Une tribune pour les luttes

"Soif d’Europe : témoignage d’un clandestin" Editions du Cygne, février 2008

Bonnes feuilles du livre de Omar BA

Article mis en ligne le dimanche 10 février 2008

Dans ce livre paru aux Editons du Cygne, un témoignage de première main sur un voyage de 3 ans pour entrer clandestinement en Europe. Ecrit avec les propres mots de celui qui a effectué ce périple incroyable.

Références du livre :

Soif d’Europe, Editions du Cygne, Paris, février 2008

Auteur : Omar BA
N° ISBN : 978-2-84924-068-7
Prix : 14 euros TTC
134 pages
14x21 cm
http://www.editionsducygne.com
Site Auteur : www.omarba.skyblog.com

Extraits du livre :

"Je range dans un petit sac deux bouteilles d’eau, ma participation à la survie. J’ai une autre sacoche contenant du riz et de la semoule. J’emporte un exemplaire du Coran donné par mon père. Ma mère me remet également un talisman porte-bonheur. Lorsque je franchis la porte de la maison, elle me rappelle pour me remettre une fiole qui contient une lotion fétiche, censée me donner du courage. Je l’attache autour de ma taille avec un fil en peau de léopard. Dans ma tête, tout est enfin clair. Je veux partir quoi qu’il advienne. J’ai assisté aux funérailles de dizaines de jeunes du quartier qui partaient pour les Canaries. Il n’empêche que je me sens prêt à affronter cet avenir tout de noir vêtu.
Je quitte Dakar le 5 septembre 2000 en taxi brousse. J’arrive en fin d’après-midi à la plage de Mbour, mon point de rendez-vous avec le passeur. Je cache mon sac dans un buisson et vais me balader sur la plage pour sonder l’océan, m’imaginant déjà sur l’autre rive. Je ne vois plus les vagues monstrueuses, mais le bel horizon qui semble tout connaître de mon avenir. Je vois des jeunes gens affluer vers l’embarcadère mais je ne sais pas si ils seront du voyage. La consigne du passeur est de ne parler à personne du projet.

Des enfants jouent à cache-cache entre des pirogues impeccablement rangées sur la rive. Les plus petits préfèrent construire des châteaux de sable. Ils rient aux éclats semblant prendre beaucoup de plaisir. Entre deux parties de jeu ils plongent dans l’eau froide sous l’oeil attentif des adultes.

Des jeunes hommes, torse nu, s’activent à tricoter des filets de pêche. Ils chantonnent en choeur l’hymne des pêcheurs : « à nous la mer, à nous les vagues, à nous le butin oula oula ! ». En attendant l’heure du rendez-vous, je me joins à eux pour passer le temps. Mais l’ambiance est assez bizarre. Je suis convaincu que ces jeunes ne sont pas tous des pêcheurs. Certains sont là sans doute pour les mêmes raisons que moi.
Les pirogues des véritables pêcheurs se succèdent. Les prises sont maigres. Les femmes, pour qui la traite du poisson est leur gagne-pain quotidien et l’unique moyen de nourrir leur famille, font grise mine. Les sardines qu’elles tentent de marchander restent hors de prix. Elles sont obligées de laisser les pêcheurs traiter avec les représentants de la principale entreprise européenne de transformation de poissons située à quelques encablures.

Tout de mon dernier jour au pays me pousse à prendre le large. Tandis que nos mères sont incapables d’acheter les malheureuses sardines, les Européens raflent toute la mise. J’ai la preuve, une fois de plus, que le salut est chez eux. Même chez nous ils réussissent à faire la pluie et le beau temps. Ils réussissent toujours.

