Une tribune pour les luttes

Collectif Migrants Mayotte

Suspension du droit du sol à Mayotte Un projet inconstitutionnel, discriminatoire et démagogique

Article mis en ligne le mardi 26 février 2008

En liaison avec le Collectif Mom (Migrants Outremer)
, le
collectif Migrants-Mayotte s’est constitué en novembre 2007. Il est
composé de nombreux travailleurs dans les secteurs sociaux, médicaux et
enseignants œuvrant à Mayotte, ainsi que d’une dizaine d’associations
agissant pour la défense des droits des étrangers et l’appui moral,
social, économique et/ou sanitaire des étrangers en situation irrégulière.

Le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Christian Estrosi a évoqué vendredi
22 février sur France 2 « une décision exceptionnelle » concernant
l’île de Mayotte uniquement. Il envisagerait l’adoption d’une mesure qui
ferait, selon lui, que « tout enfant né de parents en situation
irrégulière
 » ne pourrait plus « réclamer » la nationalité française.
Il s’agit tout simplement de la remise en cause du droit du sol. Le
Collectif Migrants-Mayotte s’insurge contre cette mesure que le
secrétaire d’Etat affirme vouloir proposer au printemps, et s’indigne de
l’utilisation politique qui en est faite localement.

Le Collectif
dénonce vigoureusement cette annonce à plusieurs titres.

Une mesure inconstitutionnelle. En septembre 2005, après sa visite à
Mayotte, le ministre français de l’Outre-mer de l’époque, François
Baroin, avait affirmé « envisager » la remise en cause du droit du sol
« pour certaines collectivités d’outre-mer » dont Mayotte. L’ambition
de M. Baroin n’avait pas passé la barrière de la Constitution. Les
constitutionnalistes semblaient unanimes à considérer qu’une révision
éventuelle du droit du sol ne pouvait concerner que l’ensemble du
territoire national. Cette remise en cause du droit du sol ayant été
envisagée par un projet de la loi sur l’immigration en 2006, le
président de la section du contentieux du Conseil d’Etat avait soulevé
un risque d’inconstitutionnalité. « Les conditions d’accession à la
nationalité française, dans notre tradition juridique, valent pour
l’ensemble du territoire de la République
 », avait-il indiqué. D’où la
conclusion d’une mission de la commission des lois de l’assemblée
nationale : « Une telle modification devrait donc nécessairement
concerner l’ensemble du territoire national.
 » En effet, les articles
73 et 74 de la Constitution excluent certains domaines des spécificités
ultramarines, parmi lesquels la nationalité. Comment une mesure
inconstitutionnelle en 2005 ne le serait plus en 2008 ?

Une mesure discriminatoire. En suspendant le droit du sol à Mayotte
uniquement, M. Estrosi ferait de cette Collectivité départementale un
territoire étranger au territoire français. Cela signifierait que tous
les enfants ne sont pas égaux au sein de la République ; que certains
sont plus valables que d’autres. Dans cette logique, un enfant de
Malgaches qui naîtrait en Métropole pourrait sous certaines conditions
être français, mais pas un enfant de Malgaches qui naîtrait à Mayotte !
Cette mesure serait d’autant plus néfaste qu’elle priverait certains
enfants nés de parents en situation irrégulière à Mayotte il y a 8, 10,
12 ans et scolarisés dans l’école républicaine, de ce droit fondamental.
Ces milliers d’enfants seraient dans une situation plus précaire encore
qu’elle ne l’est aujourd’hui. Que ferait-on d’eux ?

Une mesure démagogique. Selon M. Estrosi, « nous avons aujourd’hui à
Mayotte 30 % de la population qui est en situation clandestine,
irrégulière, et dans 10 ans elle pourrait être majoritaire par rapport à
la population franco-mahoraise
 ». En lisant les propos de M.Estrosi, on
a l’impression que n’importe quel enfant né à Mayotte est d’office
français. C’est faux. Selon la loi, un enfant né à Mayotte est français
depuis sa naissance :

- s’il est né depuis le 2 août 1975 avec un parent né à Mayotte (ou
sur une autre terre française à la naissance du parent et restée
française depuis) ;
- s’il est né depuis le 2 août 1975 et avant le 1er août 1994 avec
un parent né aux Comores avant le 31 décembre 1975 ou à Madagascar
avant le 11 avril 1960.

A défaut de remplir l’une de ces exigences, il ne pourra devenir
français que sous conditions de résidence et pas avant l’âge de 13 ans.
Autrement dit : le droit du sol n’est pas exclusif et est soumis à
d’autres obligations que semblent ignorer les responsables locaux et le
secrétaire d’Etat. Il ne suffit pas d’être né à Mayotte pour être français !

