Une tribune pour les luttes

Lettre n° 87 (25 novembre 2007)

par Samuel Holder (Culture Révolution)

Article mis en ligne le dimanche 25 novembre 2007

Bonsoir à toutes et à tous,

Qui aurait pu imaginer que les salariés de la SNCF et ceux
de la RATP auraient le cran de faire grève pendant huit à
dix jours en dépit d’un front hostile qui mérite d’être
détaillé ?

Les ministres, les ténors de l’UMP et du MEDEF, les
journalistes aux ordres, les semi-intellectuels du côté de
l’injustice sociale établie avaient furieusement labouré le
terrain idéologique. « Évidemment qu’il fallait supprimer
les régimes spéciaux de retraite ! » hurlaient-ils. Il en
allait du sauvetage de notre économie, de l’avenir du pays
et quasiment de notre civilisation. En plus c’était une
promesse électorale. C’est sacré une promesse électorale !
On ne rigole pas avec ça en France, c’est bien connu. Et ce
n’est pas Jospin, Hollande, Royal, Fabius, Lang ou Aubry qui
risquaient de remettre en question le caractère sacré d’une
promesse électorale, ni à leurs yeux de nantis la nécessité
de s’attaquer aux retraites des cheminots, des traminots,
des gaziers et électriciens.

Le front était encore plus large et plus perfidement
hostile. Tous les dirigeants des confédérations syndicales
étaient d’accord sur le “principe”, sacrifier les intérêts
de ces travailleurs sur l’autel de la “négociation” où
peuvent se déployer tous leurs talents d’alliés
compréhensifs et raisonnables du patronat et de l’État.
Bref jouer leur rôle. Fillon s’est félicité de « l’attitude
responsable des principales organisations syndicales qui ont
appelé à la reprise du travail » (Les Échos du 23 novembre).
Il est clair que ce sont les dirigeants de la CGT, Thibault
en tête, qui ont joué le rôle le plus efficace en tant que
saboteurs du mouvement. Le PCF, collant jour après jour à la
position des dirigeants de la CGT, a donc fait très
discrètement mais sûrement partie de ce front hostile aux
grévistes.

Cheminots et traminots auraient pu partir perdants et se
contenter de deux jours de grève pour la forme comme le
souhaitait ardemment Thibault. Ils ont résisté à toutes ces
pressions et manoeuvres pendant dix jours bien que leur
mouvement n’ait pas réussi à s’étendre. D’où leur sont
venues leur détermination et leur capacité à prendre en
charge leur mouvement jusqu’à un certain point au travers de
leurs assemblées générales ? De leur expérience qui pour les
plus anciens remonte au mouvement de l’hiver 1986-87, de
celui de novembre-décembre 1995 et de celui du printemps
2003 qui fut surtout celui des enseignants. Expériences des
coups fourrés des bureaucrates syndicaux mais aussi
expériences vécues avec bonheur des formes démocratiques et
de luttes ouvertes avec les autres salariés et les jeunes.
D’ailleurs dans le mouvement de novembre 2007 qui aura peut-être une suite en décembre, les grévistes ne revendiquaient
pas seulement pour eux-mêmes le maintien des 37,5 annuités
mais le retour à 37,5 annuités pour tous les salariés,
mesure supprimée déjà dans le privé par le passage à 40
annuités en août 1993 par Balladur (dans le silence et la
passivité la plus totale de la part des confédérations
syndicales). Les cheminots ne pouvaient pas gagner sur ce
point avec leurs seules forces.

Mais il semble que des points importants ont été marqués qui
dépassent le seul constat de ne pas avoir obtenu gain de
cause et de se retrouver avec une paye de novembre très
amputée. Les cheminots ont estimé être dans leur droit et en
plus ils ont dit ce qu’était le juste droit pour tous. Ce
qui n’a pas peu contribué au succès de la journée des
fonctionnaires le 20 novembre et à faire refleurir sur les
visages des sourires. Les sourires de la lutte commune ont
sonné le glas de “l’état de grâce”. Ils mettent en partie
fin à la morosité plus ou moins dépressive qui s’était
installée dans nos têtes après la victoire de Sarkozy et de
sa bande. Nous devons cela au mouvement des cheminots et des
traminots.

Les étudiants et les lycéens qui ont beaucoup appris au
cours du mouvement contre le CPE ont pu également prendre
appui sur celui des cheminots et poursuivre et contrôler eux-mêmes celui qui est en cours.

