Une tribune pour les luttes

Discrimination et « vivre ensemble » en Palestine mais aussi en France

par Pierre Stambul

Article mis en ligne le lundi 3 mars 2008

Des citoyen-ne-s d’origines diverses vivant en France, parmi lesquels des personnes d’origine arabe ou juive se rencontrent au centre social de la Busserine, dans les quartiers nord de Marseille pour parler de la guerre en Palestine et de sa perception en France.

Cette guerre n’est ni « ethnique », ni raciale, ni communautaire, ni religieuse. Elle porte sur des valeurs essentielles : l’égalité des droits, la justice, le partage équitable des richesses, la nécessité d’apprendre à vivre ensemble en respectant « l’autre » et sans chercher à le dominer, la laïcité, le refus du colonialisme.

Pour les Arabes vivant en France, les humiliations quotidiennes subies par les Palestiniens renvoient aux discriminations dont ils sont victimes quotidiennement chez eux. Pour les militant-e-s de l’Union Juive Française pour la Paix, les crimes de guerre commis par l’occupant en Palestine se font « au nom des Juifs », ce qu’ils/elles refusent absolument.

Occupation et apartheid

Il y a environ 5 millions de Juifs et 5 millions de Palestiniens qui vivent entre Méditerranée et Jourdain. Mais les premiers occupent plus de 90% de l’espace et possèdent l’essentiel des richesses. Les statuts des Palestiniens sont multiples.

- Commençons par ceux qu’on appelle improprement les « Arabes Israéliens ». Eux disent qu’ils ne sont pas assez arabes pour les Arabes, pas assez palestiniens pour les Palestiniens et pas assez israéliens pour les Israéliens. Ils sont aujourd’hui 1,3 millions soit 20% de la population israélienne. Ils sont les descendants de ceux qui ont échappé à l’expulsion au moment de la Naqba (la catastrophe) de 1948 quand 800000 Palestinien-ne-s ont été chassés de leur propre pays (et les traces des 750 villages détruits ont disparu). Ils sont citoyens israéliens ou plutôt sous-citoyens. Israël se définit comme un Etat Juif, ce qui est contraire à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Les Non-Juifs ne font pas l’armée (sauf les Druzes et certains Bédouins). Mais surtout, un très grand nombre d’emplois leur sont interdits : les compagnies d’eau, d’électricité, de téléphone, de transport public, l’essentiel de la fonction publique (sauf l’enseignement dans les écoles arabes). Résultat, un chômage massif. Carmiel et Sakhnine sont deux petites villes voisines de Galilée. Dans la première (juive), il y a 5% de chômeurs. Dans la deuxième (Palestinienne), il y en a 50% avec de nombreuses familles sous le seuil de pauvreté. Il y a très peu de villes ou villages « mixtes » en Israël. On reconnaît instantanément un quartier ou un village palestinien par le sous-équipement chronique : routes défoncées, égouts qui débordent. Avant 1948, les Palestiniens possédaient 92% de la terre de ce qui allait devenir l’Etat d’Israël. Les confiscations ont été immédiates. Et elles ont été ininterrompues depuis 60 ans. On célèbre chaque année fin mars la « journée de la terre », anniversaire de la grève de 1976 contre les terres confisquées à Nazareth. Mouvement très durement réprimé (6 morts). Les violences contre les « Palestiniens de l’intérieur » n’ont jamais cessé : plus de 40 morts quand l’armée israélienne tire sur des manifestants dans le village de Kafr Kassem (1956). Et 13 morts quand l’extrême droite israélienne (essentiellement des immigrants venus de l’ex-URSS) se livre à un véritable pogrom à Nazareth au début de la deuxième Intifada (2000). La justice israélienne a prononcé un « non-lieu » pour ce massacre. Les Palestiniens d’Israël votent de moins en moins pour le parti travailliste. Leurs suffrages vont essentiellement au parti communiste (Hadash) et au Balad, un parti dont le dirigeant Azmi Bishara, député au parlement israélien, a dû s’exiler pour éviter l’arrestation. Tous ces partis sont contre la définition d’Israël comme Etat Juif.