La nuit tombe progressivement. Les dernières pirogues ont déjà accosté. Les joyeux enfants sont partis ; les sportifs qui courent le long de la plage aussi. Le bord de mer se vide petit à petit. Seuls quelques couples d’amoureux s’attardent pour profiter du magnifique coucher de soleil. L’heure a sonné pour moi. Fini le décor idyllique. Les choses sérieuses commencent. Je vois des jeunes gens jusqu’alors cachés quitter les dunes et les arbustes de la plage. Ils affluent vers l’une des pirogues. Sur celle-ci il est écrit « Air Europe ». Je reconnais tout de suite la barque que m’avait décrite le passeur. Avant d’aller vers l’embarcation je m’approche à nouveau de l’océan, prends un peu d’eau dans ma main droite, que j’asperge sur mon visage et sur mes cheveux. Je commence à faire mes prières.

Soudain, j’aperçois au loin une silhouette. Elle s’approche de la pirogue. Deux autres la suivent dans l’obscurité. Un individu avance vers nous ; il porte des lunettes. Je reconnais le passeur. Il ne perd pas un instant. Il passe à l’essentiel. Comme il ne participe pas au voyage, il désigne le plus âgé d’entre nous capitaine et responsable de l’embarcation. Il lui remet un GPS, un téléphone portable et deux bidons de gazole. Il explique à ce participant à cette expédition clandestine promu capitaine le fonctionnement du GPS et lui indique les zones qu’il va falloir contourner pour ne pas se faire repérer par les gardes côtes. Il passe en revue les risques qui parsèment notre trajet. Après, le passeur nous fait signe de nous approcher. Nous formons un demi cercle autour de lui. Il sort une longue liste et nous appelle, un à un, par nos noms. Tout le monde est au rendez-vous apparemment. Il reprend la liste depuis le début. A présent celui qui entend son nom verse les cinq cent mille francs CFA du billet, environ sept cent soixante euros.

Pendant ce temps un jeune homme habillé en costard noir s’est installé dans la pirogue. C’est l’un des complices du passeur. Il range l’argent dans un cartable. A sa droite un autre inconnu récupère les passeports et les dépose dans une pièce d’étoffe. Ceux qui n’ont pas de pièce d’identité, apposent une signature sur un petit papier aux écritures à peine lisible.

Le passeur procède aux derniers réglages, vérifie le moteur, ausculte la coque pour tester sa résistance. Il constitue un petit groupe chargé d’assister le capitaine. J’en fais partie. Le passeur m’informe de ma mission : diriger la pirogue jusqu’à Saint-Louis, la limite des eaux territoriales sénégalaises. Il m’explique comment fonctionne le moteur et la manière dont je dois m’y prendre pour changer de direction si nécessaire. La manœuvre s’avère simple ; il suffit de tourner la tête de l’engin qui sert de gouvernail.

- Bonne chance à vous, nous dit-t-il, presque méchamment.

- Ils en auront besoin, ajoute un de ses complices.

A partir de cet instant je sais qu’une autre vie s’offre à moi. Même si j’ignore les péripéties de la traversée, au moins je sais que dans un instant je vais quitter le sol de mon pays, cette terre dévoreuse d’espoir. Le sentiment d’être face à la mort m’est préférable à celui d’être incapable de subvenir aux besoins de mes proches, car cette impuissance est éternelle. Or devant une mort qui me tend les bras, ou je décide de survivre ou j’y reste. « Un homme brave décide toujours de survivre », me ressasse mon père depuis ma tendre enfance.

La marée est déjà haute. Nous partons à l’assaut des vagues pour tenter de franchir la barre et prendre le large. Dès la première tentative, un puissant courant propulse l’embarcation sur la côte. Nous revenons à la charge, déterminés. Entre deux grosses vagues nous plaçons laborieusement la pirogue sur l’eau. Les autres passagers nous rejoignent à la nage. La barque commence déjà sa lente progression. Je ne peux pas l’empêcher d’avancer même si tout le monde n’est pas à bord parce que le moteur n’est pas encore en marche. La pirogue chemine au gré des courants et du vent. Les bons nageurs sont montés sans problème. Les autres peinent à s’approcher de la pirogue. Nous pagayons de toutes nos forces pour leur permettre de monter à bord. Nous manœuvrons sous le regard froid du passeur et de ses acolytes restés immobiles sur la plage.