La suite ? Elle sera difficile. De même que la vie est
difficile, le mot étant extraordinairement faible, dans les
quartiers pauvres, sur les chaînes de montage, sur les
chantiers, aux guichets de l’ANPE, dans les logements
insalubres, dans les centres de rétention, dans la rue où
des hommes et des femmes attendent chaque jour l’arrivée de
la camionnette du SAMU social ou des Restos du Coeur. Qu’il y
ait beaucoup de désespoir dans la société actuelle et
seulement très peu d’espoir en une autre société, il y a de
toute façon beaucoup de rage. Quoi qu’il nous en coûte à
nous salariés, retraités, étudiants ou lycéens, nous ne
serons définitivement ni contrôlables ni au format voulu
par les classes dirigeantes.


PERTES ET FRACAS

On allait voir ce qu’on allait voir ! La “croissance de la
France”, le jogger de l’Élysée prétendait l’été dernier
aller la chercher là où elle se planquait. Bon sang, il
allait les ramener entre les dents les points de croissance,
avec ses petits bras musclés et son bagout de vendeur de
polices d’assurances. Et puis rien. Si ce n’est la
croissance de sa rémunération de 172%, le triplement du
budget de l’Élysée et 15 milliards de cadeaux fiscaux à ceux
qui ont déjà tout ce qu’il faut et plus.

Quant à la “croissance” de l’économie française, le bide
se précise. Et ce ne serait pas en faisant lire par
l’encadrement dans les entreprises des pages de Maurice
Thorez sur la nécessité de terminer une grève ou de produire
toujours plus que “la croissance” pointerait son nez. La
crise financière internationale qui fait lentement et
sûrement murir une récession aux États-Unis va aussi
remettre à sa petite place le capitalisme hexagonal, comme
tous les capitalismes européens au demeurant.

Les pertes des banques sur le crédit hypothécaire sont
considérables. Elles sont d’autant moins faciles à évaluer
que leurs directoires s’emploient beaucoup à en cacher
l’étendue. Les pertes avérées de la banque Northern Rock
sont telles que l’hebdomadaire britannique The Economist
suggère d’un air navré (et piteux pour son credo
fanatiquement libéral) de nationaliser cette banque.
À charge pour les contribuables britanniques de combler
le trou dans sa caisse.

La hausse des prix repart depuis trois mois à l’échelle
internationale à un rythme soutenu qui va miner le pouvoir
d’achat des salariés européens comme des travailleurs
indépendants. Lesquels ont déjà compris que “la
mondialisation capitaliste heureuse”, horizon indépassable
de l’histoire universelle, à laquelle il leur suffisait,
paraît-il, de s’adapter, est une arnaque propagandiste du
plus mauvais goût.

Le jogger de l’Élysée et sa bande de l’UMP qui ont une
vision grandiose de ces désagréables réalités économiques
mondiales ont peur... de perdre les élections municipales sur
la question de la dégradation du pouvoir d’achat.
S’il n’y avait que cela.

Ils ont tellement déjà porté et programmé de mauvais coups
contre les classes populaires, qu’on n’assistera pas
seulement à l’usure rapide des équipes gouvernementales en
place à Paris, Londres, Rome ou Berlin, mais à des réactions
sociales dont on ne peut prévoir ni l’ampleur ni leur
capacité à converger.


DES LUTTES EN EUROPE

Le point saillant dans l’actualité récente européenne est
que quelques secteurs de salariés ont fait grève plus ou
moins longtemps mais avec une détermination nouvelle. Outre
le mouvement des cheminots en France, il y a eu une grève de
six heures des cheminots en Hongrie, une grève de plusieurs
jours des cheminots conducteurs en Allemagne, la grève des
infirmières en Finlande, des mouvements dans les transports
en Angleterre pour parler de ceux d’une certaine importance.
Car il y a aussi une myriade de mouvements locaux portant de
plus en plus sur la fiche de paye et dont ne rendent compte
fugitivement que les médias locaux.

À quoi il faut ajouter plusieurs grèves ou menaces de grèves
en Russie, tout particulièrement la grève de 1 500 ouvriers
à l’usine Ford de la région de Saint Petersburg (voir
l’article récent de Carine Clément mis en ligne sur le site
http://alencontre.org/).

Jeter les fondations d’un nouveau mouvement ouvrier à
l’échelle européenne sera d’une extrême difficulté. Plus que
jamais les gouvernements et les bourgeoisies d’Europe
occidentale, sous le fouet des conséquences inquiétantes de
la crise financière internationale, imposeront aux salariés
et aux jeunes des conditions de travail et d’existence, mais
aussi des conditions plus dures pour mener leurs luttes, qui
s’apparenteront de plus en plus à celles qui sont
coutumières en Amérique Latine. Mais ce qu’il est bien
difficile à éradiquer partout sur la planète, à coup de
mensonges et d’abrutissement médiatiques, de licenciements
ou de répressions policières, c’est le sens de la
solidarité, celui qui redonne toujours sens aux gestes
individuels et collectifs pour aider les autres, pour
s’entraider, pour passer à une société humaine.


