Une tribune pour les luttes

2008, Année de tous les dangers

Le chaos économique mondialisé

Article mis en ligne le vendredi 25 avril 2008

« Nous ne devons pas penser que la croissance va de soi. » George W.Bush : vendredi 4 janvier.

Deux nouvelles importantes pour l’avenir économique du monde nous viennent des deux géants actuels. D´abord, la Chine qui caracole en tête et qui bat ses propres records de développement depuis une quinzaine d´années avec un taux de croissance à deux chiffres. Le surplus atteint 177 milliards d´euros, au deuxième rang mondial, derrière l´Allemagne. Toutefois, pour Pékin, les excédents commerciaux record n´ont pas que des avantages. La Chine est un ogre. Le géant asiatique a enregistré un nouveau record d´excédent commercial en 2007, à 262,2 milliards de dollars, selon des statistiques officielles publiées vendredi. Soit 177 milliards d´euros. Au total, les échanges commerciaux de la Chine avec l´étranger ont totalisé 2.170 milliards de dollars. Sur un an, la progression a été de 47,7%, comparée aux résultats 2006 (177,47 milliards de dollars). Ces excédents commerciaux gonflent les réserves de change chinoises, déjà colossales. Selon la Banque populaire de Chine, elles ont progressé de 43,3% sur un an, atteignant les 1530 milliards de dollars.(1)
Ensuite les Etats-Unis d´Amérique : 800 milliards de dollars, c´est le montant du déficit commercial en 2007, 763,6 milliards de dollars, c´est le montant record du déficit commercial américain pour 2006, en hausse de 6,5% par rapport à 2005 (717 Mds $). Il était de 617,7 Mds $ en 2004 et de 496,5 Mds $ en 2003. 54% d´augmentation en 3 ans.
En 2006, le déficit commercial américain avec la Chine a également touché des sommets : il représente 30% du total, à 232,5 milliards de dollars. Les déficits commerciaux américains et donc le standard de vie américain, "non négociable", selon le mot de George Bush père, sont financés par le reste du monde (principalement le Japon, la Chine, l´Europe et les pays pétroliers). Si, par exemple, les Chinois lâchent brutalement les Etats-Unis, alors qu´ils n´ont pas encore développé la consommation sur leur marché intérieur, ils perdent leur plus important débouché commercial, ruinent leur potentiel de croissance et s´exposent à une explosion sociale.(2)
Reste que tous les pays créditeurs s´inquiètent de l´ampleur des déficits américains. En admettant que les Etats-Unis diminuent spectaculairement leurs déficits en achetant moins à l´étranger, ils prennent alors le parti de diminuer la consommation et touchent ainsi au standard de vie des Américains, avec les effets politiques désastreux qu´on peut imaginer. Simultanément, ils provoquent une récession chez leurs fournisseurs (principalement la Chine), qui n´ira pas sans graves conséquences sociales et politiques.