- La situation des Bédouins du désert du Néguev est encore plus grave. Dès 1950, ils ont été regroupés de force dans une petite zone du nord du désert et les Israéliens se sont installés sur leurs anciennes terres. Après avoir vainement tenté de les sédentariser dans des immeubles (!!) alors que les Bédouins sont essentiellement éleveurs et nomades, les dirigeants israéliens ont décidé de les parquer dans des « villages reconnus ». Il y a actuellement 180000 Bédouins dans le désert. Ils représentent 28% de la population de la province de Beersheba, mais n’occupent que 1% de l’espace. 1/3 d’entre eux vivent dans des villages « reconnus ». Les autres sont dans des villages non reconnus (45 dépassent 500 habitants), véritables bidonvilles sans eau, sans électricité, sans école, sans hôpitaux avec interdiction formelle de construire en dur. Il y a eu l’an dernier 270 démolitions de maison. Les Bédouins sont citoyens israéliens, mais la loi leur nie toute propriété sur la terre où ils ont toujours vécu. Leur sort rappelle celui des populations indigènes des Etats-Unis ou d’Australie.

- À mi-chemin entre le statut « d’Arabe israélien » et de Palestinien vivant dans les territoires occupés, il y a celui des « résidents » de Jérusalem. Quand les Israéliens ont annexé Jérusalem-Est en 1967, il n’y avait 80000 habitants à l’Est, essentiellement à l’intérieur des remparts de la vieille ville. Les Israéliens ont considérablement agrandi les limites de la ville qui compte aujourd’hui 800000 habitants, 1/3 israéliens à l’ouest, 1/3 israéliens dans les nouveaux quartiers de l’est qui sont en fait des colonies et 1/3 palestiniens à l’est. La ville s’étend de Ramallah à Bethléem sur 4% du territoire de la Cisjordanie. Les Palestiniens de Jérusalem Est ont un statut de résident. Ils ne votent pas, mais ont des facilités pour voyager en Israël comme en Palestine occupée. Ils paient leurs impôts à la municipalité, mais ne reçoivent rien en retour en terme d’équipements. L’augmentation des loyers les pousse à partir, ce qui leur fait perdre le statut de résident. Un nettoyage ethnique insidieux grignote petit à petit les quartiers palestiniens de Jérusalem. Dans la vieille ville, les Israéliens ont inauguré un musée rappelant le départ forcé de 3000 Israéliens en 1948. Mais il n’y a rien sur les 800000 Palestiniens chassés. Après 1967, les Israéliens ont chassé les habitants résidant autour du mur des lamentations soit 1/4 de la vieille ville. Dans ce qui s’appelle le « quartier musulman », on peut voir la maison d’Ariel Sharon, symbole de cette expulsion rampante. À l’est sur les collines, les colonies se multiplient. Sous l’une d’elle (Givat Shaul), il y a les restes du village palestinien de Deir Yassine où la population civile fut massacrée pendant la guerre de 1948.

- Les habitants de Cisjordanie sont divisés en trois statuts : A, B et C. En dehors de ces statuts, il faut comprendre qu’une énorme partie du territoire est en réalité annexée. Si on compte les colonies dont certaines sont de véritables villes, les territoires isolés par le Mur dit « de séparation » (condamné par la Cour de Justice internationale) et la vallée du Jourdain, c’est près de la moitié de la Cisjordanie qui échappe à toute souveraineté palestinienne. Tous les habitants des territoires palestiniens subissent les incursions israéliennes (quotidiennes dans les camps de réfugiés), les rafles et arrestations arbitraires (il y a 12000 Palestiniens emprisonnés, la plupart en détention préventive), les humiliations sur les check-points (il y en a 750, certains fixes, d’autres mobiles), les démolitions de maisons, l’interdiction d’utiliser les « routes de contournement » réservées aux colons. Les Palestiniens sont obligés d’acheter l’eau et l’électricité aux compagnies israéliennes, cette production étant interdite. Le Mur coupe en deux des écoles, empêche des paysans d’aller travailler dans leurs champs, interdit tout commerce, tout déplacement. La plupart des grandes villes sont encerclées par le Mur et les colonies. La zone C est totalement sous souveraineté israélienne, la zone B sous souveraineté mixte et la zone A dépend de l’Autorité Palestinienne. Souveraineté très relative car les incursions sont quotidiennes. Ces statuts différents constituent un véritable casse-tête car il est très difficile de passer d’une zone à l’autre ou d’épouser quelqu’un qui a un autre statut. Avec l’occupation et l’impossibilité de se déplacer ou de travailler en Israël, le niveau de vie s’est écroulé. La Cisjordanie compte 46% de chômeurs et une grande pauvreté. Malgré cela, la société résiste. L’entraide et les solidarités familiales existent. Le tissu associatif est très important. Les familles consacrent des efforts énormes pour les études des (nombreux) enfants. La Palestine compte de très nombreux médecins, ingénieurs, professeurs …

