
de quelles étapes, avant et pendant ce mouvement, ils et
elles se sont politisé(e)s (sans nécessairement s’affilier à
un syndicat ou une organisation politique). Les conclusions
débouchent sur une évocation très bienvenue des mouvements
d’étudiants et de lycéens qui se sont produits dans la même
période en Allemagne, au Chili et en Grèce.

FRONTIÈRES DE LA POLITIQUE

La revue Variations s’inscrit dans un courant de
recherche philosophique et politique que l’on appelle
“la théorie critique de l’école de Francfort” et qui s’est
à la fois inspiré et confronté aux analyses de Marx par volonté
d’échapper à l’enfermement dans un marxisme pseudo-orthodoxe
et stérile. Cette référence à la théorie critique est une
source d’inspiration mais aussi une mise en question de tous
les travaux produits dans le cadre et à côté de “l’Institut
pour la recherche sociale” créé en 1931 à l’Université de
Francfort par Max Horkeimer et dont on peut citer comme
figures majeures Theodor W. Adorno, Herbert Marcuse, Eric
Fromm et plus tard Jürgen Habermas. Cet institut poursuit
ses activités aujourd’hui avec entre autres le philosophe et
sociologue Axel Honneth.

Revenons à la dernière livraison de la revue Variations
de juin 2007 (éditions Parangon/Vs,
atheles.org/parangon/revuevariations/
qui a pour titre « Les Frontières de la politique ». Nous ne
pouvons pas rendre compte ici de tous les textes proposés
mais aucun n’est à négliger.

Quand on sait l’horreur ou la gêne que provoque à notre
époque l’utilisation des mots prolétariat ou prolétarien, on
est fortement intrigué, avec une pointe d’amusement, par le
dialogue original entre deux penseurs allemands Oskar Negt
et Alexander Kluge, « Ce que le mot prolétariat signifie
aujourd’hui ». Lucia Sagradini propose des pistes pour
comprendre comment l’espace public peut être investi
politiquement par des pratiques artistiques de rue. Elle
illustre sa recherche par l’exemple de l’Argentine à la fin
de la dictature militaire en 1983 et dans les années
suivantes. Aldo Häsler nous fait découvrir la carrière et le
contenu des recherches d’Ernest Manheim, sociologue méconnu
bien qu’il ait inspiré de nombreux travaux en particulier
aux États-Unis. Signalons enfin une critique acérée et
imparable du musée du quai Branly (« Un triste visage de la
république ») par Julien Bordier.

TRANSGRESSION

Le Pakistan est un de ces nombreux pays de la planète dont
les nouvelles qui nous parviennent ont toujours un caractère
consternant. Le roman d’Uzma Aslam Khan, Transgression
(Picquier poche, 654 pages, février 2007) ne dément pas
cette perception mais lui donne une chaleur humaine et une
lisibilité d’un autre ordre que celle fournie par les
reportages ou les analyses.

Uzma Aslam Khan est originaire de Karachi où elle a grandi.
Elle a enseigné la littérature anglaise aux États-Unis, au
Maroc et au Pakistan. Elle vit actuellement à Lahore où elle
travaille dans le cadre d’une ONG. Elle a mis en exergue à
ce roman une pensée de l’écrivain John berger : « Regarder
est un choix ». Elle regarde donc en face son propre pays et
aussi les épreuves et les déchirures de l’immigration.

Pour nous, lire ce livre, c’est faire le choix de regarder
en profondeur la réalité humaine explosive du Pakistan. Ce
pays est le résultat d’une guerre épouvantable encouragée
par l’impérialisme britannique. Il n’a pas cessé depuis de
connaître d’autres guerres en son sein dans les campagnes et
les villes, au Cachemire ou aux marges de l’Afghanistan.
Comment peut-on vivre, aimer, espérer dans un tel pays
marqué par les injustices et humiliations sociales, la
corruption, les manipulations des grandes puissances comme
les Etats-Unis, les exactions de l’armée d’Etat ou des
bandes armées locales, les archaïsmes inhumains dont les
femmes sont les premières victimes ?

Ce roman est une fresque fluide, artistement construite où
les personnages sont dans chaque chapitre précisément situés
entre 1984 et 1992, avec pour l’un d’entre eux un ultime
retour sur la période 1968-1972. Un de ces romans qui aide à
comprendre dans quel monde nous vivons aujourd’hui, sans
toujours bien le savoir.

FRÈRES, COUSINS ET ANCÊTRES

On assiste à une véritable explosion des savoirs sur les
ancêtres de l’homme. Beaucoup d’idées arrêtées sur leurs
origines géographiques et leurs spécificités sont à présent
remises en cause grâce aux découvertes récentes en
archéologie, paléontologie, éthologie et génétique. Se
retrouvent sur la sellette pour des examens comparatifs de
toutes sortes, les hominidés disparus, les grands singes et
l’homo sapiens. Un dossier spécial « Sur la trace de nos
ancêtres » de la revue Pour la Science (octobre-décembre
2007) fait le point de façon à la fois prudente, pointue et
attrayante, en particulier grâce à la qualité des
illustrations qui aident beaucoup à comprendre les
différentes contributions. Citons parmi les auteurs de
diverses nationalités et de divers secteurs de la recherche,
Pascal Picq, Ian Tattersall, David Begun et Brigitte Senut.

On croyait que l’homo sapiens se distinguait par sa bipédie,
son utilisation des outils et sa culture. Il n’en est rien.
On découvre des bipédies chez les grands singes, des
cultures et l’utilisation d’outils par les chimpanzés et des
orangs-outans. Sabrina Krief met en relief que les
chimpanzés pratiquent l’automédication en sélectionnant
certaines plantes.