Comment se présente 2008 ?
L´année 2007 s´est effectivement mal finie : seulement 18.000 emplois ont été créés aux Etats-Unis en décembre. Il y a un an, le chômage affectait 4,4% seulement de la population active. "Il a augmenté dans presque toutes les professions", Au total, "l´économie a créé 111.000 emplois par mois en moyenne en 2007, contre 189.000 en 2006". Comment en est-on arrivé là ? Dans un texte publié en 2006, Greg Oxley économiste du PCF écrivait : "Le PIB des Etats-Unis, qui représente 39% de la production mondiale, a crû de 3% en 2003, puis de 4,4% en 2004. Son taux de croissance se situera aux alentours de 3,4% en 2005. Cependant, cette croissance repose essentiellement sur la spéculation immobilière et la consommation des ménages - qui reposent, à leur tour, sur une expansion massive du crédit. Le recours au crédit, aux Etats-Unis, a atteint des proportions absolument colossales. En mars 2005, la dette totale de l´administration, des entreprises, du secteur financier et des ménages américains s´élevait à 40.000 milliards de dollars ! Cette somme représente 137.000 dollars pour chaque homme, femme et enfant américains. L´endettement des ménages s´élève à 10.300 milliards de dollars, soit en moyenne 103% des revenus annuels des ménages. La seule dette fédérale -toujours en mars 2005- était de 7600 milliards de dollars. Le taux d´endettement ne cesse de croître et ce, à un rythme bien supérieur à la croissance de l´économie. Globalement, pour chaque dollar emprunté, la richesse créée n´est que de 23 cents. L´endettement de l´Etat s´est encore aggravé. Il a dépassé la barre des 8800 milliards de dollars. Le financement de la guerre en Irak coûte 9 milliards de dollars par mois. Les dépenses militaires (600 milliards par an) servent de justification à l´amputation des budgets de la santé, de l´éducation et des dépenses sociales en général. En 2006, il a atteint 857 milliards de dollars. Rien que pour financer ce déficit, les Etats-Unis doivent lever des emprunts à hauteur de 2 milliards de dollars par jour !(3)
Joeph Stiglitz, prix Nobel d´économie, explique le fait que l´ère des vaches grasses est révolue en écrivant : "L´économie mondiale a connu quelques bonnes années. La croissance a été forte, le fossé entre les pays développés et les pays en développement s´est rétréci, l´Inde et la Chine ouvrant la voie avec une croissance de leur PIB de 11,1% et 9,7% en 2006 et de 11,5 et 8,9% en 2007 respectivement. Même l´Afrique ne s´en est pas si mal sortie, avec un taux de croissance supérieur à 5% en 2006 et en 2007. Mais la période faste touche peut-être à sa fin. On s´inquiète depuis des années du déséquilibre général causé par les énormes emprunts américains à l´étranger. L´Amérique dit que le monde devrait la remercier : en vivant au-dessus de ses moyens, elle a soutenu l´économie mondiale, notamment grâce aux taux d´épargne en Asie, qui a accumulé des milliards de dollars en réserve. Mais il était évident que la croissance de l´Amérique sous George Bush ne pouvait durer longtemps. L´instant de vérité est arrivé. La malencontreuse guerre américaine en Irak a participé à la multiplication par quatre du prix du pétrole depuis 2003. Certaines économies ont eu à faire face au pire des deux fléaux : la stagflation".(4)
Il y a une lueur d´espoir dans ce sombre tableau : la croissance mondiale a des origines plus diverses qu´il y a dix ans. Depuis quelques années, ce sont les pays en développement qui sont les véritables moteurs de la croissance.(4)
Comme premier facteur peut-être déterminant : la géopolitique plus que jamais d´actualité avec les différents foyers de tension dont, notamment le feuilleton américano-israélo- franco- iranien. Pour Thierry de Montbrial :
"Le calendrier de la géostratégie ne court pas du 1er janvier au 31 décembre d´une année. Les événements du Moyen-Orient se comprennent encore et toujours à la lecture de la Première Guerre mondiale. De même, les secousses provoquées par la remise en cause de nombreuses frontières (Serbie, Kosovo, etc.) sont le reste du fabuleux tremblement de terre que fut l´éclatement de l´Empire soviétique. Et si je pousse plus loin la réflexion, il est clair que la révolution des technologies de l´information est à l´origine, à la fois, de la mondialisation, de la fin de l´URSS -branchée en direct sur l´autre côté du Mur- et du développement du terrorisme djihadiste, qui a fait sienne l´opacité des circuits financiers internationaux. C´est ainsi qu´il faut lire l´actuelle fragilisation de la planète".(5)
Sur le plan économique, après quatre années de croissance mondiale euphorique autour des 5%, l´heure des dangers est arrivée. Depuis l´été 2007, la déconfiture des subprimes -les prêts immobiliers à risques américains- a ouvert une crise financière dont tous les effets sont loin d´être connus, sur la sphère financière comme sur l´économie réelle. Les économistes espèrent un atterrissage en douceur mais ne peuvent exclure des scénarios plus noirs comme une récession outre-Atlantique, avec des effets en chaîne sur le reste du monde, ou une stagflation, c´est-à-dire une croissance anémiée assortie d´une flambée des prix. Selon une étude de la banque Goldman Sachs du 19 novembre, la facture totale de la crise des subprimes, en tenant compte des effets indirects comme le crédit plus rare et plus cher, pourrait atteindre jusqu´à 2000 milliards de dollars (1350 milliards d´euros)...(6)
Le Fonds monétaire international (FMI) tablait en octobre sur 4,8% de croissance mondiale en 2008 après 5,2% en 2007 et 5,4% en 2006. La croissance des Etats-Unis serait de 1,9%, celle de l´Europe de 2,1%, celle des pays émergents de 7,4%. Les prévisions sont plus pessimistes qu´en juillet dernier : elles étaient supérieures de 0,9 point pour les Etats-Unis et de 0,4 pour l´Europe. Le FMI a, d´ores et déjà, annoncé que ces chiffres seraient revus à la baisse De son côté, l´Ocde prévoyait dans ses "perspectives semestrielles", publiées le 6 décembre, une croissance en 2008 de 2,3% pour ses membres (contre 2,7% prévue en juillet). Pour sa part, la Banque centrale européenne (BCE) a abaissé ses prévisions de croissance pour la zone euro à 2%, En Chine, le PIB devrait croître de 10,8% (10% selon le FMI) contre 11,5% en 2007.

