Une tribune pour les luttes

Les OGM, une solution à la famine ?

Article mis en ligne le dimanche 17 février 2008

Six éminents biologistes moléculaires vantent, dans les colonnes du Monde (daté 31 janvier), "les résultats spectaculaires de la biologie moléculaire des plantes" et défendent l’idée que ces techniques seront indispensables pour nourrir les 9 milliards d’êtres humains de demain. Une telle prise de position, dans le contexte des débats actuels, appelle quelques commentaires.

Que des scientifiques se sentent concernés par ces questions est éminemment louable. Qu’ils oublient que leur domaine de compétence n’est pas seul concerné l’est moins. Dans cet article, il n’est pas fait mention des doutes ou des interrogations émis par leurs collègues travaillant dans d’autres champs disciplinaires.

Disons-le tout net, il y a en effet de sérieux doutes sur le fait que les OGM représentent la solution magique aux problèmes de sous-nutrition dans notre monde. Il y a de plus des risques avérés et de nombreuses incertitudes liés à la culture de ces OGM.

Concernant les problèmes relatifs à la faim et à la malnutrition dans le monde, ce ne sont pas les disponibilités alimentaires qui font globalement défaut. La question est directement liée à l’inégale répartition des ressources. Une part croissante des céréales et des protéagineux produits dans le monde est destinée de préférence à l’alimentation animale plutôt qu’à la nourriture des moins fortunés. Les deux tiers des personnes qui souffrent de la faim dans le monde sont des paysans qui n’ont guère les moyens de produire par eux-mêmes de quoi s’alimenter correctement.

L’accroissement de leurs revenus suppose bien un accroissement de leur productivité, mais les agronomes s’accordent pour dire que le potentiel génétique des plantes cultivées ne représente que très rarement le facteur limitant de celle-ci. Il existe d’ores et déjà des techniques qui leur permettraient d’accroître leurs rendements à l’hectare à des coûts monétaires et environnementaux relativement faibles. Mais la question n’est pas tant celle de "l’amélioration variétale" que celle d’une utilisation plus intelligente des cycles biologiques du carbone, de l’azote et de multiples éléments minéraux au sein des écosystèmes cultivés.

L’étude de la façon dont les OGM actuels sont en ce moment introduits dans les pays du Sud montre les risques induits. L’extension de la monoculture du soja transgénique dans les savanes du Brésil jusqu’aux confins de la forêt amazonienne se traduit déjà par une dégradation des sols et des pertes considérables de biodiversité.

L’épandage des herbicides associés à ces OGM constitue une sérieuse menace pour les cultures vivrières environnantes. Si, dans l’avenir, on produisait des génotypes capables de résister à la sécheresse ou à la salinité des sols, il est exact que ces gènes pourraient être utiles, mais à la condition qu’ils soient fournis aux paysans et intégrés dans leurs variétés en conservant leur diversité.

Si au contraire, comme c’est actuellement le cas avec les OGM pesticides, on les amène à ne cultiver qu’une ou quelques variétés industrielles sur de grandes surfaces, on les conduit à un désastre écologique à moyen terme.

Ajoutons à cela le fait que les OGM sont brevetés, ce qui prive les paysans de la propriété de leurs semences. Il s’agit là de risques avérés, on n’est plus dans la précaution mais bien dans la responsabilité directe vis-à-vis des producteurs du monde entier.

Si l’on ajoute à cela qu’il existe des incertitudes concernant la toxicité pour les êtres humains ou les écosystèmes des pesticides produits par les OGM ou utilisés grâce à eux, on voit que le tableau idyllique où les biotechnologies constituent "la" solution aux problèmes de la production agricole mondiale s’effrite.

Nous ne contestons pas le fait que les biotechnologies puissent être utiles à l’agriculture et il faut évidemment continuer une recherche de haut niveau dans ce domaine. Mais, pour cela, il faudrait qu’elles soient utilisées dans des conditions qui réduisent les risques et garantissent leur utilité. Il faudrait que les scientifiques acceptent l’idée que le laboratoire dans lequel ils travaillent ne leur donne accès qu’à une toute petite partie du monde, et qu’une réflexion impliquant les diverses disciplines concernées - la biologie depuis l’ADN jusqu’aux écosystèmes, en passant par les organismes ainsi que les sciences économiques et sociales - permet de faire émerger des procédures d’utilisation acceptables de ces technologies.

Tant que nos collègues biologistes moléculaires prétendront qu’ils peuvent seuls régler les problèmes de la planète en ignorant les avertissements qui leur arrivent de l’ensemble des autres disciplines, ils ne seront pas crédibles.

Il faut d’ailleurs remarquer que dès que paraît un article présentant une recherche qui montre un effet négatif d’un OGM, on voit une foule de critiques s’élever qui contestent la validité de telle ou telle affirmation de l’article et clouent l’auteur au pilori (en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ceci est allé jusqu’au licenciement du scientifique concerné).

Et si les défenseurs des OGM s’appliquaient cette sévérité à eux-mêmes ? Quelles preuves ont-ils de ce qu’ils avancent ? Quelles études agro-écologiques leur permettent-elles d’affirmer qu’ils pourront nourrir la planète dans un contexte économique, agronomique et écologique qui sera celui de l’avenir ?

Nous attendons qu’avec un tout petit peu d’humilité chaque discipline vienne contribuer à l’avenir de l’humanité en se donnant le mal de tenter de comprendre que seule une coopération entre les différents champs du savoir permettra réellement d’avancer avec sagesse sur ces questions d’une grande complexité.

Marc Dufumier est professeur à AgroParisTech ;

Pierre-Henri Gouyon est professeur au Muséum national d’histoire naturelle et à l’Ecole polytechnique ;

Yvon Le Maho est directeur de recherches au CNRS et membre de l’Académie des sciences.

Cécile Rousseau, Animatrice

Confédération Paysanne des Bouches du Rhône
10, avenue du général De Gaulle
13330 Pélissanne

conf13 chez free.fr

tel : 04 90 55 78 23

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