DE L’AUTRE CÔTÉ

Fatih Akin est un cinéaste allemand d’origine turque. Son
précédent film « Head-on » était très réussi. Son dernier
« De l’autre côté » ne l’est pas moins. Fatih Akin a conçu un
scénario tragique d’une grande richesse. Les histoires de
six personnages attachants s’entremêlent entre Brême,
Istanbul et un village de la mer Noire en Turquie. Tout
commence par la trajectoire d’un vieil immigré turc, veuf
depuis de nombreuses années, qui s’attache à Yeter, une
prostituée également d’origine turque. Son fils qu’il a
élevé seul a réussi à devenir professeur de littérature
allemande. Yeter envoie de l’argent à sa fille restée en
Turquie pour lui permettre de suivre des études. Elle n’en a
plus de nouvelles depuis des mois car sa fille s’est engagée
politiquement en Turquie dans un groupe d’extrême gauche
pourchassé par la police.

« De l’autre côté », c’est évidemment l’autre pays, celui de
l’exil et de ses déchirements (l’Allemagne) ou celui des
origines (la Turquie) où l’on peut très bien se sentir
finalement “étrangers” surtout lorsqu’on est en butte en
permanence à la répression policière ou à la prégnance de
l’islamisme.

« L’autre côté » peut aussi s’entendre comme celui de jeunes
gens de ces deux pays fortement campés sur le versant de
leur choix personnels, face à celui de leurs mères et de
leur père auxquels ils sont profondément liés. « L’autre
côté » est aussi celui de la mort, si stupide, si injuste
qui creuse dans les existences des vivants un vide
impossible à combler.

Ce film nuancé est porté par d’excellents acteurs. Il en dit
au passage beaucoup sur cette Europe des frontières
matérielles et mentales. Il nous rend particulièrement
sensibles aux aspirations humaines généreuses, affectives et
politiques, qui se heurtent à cette réalité-là, froide et
brutale.


LA ZONE D’INCONFORT

Nous avons déjà eu l’occasion de dire tout le bien que nous
pensions du roman Les Corrections (Points Seuil) de
l’écrivain américain Jonathan Franzen, une saga familiale
d’aujourd’hui d’un humour original. La zone d’inconfort
du même auteur nous livre divers éléments personnels sans se
présenter comme une autobiographie en bonne et due forme (éd
de L’Olivier, 253 pages, août 2007). Franzen a passé son
enfance et son adolescence dans une banlieue tranquille de
Saint Louis dans le Missouri. Tel un passereau cherchant sa
pitance de ci de là, il saute allègrement des épisodes de sa
jeunesse à ceux de son âge adulte ou supposé tel. Cette
comparaison nous vient naturellement à l’esprit car il est
venu un jour à Franzen le goût pour l’observation des
oiseaux aux quatre coins des États-Unis. Sa passion
ornithologique a agi comme un baume sur ses difficultés à
faire des choix intimes, à “gérer” les intrusions de sa
mère dans sa vie sentimentale et professionnelle, à faire
face aux graves maladies de ses parents et à trouver sa
propre voie.

Les amateurs de BD et de littérature allemande, ce qui n’est
pas incompatible, apprécieront ses développements sur les
« Peanuts » de Schulz (Snoopy, Charlie Brown, Linus, etc.),
sur Goethe, sur La Montagne magique de Thomas Mann et
sur Le Procès de Franz Kafka.


RAPPROCHEMENT

Une amie nous recommande une musique qui sort des sentiers
battus. C’est nous dit-elle « une musique composée par un
musicien iranien : Javid Afshari Rad et joué par l’orchestre
de la radio norvégienne. Ce rapprochement des hommes
donne un résultat magnifique à mon sens. C’est réconfortant
et plein d’espoir en l’avenir en ces temps de luttes sociales
difficiles. »

Pour entendre « Dastafshan, for Santur and Symphonic
Orchestra » de ce compositeur, il faut se connecter sur :
http://www.zarbang.com/pages/disc.html ou
http://www.youtube.com/watch?v=8NId....
En voyant cette
vidéo, on ne peut que partager l’avis de notre amie.

Le santur (ou santoor) est un instrument perse à cordes
percutées comme le cymbalum. La rencontre de cet instrument
avec des percussions, une harpe et tout un orchestre
symphonique est convaincante. La jubilation des musiciens
qui interprètent cette musique est communicative.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder

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