Une tribune pour les luttes

Revue de presse - article (10) - mars 2007 - Le Ravi

Une inspection très académique

Le Ravi n°39-mars 2007

Article mis en ligne le jeudi 10 janvier 2008

Trois parents d’élèves poursuivis devant la justice, un enseignant « mis à pied » et poussé vers la sortie, pour avoir « bousculé » un inspecteur hostile à l’organisation d’une classe de neige.

Une inspection très académique

« Pour nous, le problème est simple : un enseignant en difficulté scolaire (sic) mettait l’intégrité de ses élèves en danger. L’inspecteur de l’Education nationale a logiquement refusé l’organisation de sa classe de découverte. Des parents émus se sont introduits dans l’école et ont créé un incident avec l’inspecteur d’académie adjoint. Ce dernier a été bousculé, frappé et jeté à terre. Il y a eu dépôt de plainte, l’affaire est désormais devant la justice. » Lapidaire, Yves Poujol, chef de cabinet de l’inspecteur d’académie des Bouches-du-Rhône, ne désire pas s’étendre sur « l’incident » qui s’est produit à l’école de la rue de la Paix, à Marseille, le 19 décembre dernier. Il préfère botter en touche : « Je ne peux dire que des généralités, il faudrait que vous voyiez avec Alain Yaïche. » Mais l’inspecteur d’académie adjoint (IAA), le fameux inspecteur pédagogique régional (IPR) impliqué dans l’échauffourée, n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Bénéficiaire d’une interruption de travail temporaire de six jours suite à l’altercation, l’IAA s’est pourtant très vite remis de l’affaire : il était présent dès le lendemain des faits à une commission paritaire. Tous n’ont pas eu cette chance. Le même jour, Maurice Dernarnaud sortait d’une nuit de garde à vue. A l’automne prochain, ce délégué de parents d’élèves devra répondre en correctionnelle d’outrage et de violence volontaire envers un dépositaire de l’autorité publique. Il risque trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Les deux mamans présentes à ses côtés, dont la présidente de l’association des parents d’élèves (APE), sont poursuivies par l’Etat pour être entrées illégalement dans l’école. Elles sont passibles d’une amende de 7 500 euros, de travaux d’intérêts généraux et d’une inscription au casier judiciaire. Les trois, qui protestaient contre l’annulation d’une classe de neige, nient farouchement la version de l’IAA et le désignent comme responsable.
Quant à Erwan Redon, l’instituteur mis en cause par Yves Poujol, il a été immédiatement mis à pied bien qu’il soit resté en retrait lors de l’altercation. Sa hiérarchie a-t-elle trouvé un prétexte pour le mettre au pas ? Adepte d’une pédagogie inspirée de la méthode Freinet, il est hostile aux inspections, qu’il juge « infantilisantes ». Il en a refusé deux depuis qu’il enseigne rue de la Paix. C’est aussi un militant particulièrement actif, contre le CPE, dans le « Réseau éducation sans frontières » notamment... L’instituteur est depuis le printemps 2006 sous le coup d’une mesure disciplinaire. Le 19 décembre, son inspecteur de circonscription l’a qualifié « d’indigne de l’Education nationale » et sa classe de « désert cognitif et pédagogique »...
« De plus en plus d’enseignants se plaignent de l’autoritarisme des inspecteurs de l’Education nationale, déplore Rémy Ros de Sud Education. Ils les menacent de sanctions pour faute professionnelle, alors que le texte sur ce sujet est particulièrement flou. D’autres osent utiliser des formules comme « vous êtes le plus mauvais enseignant de votre circonscription ». Signe de la dégradation du climat social, une grève a fortement mobilisé dans l’académie d’Aix-Marseille. « Sur 11 000 instituteurs, 7 000 ont suivi le mouvement et 2 000 ont défilé », assure le syndicaliste.
En février, l’enseignant de l’école de la rue de la Paix a finalement accepté un arrangement négocié par les syndicats : l’abandon des sanctions contre son déplacement dans un autre établissement, un suivi pédagogique et son accord à une inspection. « Il a évité le conseil de discipline et une possible révocation », se réjouit Christophe Dore, le président du SNUIPP 13. Mais Erwan Redon n’est guère enthousiaste. « Mon incompétence est confirmée, regrette-t-il. La classe où je devais être affecté en était déjà à son cinquième enseignant cette année. Les parents de ma nouvelle école sont venus me voir pour me dire « On n’a rien contre vous, mais nous ne voulons pas changer une fois de plus d’instituteur »...L’instit rebelle a donc décidé, « pour souffler », d’anticiper un congé parental.
Pourtant, en-dehors de sa hiérarchie, l’enseignant a plutôt la cote. « Ses collègues me l’ont décrit comme très investi et les parents ne se sont jamais plaints de sa pédagogie », note Christophe Dore. « Une seule maman n’en était pas contente, précise Sophie Deshayes, la présidente de l’association des parents d’élèves de la rue de la Paix. S’il est si inconscient du danger, pourquoi l’avoir nommé coordinateur des randonnées sur l’école et avoir validé ses projets élaborés avec d’autres établissements ? » Elle attend maintenant son jugement comme une épée de Damoclès. « Je suis thésarde. Si je suis condamnée, je ne pourrai jamais poursuivre de carrière universitaire », tempête-t-elle sans regretter ses choix.
« Jusqu’à présent, concernant les affaires d’intrusions dans une école, seuls les cas extrêmes ont été sanctionnés, souligne Pascale Mazel, avocate des parents. Ici, nous avons affaire à des parents élus, qui ont donc une légitimité. L’issue des procès aura donc beaucoup d’importance. » Une inquiétude partagée par les syndicats. « Une condamnation serait un précédent qui pourrait refroidir les parents, redoute Rémy Ros. Chaque année, leur mobilisation permet pourtant d’accélérer les remplacements ou de sauver des classes. » L’action de ceux de l’école rue de la Paix n’aura pas suffit à préserver le séjour à la montagne des CE2 d’Erwan Redon. Bien qu’entièrement préparé, il a été annulé. Pourtant, seuls 2 des 18 élèves de cette école classée en « Zep » avaient déjà vu la neige. Un fait que l’Inspection académique n’a certainement pas jugé pédagogiquement déterminant...

Jean-François Poupelin

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