Une mesure inefficace. Faire croire que le droit du sol et par
extension l’obtention de papiers français est la principale raison qui
pousse les Comoriens et Malgaches à entrer la plupart du temps
illégalement à Mayotte relève du mensonge. Si les Comoriens viennent à
Mayotte, c’est avant tout pour des raisons économiques, sanitaires,
sociales, politiques ou familiales. Ils fuient la misère ou la
répression politique de mise actuellement à Anjouan, cherchent à y
accoucher dans des conditions acceptables ou à y scolariser leurs
enfants, visitent de la famille – car les Comoriens ne sont pas à
Mayotte des « étrangers » comme les autres, ils possèdent des liens
familiaux et culturels jamais effacés malgré la séparation politique
depuis 1975 de Mayotte avec les trois autres îles de l’archipel.

Quiconque s’est rendu à Anjouan, en Grande-Comore ou à Mohéli peut
affirmer que les raisons de l’émigration vers Mayotte ne sont pas liées
à l’obtention de papiers. Ce n’est qu’une fois sur place, quand les « 
étrangers » y ont fait leur vie, y ont trouvé un travail, que la
question de la régularisation se pose à eux. La suspension du droit du
sol ne modifiera donc en rien les flux migratoires.

D’autre part, il convient de préciser que l’utilisation faite par
certains responsables politiques mahorais de la déclaration de M.
Estrosi emploie des arguments invalides. Selon nombre de ces derniers,
les « Comoriens viennent à Mayotte car ils savent que s’ils ont un
enfant ils ne seront pas expulsables
 ». Une argumentation que les
chiffres officiels démentent : en 2007 en effet, sur 16.000 personnes
reconduites à la frontière, la préfecture a recensé plus 2.000 mineurs,
parmi lesquels des nourrissons, des bébés et des enfants accompagnés de
leurs parents –ou pas. Parmi eux, beaucoup étaient nés à Mayotte… Être
parent d’un enfant né à Mayotte ne rend en effet pas « inexpulsable ».

Une mesure inquiétante. L’outremer a toujours servi de ballon d’essai
en France. La suspension du droit du sol à Mayotte ne serait qu’un
préalable à ce qui se passera, dans les autres DOM-TOM d’abord, sur tout
le territoire ensuite. Il y a donc tout lieu, partout ailleurs sur le
territoire français, de s’inquiéter de « l’exception Mayotte ».

Dans ce contexte, le Collectif Migrants-Mayotte demande au secrétaire
d’Etat à l’Outre-mer de revoir son projet qui n’aurait d’autre effet que
de stigmatiser une fois de plus les populations «  étrangères » vivant à
Mayotte, et de tromper les Mahorais en leur faisant croire que la
suspension du droit du sol ralentirait l’immigration clandestine. Cette
mesure ne ferait que précariser des populations déjà très vulnérables,
et mettre à mal un des fondements de la République.
[1
ADDE (avocats pour la défense des droits des étrangers) ; Aides ;
Anafé (association nationale d’assistance aux frontières pour les
étranger) ; CCFD (comité catholique contre la faim et pour le
développement) ; Cimade (service œcuménique d’entraide) ; Collectif
Haïti de France ; Comede (comité médical pour les exilés) ; Gisti
(groupe d’information et de soutien des immigrés) ; Elena (les avocats
pour le droit d’asile) ; Ligue des droits de l’homme ; Médecins du monde
 ; Secours Catholique / Caritas France

Mamoudzou, le 24 février 2008

//www.gisti.org/spip.php ?article1094

<http://www.gisti.org>

D’autres informations dans notre dossier « Mayotte »

Retour en haut de la page

Vos commentaires

  • Le 26 février 2008 à 21:12, par Christiane En réponse à : Suspension du droit du sol à Mayotte Un projet inconstitutionnel, discriminatoire et démagogique

    Et en plus nous occupons illégalement Mayotte depuis 1974 , ce qui est très "rentable" financièrement et politiquement, par un référendum d’autodétermination truqué , et des coups d’état à la Bob Denard. Depuis l’ONU n’a jamais reconnu que notre présence là-bas était légale.
    Puisque la France profite des Comores, elle pourrait en échange rétrocéder un peu de richesse aux trois autres iles et accepter que les Comoriens se baladent un peu librement entre elles sans être pourchassés et noyés par les marins-policiers français qui percutent exprès leurs frêles embarcations traditionnelles..

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Répression c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 1265