- Gaza pour finir. Territoire surpeuplé comptant 1,5 million d’habitants sur une zone grande comme deux fois la commune de Marseille. Dès la victoire du Hamas, le territoire a été déclaré « entité hostile » et un blocus très sévère a été décrété. Toutes les infrastructures (port, aéroport …) ont été détruites par l’occupant. Les territoires des anciennes colonies évacuées sont toujours des monceaux de gravats. Au lieu des 400 camions quotidiens nécessaires pour approvisionner la population, une quinzaine seulement peut passer. On manque de tout à Gaza : de nourriture, de médicaments, de cahiers. Les malades meurent, faute de médicaments. L’ouverture pendant quelques jours de la frontière égyptienne n’a pas permis de reconstituer les stocks de vivres. Les coupures de courant ou d’eau sont incessantes. Les 3/4 de la population vivent sous le seuil de pauvreté. À cela s’ajoute le droit que l’armée israélienne s’est arrogé : les exécutions extrajudiciaires. Chaque fois que la mort d’un « activiste » ou d’un « terroriste » est annoncée, il faut y ajouter les « dommages collatéraux » : 5000 morts en 7 ans, en majorité des femmes et des enfants qui paient un prix très lourd. Gaza est devenu un « laboratoire » où en toute impunité, l’occupant « expérimente » jusqu’où il peut aller.

Et en France ?

Il serait injuste de comparer la situation des immigrés ou de leurs descendants vivant en France avec la Palestine. Et pourtant.

D’abord parmi les immigrés, il y a les Sans Papiers. La politique de la France à leur égard renoue avec les pires pratiques qu’on n’avait plus connues depuis l’Occupation. Le « Ministère de l’identité nationale » rappelle le commissariat aux affaires juives du régime de Vichy. La police française renoue pour les Sans Papiers avec la pratique des rafles, des arrestations au faciès, des centres de rétention (symboliquement, l’un d’entre eux, situé à Rivesaltes jouxte le camp où furent internés des républicains espagnols avant d’être livrés aux Nazis). Vis-à-vis des Sans Papiers, la France viole quotidiennement des textes internationaux qu’elle a signés : droit d’asile, droit de vivre en famille, droit à l’éducation, droit à la santé. Le quota de 28000 expulsions par an insulte l’histoire. L’Union Juive Française pour la Paix fait partie du « Réseau Education Sans Frontière » (RESF) au nom du passé, pour que ce qui a pu se passer pour la génération précédente ne revienne plus jamais. Ce n’est pas un devoir de mémoire, mais un devoir de solidarité.

Et pour les immigrés en situation régulière ou les Français issus de l’immigration maghrébine ou venus d’Afrique Noire ? Eux aussi connaissent régulièrement les contrôles au faciès, la suspicion et les humiliations permanentes. Ils connaissent aussi la ségrégation urbaine. L’exemple de Marseille est criant. La population issue de l’immigration (25% de la population totale) est très faible dans les quartiers sud et atteint voire dépasse les 50% dans les quartiers les plus pauvres. Elle est clairement majoritaire dans la plupart des cités.