Le capitaine enclenche le moteur. Le vrombissement est parfait. Il ne présente aucun signe de dysfonctionnement. Sauf que la pirogue semble faire demi-tour. Le moteur est placé à l’envers. Je l’arrête. Aidé par le capitaine, je le replace correctement. J’ai tout l’air d’un professionnel devant mes compagnons. Je me surprends moi-même.

De toute ma vie je n’avais jamais mis les pieds sur une pirogue, mais j’ai la forte conviction que si je dois mourir au cours de ce voyage ce ne sera pas à cause d’une bête aquatique si féroce soit-elle. Pour ça, en cas de besoin, je fais confiance au gri-gri de ma mère. Si je dois y laisser ma vie ce sera pour une cause bien plus grave.

Je dois d’abord livrer bataille contre une voix intérieure qui me dissuade d’emprunter le chemin de l’Atlantique. J’ignore si elle dit vrai, mais son insistance me fait douter. J’hésite. J’ai peur d’accélérer la cadence du moteur. Je n’arrive pas à ignorer cette voix intérieure. Les autres passagers comptent sur moi pour quitter le territoire sénégalais. Parmi ces aventuriers, quelques-uns sont bien plus jeunes que moi. Pourtant ils ne semblent guère douter. Je prends exemple sur eux et accomplis le boulot qu’ils attendent de moi.

Je sais bien que le choix de l’Atlantique tranche avec le bon sens. Mais que faire ? Il faut que j’arrête de penser. A cet instant, mon cerveau est mon pire conseiller. Mon cœur est avec moi. Il bat d’espoir. Il vit le rêve qui est le mien. A défaut de ne pas perdre la tête, et Dieu sait que l’envie ne manque pas, je n’écoute plus que mon cœur et me fie à mon instinct.
Nous partons. Je n’éloigne pas la barque de la côte sénégalaise car je dois amener l’embarcation jusqu’à Guet-Ndar, une presqu’île de Saint-Louis au nord du Sénégal où nous devons embarquer d’autres passagers, candidats à l’émigration clandestine. Une trentaine de personnes doit encore monter à bord.

Le capitaine sort de sa poche le portable remis par le capitaine. Le répertoire ne contient qu’un seul numéro : celui de notre contact à Guet-Ndar. Il l’appelle pour l’informer de notre arrivée imminente.

Nous accostons vers minuit sur une plage déserte. Tout est calme. Le capitaine passe un appel. Au bout du fil, son interlocuteur nous ordonne d’éloigner la pirogue de la terre ferme. L’homme semble nous voir distinctement mais nous ignorons où il peut bien se cacher. Nous exécutons son ordre. En quelques coups de pagaies, nous éloignons la pirogue du rivage. Le capitaine, toujours en ligne, ordonne d’immobiliser la barque. Nous sommes à une centaine de mètres de la côte. Dans la nuit glaciale j’aperçois comme une sorte de vague venant de la plage, à contre-courant des autres. Il s’agit des passagers qui doivent embarquer. Ils nous rejoignent à la nage.
Une fois à bord, les nouveaux arrivants s’installent sans nous saluer. Le capitaine sort une liste et effectue la même opération que le passeur lors de l’embarquement à Mbour. Les trente candidats sont tous là. Seul notre contact téléphonique demeure invisible. Très vite, je me rends à l’évidence : sa mission est terminée. Désormais, nous sommes seuls face à face à notre destin, seuls face à cette mer démontée.

Le capitaine paramètre à nouveau le GPS. Je redémarre le moteur aussitôt et lui passe le gouvernail. Nous nous dirigeons à présent vers le delta du fleuve Sénégal que nous devons absolument contourner car la rencontre entre les eaux maritimes et celles du fleuve ne nous laissera aucune chance. Le GPS ne mentionne que les lieux majeurs de l’itinéraire. Sur les dangers du parcours c’est le silence total. Chacun de nous se mue en GPS humain donnant son avis sur tout. Cette solidarité est importante. Grâce à elle, nous éviterons le pire.