Mauvais signes
Pour la Banque mondiale, la croissance de l´économie mondiale connaîtra un ralentissement en 2008 et passera à 3,3%, lit-on dans un rapport de la Banque mondiale intitulé Perspectives économiques globales publié mercredi. "La croissance mondiale se ralentira pour atteindre 3,3%, et le développement des économies émergentes compensera en partie les résultats peu brillants des pays développés", indique le document. Les principales causes du ralentissement de la croissance sont la crise sur le marché des crédits (subprime) américains, les prix élevés des ressources énergétiques et les problèmes liés au cours des devises internationales.(7)
Le monde traversera en 2008 la plus forte période de risque économique et politique des dix dernières années, lit-on dans un rapport du Forum économique mondial (FEM), commenté par le quotidien russe Vedomosti. Le rapport intitulé Global Risks 2008 classe les risques qui sont évalués sur la base d´un questionnaire soumis à une centaine d´hommes d´affaires, d´hommes politiques et de scientifiques, Le principal risque auquel le monde est, d´ores et déjà, confronté, est lié à la crise du système financier qui engendre une hausse des prix alimentaires, une vulnérabilité des canaux de livraisons globaux et un enchérissement des ressources énergétiques, rapporte Vedomosti. Au-delà d´une possible récession américaine, se dessine donc la possibilité d´une crise de confiance des créanciers étrangers à l´égard des actifs américains qui remettrait en cause l´équilibre actuel de l´économie mondiale. Les décisions des pays du Golfe concernant le taux de change de leurs monnaies donnera une première indication à ce sujet. Des mauvaises nouvelles, prélude à ce chaos annoncé : les Bourses européennes ont subi un fort mouvement de recul. Le 15 janvier, Londres chutait à la clôture de 3,06%, Francfort de 2,14% et Paris de 2,83%, sur une accumulation de mauvaises nouvelles économiques et financières. Stockholm a perdu 3,43%, Madrid 3,37%, la Bourse suisse 2,68%, Milan 2,31%. La Bourse de New York évoluait, elle aussi, dans le rouge plombée par les pertes colossales de la banque Citigroup et un indice économique indiquant un essoufflement de la consommation aux Etats-Unis : le Dow Jones perdait 1,78% et le Nasdaq 2,10%. La déprime a, d´ailleurs, également été alimentée par un entretien de l´ancien président de la Réserve fédérale (Fed) Alan Greenspan, au Wall Street Journal, affirmant que les Etats-Unis sont déjà entrés en récession. Les craintes sur un coup d´arrêt brutal de la croissance étaient aussi ravivées par les résultats trimestriels désastreux du groupe bancaire Citigroup.(8)
Y a-t-il une alternative à cette croissance débridée ? Une contribution du Courrier international mérite d´être rapportée : pour son premier numéro de l´année, l´hebdomadaire Courrier international reproduit des articles parus en Suède, Nouvelle-Zélande, Allemagne, Royaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis.
"Le New Zealand Herald nous apprend ainsi que, d´après une étude de 2002, 23% des Australiens ont" ralenti "d´une façon ou d´une autre leur mode de consommation au cours des dix années précédentes et nous décrit comment Nikke Harre et Keith Thomas, un couple de Néo-Zélandais, ont progressivement changé leurs habitudes en consommant des oeufs de poules élevées en plein air, en abandonnant une de leurs deux voitures, en résistant à la tentation de tout faire rénover. Le Guardian (quotidien londonien) illustre, grâce à la courbe du psychologue américain, Tim Kasser, le caractère profondément malade du système économique anglais : la courbe représentant le revenu par habitant est en constante augmentation sur les quarante dernières années, tandis que celle illustrant la proportion de personnes se disant" très heureuses "reste stable sur toute la période et l´écart entre les deux courbes ne cesse de s´agrandir....Sur une autre page, le quotidien de Hambourg Die Zeit nous met en garde contre les dangers de la fin du week-end chômé : "Un pays à la structure hebdomadaire nivelée, une société désynchronisée, mettent à terme l´engagement politique et social de ses citoyens en danger" et se lamente qu´à la fin de ce processus il puisse ne nous rester que "le choix entre le travail, toujours et partout, et les loisirs, emballés et étiquetés"".(9)
C´est peut-être cela la sagesse qui nous prémunira contre cette consommation sans fin. Il reste que cette année 2008 est à surveiller de près. Certains analystes prévoient des perturbations dues aux incertitudes de l´économie américaine. Le mieux pour un petit pays comme l´Algérie c´est de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier et prendre exemple sur les pays du Golfe qui ont une façon intelligente de placer leurs 4000 milliards de $ d´excédent , notamment par des achats massifs d’actifs , d’investissement dans l’immobilier ou des prises de participation.

1.H.Lattard -La Chine pulvérise son record d´excédent commercial. L´Expansion.com 11 1 2008

2.http://carnetsdenuit.typepad.com/ca...

3.Greg Oxley, L´économie américaine.dimanche 29 avril 2007

4.Joseph Stiglitz. Project Syndicate : La stagflation arrive ! Le Quotidien d´Oran 10 janvier 2008

5.Thierry de Montbrial : "La bataille économique n´est jamais perdue d´avance" Propos recueillis par Marie-Béatrice Baudet Le Monde du 8.01.2008.

6.Adrien de Tricornot. Le Monde du 7 janvier 2008

7.http://fr.rian.ru/business/20080109...

8.AFP -La Citigroup 15/01/2008 L´Expansion.com.

9.www.agoravox.fr/auteur. php3 ?id_auteur22938 vendredi 11 janvier 2008

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger

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