Les discriminations sont évidentes à l’Ecole. Si celle-ci a pu servir d’ascenseur social pour d’autres immigrations, ce n’est plus le cas. L’Ecole reproduit les inégalités sociales en sélectionnant et en rejetant les jeunes issus de l’immigration des voies de formation les plus recherchées. Elle n’offre à ces jeunes que la galère ou des métiers non qualifiés sans formation. Les discriminations existent pour l’emploi. Dès qu’on s’appelle Mehdi ou Aïssa, à formation égale, il est beaucoup plus difficile d’être embauché-e. Chômage et précarité sont beaucoup plus fréquents. Et puis, il y a aussi une discrimination de la part de la police ou de la justice pour qui les « immigrés » sont tous des délinquants ou des trafiquants : « de la racaille qu’il faut nettoyer au kärcher » avait dit l’ancien ministre de l’intérieur avant de devenir président. Il faudrait encore parler des discriminations religieuses vis-à-vis de l’Islam (absences de lieux de culte ou de carrés musulmans dans les cimetières) ou du racisme au quotidien, souvent teinté de relents coloniaux et de stéréotypes ignobles.

Il faudrait aussi évoquer les ravages du libéralisme. La destruction du tissu social, des retraites, de la protection sociale, la désindustrialisation, l’absence de lien associatif, ont beaucoup plus fortement touché les Français-e-s issu-e-s de l’immigration.

L’exemple français montre que l’accès à la citoyenneté est indispensable mais qu’il n’est pas suffisant pour faire cesser les discriminations.

Vivre ensemble, là-bas et ici

Même s’ils sont encore peu nombreux, il y a des Israéliens et des Palestiniens qui ont décidé de vivre et de lutter ensemble. Il existait depuis longtemps des expériences un peu utopiques d’élever ensemble enfants Palestiniens et Israéliens dans les deux langues. L’expérience de Névé Shalom existe depuis 40 ans, mais elle est restée minoritaire. Les Israéliens n’ont pas le droit de se rendre dans les territoires occupés. Pourtant des militant-e-s y vont régulièrement. Il existe un parti « binational » (le parti communiste) et beaucoup de groupes binationaux : citons l’AIC (Alternative Information Center) animée à la fois par Michel Warschawski et par des Palestiniens des territoires. Il y a aussi « les Femmes en Noir », « l’association des familles endeuillées », Taayoush (= vivre ensemble). Pendant des années, rencontrer des dirigeants Palestiniens était un crime passible de prison. Pourtant des Israéliens (Uri Avnéry, Matti Peled …) ont rencontré Arafat quand c’était politiquement très incorrect. Aujourd’hui, les associations des camps de réfugiés travaillent régulièrement avec des anticolonialistes israéliens. Les Anarchistes contre le Mur manifestent régulièrement à Bil’in avec les villageois. Des associations israéliennes travaillent pour dénoncer les check-points, les démolitions de maisons, les emprisonnements et avec les Palestiniens, elles cherchent à ressusciter la mémoire des villages détruits en 1948. Quand on voyage en Palestine et qu’on dit qu’on est Juif/ve, il y a un grand respect. Les Israéliens qui ont établi des liens d’égalité et de fraternité avec les Palestiniens sont sans doute peu nombreux (« une petite roue » dit Michel Warschawski) mais les « porteurs de valise » français pendant la guerre d’Algérie étaient encore plus rares. Ils ont pourtant permis qu’une réconciliation soit possible.

En France, il ne fait pas de doute que la question des discriminations dans une société libérale qui détruit les solidarités et la protection sociale est devenue centrale. Les associations antiracistes, celles qui défendent les droits des « Sans », sans papiers, sans logis, sans travail jouent un rôle fondamental. Leur tâche est immense : unifier les mouvements qui luttent contre les discriminations, imposer des mesures effectives pour la mixité sociale, contre la ségrégation urbaine, contre les discriminations à l’emploi …

Alors un rêve : qu’à partir d’une solidarité pour les droits du peuple palestinien naisse une autre solidarité pour en finir avec les discriminations.

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