Normalement la pirogue ne peut transporter qu’une trentaine de passagers. Pourtant, depuis que nous avons quitté les eaux territoriales sénégalaises, nous sommes cinquante-huit personnes à bord. En plus notre plan de route prévoit un arrêt supplémentaire à Nouadhibou, au nord-est de la Mauritanie pour embarquer une vingtaine d’autres passagers, essentiellement des Maliens et des Nigériens selon le capitaine.

Pour éviter les gardes côtes mauritaniens de plus en plus vigilantes à l’égard des pirogues sénégalaises, nous faisons un grand tour. Cette manœuvre de contournement voulue par le capitaine nous vaut deux jours supplémentaires de navigation imprévus sur notre plan de route initial. On est obligé de se serrer la ceinture pour ne pas manquer de nourriture. Au lieu de deux repas quotidiens nous n’en prenons qu’un. Nous adoptons aussi une stratégie pour économiser le gazole en..."

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Vos commentaires

  • Le 11 février 2008 à 12:17, par mercure610 En réponse à : "Soif d’Europe : témoignage d’un clandestin" Editions du Cygne, février 2008

    Pour que cesse cette hécatombe de jeunes (et parfois moins jeunes) à la recherche d’une vie meilleure,vie meilleure que l’on ne trouve pas bien sûr, il faut aider les pays du tiers monde à se construire une économie qui leur permettra de vivre "décemment" au pays. D’avoir accès aux soins et à l’éducation. Ceci est dû à chaque être humain sur cette terre.
    Il est inadmissible que des peuples crêvent de trop bouffer et d’autres de ne rien avoir à se mettre sous la dent !
    Cessons d’être égoïste et ne penser qu’à nous ! Participez selon vos moyens à l’aide au tiers monde.
    O’OFOG-FRATERNITE
    association faisant du développement durable dans un village sénégalais.

  • Le 16 juillet 2008 à 22:36 En réponse à : "Soif d’Europe : témoignage d’un clandestin" Editions du Cygne, février 2008

    excusez moi de vous le dire mais cette personne n’est qu’un imposteur. il a fait agencé tous les moyens d’immigrations issues des récits d’anciens clandestins

  • Le 18 juillet 2008 à 01:42 En réponse à : "Soif d’Europe : témoignage d’un clandestin" Editions du Cygne, février 2008

    Pourquoi traitez-vous cet homme d’imposteur ? Lui qui a vécu un calvaire,lui qui a échappé à une mort certaine dans le but de fuir la misère de son pays ? c’est facile de traiter les autres d’imposteur quand on n’a pas vécu la même histoire...

  • Le 19 juillet 2008 à 20:35 En réponse à : "Soif d’Europe : témoignage d’un clandestin" Editions du Cygne, février 2008

    Omar l’imposteur
    C’est un mensonge cru que nous a servi Omar Ba.En 2000 les jeunes étaient remplis plein d’espoir avec l’alternance survenu au sénégal et à ce moment les rares sénégalais qui quittaient le pays prenaient la direction du Maroc pour passer vers setta ou Méllilia.Comment un jeune étudiant plein d’avenir peut il se permettre d’aller à l’aventure et comment a t-il fait pour s’inscrire dans les universités françaises,Quelqu’un qui paie 3000 euros pour voyager n’a t il pas les moyens de s ’acheter une fois dans sa vie une bouteille de coca ?C’est un imposteur et je le défie.Moi j’ai fait l’aventure et aujourd’hui je suis en france je sais de quoi je parle je lui ferai avaler ces mensonges qui ne sont que des récits d’autre clandestins.C’est son troisième livre qu’il publie.Omar saches que nous sénégalais nous crieront partout ton mensonge toi qui dénigre ton pays qui t’a donné une bourse pour venir faire ses études en france.
    Je laisse mon e mail et je suis prêt à en découvrir avec toi avec tes balivernes que du mensonge.
    papino10 chez yahoo.fr

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