Quant à l’émergence de l’homme, elle n’a rien de linéaire.
Les scientifiques parlent d’une évolution buissonnante. Nos
ancêtres ont cohabité sur la terre avec d’autres hominidés
qui ont ensuite disparu malgré de grandes capacités
d’adaptation. Sur bien des questions, les auteurs s’en
tiennent à des hypothèses. Brigitte Senut affirme par
exemple modestement qu’on ne commencera à comprendre
l’origine des hominidés et celle des grands singes africains
de type moderne « qu’à la condition de combler la lacune
chronologique comprise entre 14 et 7 millions d’années ».
Vaste programme.

IMPROVISATION

Il n’est point besoin d’être amateur de jazz pour prendre
plaisir et intérêt à voir les séquences de grands musiciens
regroupées sur l’album de deux DVD intitulé “Improvisation”
(Laser Swing Productions). Avant que cette merveille ne
soit épuisée, il faut savoir qu’on y voit grâce au cinéaste
Gjon Mili et à l’organisateur de concerts Norman Granz,
Charlie Parker côtoyer Coleman Hawkins, Ella Fitzgerald
retrouver Lester Young, Duke Ellington jouer du piano à la
fondation Maeght sous l’oeil du peintre et sculpteur Juan
Miro... La qualité du tournage permet de mieux comprendre la
façon d’être et la personnalité des musiciens (ce qui est
rare dans les prises de vue actuelles). Il faut aussi
mentionner des interventions de Count Basie, de Dizzy
Gillespie, un très beau court métrage de 1944, « Jammin’ The
Blues » avec quelques pointures de l’époque et de nombreux
témoignages de musiciens sur Charlie Parker.

HARPISTE

La beauté originale est rare sur les ondes. Vos chances
d’entendre la harpiste et compositrice Isabelle Olivier
sont donc infimes, sauf si vous avez la possibilité de vous
procurer ses CD ou de l’écouter en direct
www.isabelleolivier.com/.
Elle occupe esthétiquement un espace indéterminé entre jazz et musique contemporaine, Afrique et Océanie, pays celtiques et Andalousie. Peut-être
avez-vous entendu sa musique en voyant le film « L’esquive »
d’Abdelalif Kechiche ?

La harpe entraîne quelques associations d’idées et de
compositions : un concerto de Mozart pour harpe et flûte,
les oeuvres symphoniques de Debussy et Ravel, la musique
celtique d’Alan Stivell et bien sûr les gracieux numéros
musicaux d’Harpo Marx. Les sons de la harpe évoquent trop
facilement une musique un peu fragile. Isabelle Olivier
aborde l’instrument tout autrement, à pleines mains si l’on
ose dire car elle peut aussi bien en faire un usage
percussif, mouiller ses doigts, frapper les cordes avec des
baguettes à l’embout caoutchouté pour suggérer le chant des
baleines ou avoir recours à l’électronique pour obtenir
encore d’autres sons.

L’élément aquatique constitue un des fils conducteurs de sa
sensibilité et de son inspiration. Dans une interview au
journal So What en janvier 2000, elle déclarait : « La
première fois que j’ai demandé une harpe, j’avais quatre
ans. Sa sonorité me faisait penser à la pluie. » A huit ans
et demi, elle a commencé à prendre des cours de harpe. Plus
tard elle a introduit cet instrument dans “l’ espace de
liberté” qu’est le jazz où il n’existait pas. Aujourd’hui
elle s’est évadée vers ses propres sentiers.

Il est temps à présent de vous donner les références de ses
deux derniers opus chez Nocturne
www.nocturne.fr/ :
« Petite et grande » lui permet de belles rencontres notamment
avec Sébastien Texier, clarinette et saxophone, Jean-
Philippe Viret, contrebasse, Louis Moutin, batterie, et les
violonistes Johan Renard et Didier Lockwood.

« island # 41 » est un disque en solo mais avec la
collaboration artistique de Sébastien Texier et Olivier
Sens. L’oeuvre est poétique, variée, accomplie. L’auditeur
attentif écoutera le grand silence qui précède la fin de la
dernière plage car la musique est inconcevable sans le
silence.

IN SITU

Plusieurs textes ont été mis en ligne depuis la dernière
lettre dans des registres variés comme toujours. Un texte
s’appuie sur des informations en direct de deux acteurs de
la lutte à Oaxaca : « “Que faire pour passer dans les
médias ?” La réponse nous a été donnée à Oaxaca ».

Nous avons continué la publication de textes sur la
réorganisation et le fonctionnement de la Poste en Suisse
par Jean-Marie Gerber qui intéresseront au plus au point les
salariés d’autres pays et d’autres secteurs. Après « Un
paquet plombé », il faut donc lire ensuite « Quand la Poste
sonne les facteurs » et enfin « Le Lied du “teamster” » qui
n’a rien de schubertien.

Vous trouverez également une étude sur le cycle romanesque
de Roger Martin du Gard, Les Thibault. Par sa vaste
polyphonie humaine et politique, il n’y a pas d’âge ni de
saison pour lire Les Thibault.

Une critique porte sur le film de Michael Winterbottom, « Un
coeur invaincu » où il est question à nouveau du Pakistan.

Nous avons mis un lien avec le site Congrès Marx V pour vous
permettre d’accéder facilement à l’importante et récente
étude de François Chesnais, « Notes sur la portée et le
cheminement de la crise financière ».

Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder

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