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Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne : les immigrés rapportent plus qu’ils ne coûtent

Par Carine Fouteau

Article mis en ligne le vendredi 21 mars 2008

Mediapart en accès libre jusqu’à dimanche

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Répandues à l’étranger, les études mesurant l’impact économique de l’immigration sur la croissance et les comptes publics sont quasi inexistantes en France. Elles montrent pourtant que, dans plusieurs pays, les étrangers contribuent plus qu’ils ne consomment, notamment en prestations sociales.

Sélectionner les étrangers en fonction de leur utilité sur le marché du travail : Nicolas Sarkozy a fait de ce principe le moteur assumé de la politique migratoire française. Il lui a trouvé son slogan : l’immigration choisie ; son objectif : l’augmentation des entrées au titre du travail au détriment du regroupement familial ; et son premier outil : la carte « compétences et talents ». Brice Hortefeux, le ministre de l’Immigration, lui a emboîté le pas en listant les métiers rencontrant des difficultés de recrutement : s’ils disposent de compétences correspondant aux besoins de l’économie, les étrangers peuvent espérer obtenir plus facilement une autorisation de travail et un titre de séjour. Les quotas, voulus par le chef de l’Etat, s’inscrivent dans cette logique utilitariste.

Mais il est un terrain que le gouvernement français, à la différence de ses voisins, n’exploite pas : le coût – ou le bénéfice – de l’immigration. Quel est son impact sur la croissance économique du pays d’accueil ? Pèse-t-elle ou au contraire améliore-t-elle l’état des finances publiques ? En Grande-Bretagne, en Espagne et aux Etats-Unis notamment, les pouvoirs publics se sont penchés sur ces questions et ont conclu à un effet globalement positif de l’immigration.

En France, ni le chef de l’Etat ni le ministre de l’Immigration ne publient de données chiffrées, alors même que celles-ci pourraient permettre de valoriser la présence des étrangers sur le territoire. Et contrer l’idée reçue selon laquelle les immigrés viendraient profiter des aides sociales du pays d’accueil. Passage en revue de la littérature disponible et
éléments de réflexion pour le cas français.

En Grande-Bretagne : près de 20% du PIB

Le ministère de l’Intérieur britannique se passionne pour le sujet. Plusieurs travaux ont été réalisés ces dernières années : ils mesurent les taxes acquittées par les migrants par rapport aux prestations sociales perçues. En 2001, le Home Office a publié une étude, « Migration in the UK : an economic and social analysis », complétée en 2002 par une enquête approfondie, « The Migrant Population in the UK : fiscal effects » [2], selon laquelle en 1999 et 2000 la première génération de migrants a contribué à hauteur de 31,2 milliards de livres en impôts et charges sociales pour une consommation de 28,8 milliards d’aides, soit un bénéfice net de 2,4 milliards. Ce gain s’explique principalement par le fait que la population immigrée comporte moins de retraités et plus d’actifs que la population née en Grande-Bretagne.

Le type d’emplois occupés par les étrangers, plus qualifiés que la moyenne, compense par ailleurs leur taux de chômage plus élevé. Réalisée à un moment où les finances publiques étaient excédentaires, cette étude montre que les étrangers ont payé 10% de plus que ce qu’ils avaient reçu, contre 5% pour les « natifs ».

En avril 2005, l’Institute for Public Policy Research [3] a réactualisé ces travaux et conclu que l’immigration avait un impact positif croissant sur les finances publiques. Selon ses calculs, les migrants ont vu leur revenu s’accroître de 22% en termes réels entre 1999-2000 et 2003-2004, contre 6% pour les personnes nées sur place. Conséquence : ils ont de moins en moins pesé sur les dépenses. Sur la durée, la tendance ne devrait pas s’inverser : même si les travailleurs étrangers doivent, à terme, devenir des retraités, ils n’ont rien coûté à l’Etat en matière d’éducation et de formation.

En octobre 2007, une étude réalisée pour le ministère de l’Intérieur [4] poursuit la réflexion. Elle affirme que « l’immigration produit des effets clairement positifs à la fois sur le marché du travail et sur l’économie dans son ensemble ». Selon les estimations du Trésor, la population active a augmenté de 0,5% grâce à la main-d’œuvre étrangère entre le troisième trimestre 2001 et la mi-2006. La croissance, d’en moyenne 2,7% par an, a ainsi été stimulée, l’immigration y contribuant à hauteur de 6 milliards de livres, soit 15 à 20% du PIB. Le rapport rappelle par ailleurs que les migrants, qui représentent 12,5% de la population active contre 7,4% dix ans plus tôt, n’ont pas pris, ces dernières années, les emplois des Britanniques, leurs compétences étant plutôt « complémentaires ».

Un apport « énorme » en Espagne, une « bénédiction » en Italie

Les autorités espagnoles vantent elles aussi ouvertement les bienfaits de l’immigration. Il y a un an et demi, le ministre du Travail, Jesus Caldera, affirmait que l’apport des immigrés au système de Sécurité sociale était « énorme » et qu’il représentait « approximativement tout le surplus » de 7,7 milliards d’euros prévu alors dans le budget 2007. Il précisait que la population immigrée comprenait trente cotisants pour un retraité, pour une proportion de 2,6 pour 1 dans la population locale.

En novembre 2006, un rapport du bureau économique du chef du gouvernement [5] a corroboré ces déclarations : l’immigration, en forte progression (4 millions de personnes sur 44 millions), a des effets « largement positifs » sur la croissance économique, estimés à 30%, voire 50%, du PIB. Les immigrés contribuent, par ailleurs, à la création de nouveaux emplois (50% depuis 2001) et rapportent environ 23 milliards d’euros par an aux finances publiques, soit 6,6% du budget de l’Etat.

Principale raison : la plupart d’entre eux « viennent de pays en développement et leur niveau d’éducation est plus élevé que la moyenne de la population sur place », selon l’étude qui émet l’hypothèse d’une réduction des effets bénéfiques au fur et à mesure de leur vieillissement.
Le gouvernement italien, qui a procédé comme Madrid à des régularisations massives de sans-papiers ces dernières années, fait lui aussi la promotion de l’immigration. En octobre 2007, le ministre des Finances, Tommaso Padoa-Schioppa, a déclaré que les immigrés étaient « non seulement avides de travailler mais également hautement appréciés pour la qualité de leurs rapports humains ». Selon lui, cette main-d’œuvre est une « véritable bénédiction (…) pour les entreprises, pour les travaux les moins qualifiés, pour l’assistance aux personnes âgées et aux handicapés ».

Aux Etats-Unis, où les travailleurs migrants représentent environ 15% de la main-d’œuvre, les études macro-économiques sont plus contrastées, mais un rapport de juin 2007 émanant de la Maison-Blanche [6] salue sans ambiguïté les effets positifs de l’immigration. Le Council of economic Advisers, qui rassemble des conseillers économiques guidant l’action du président, y déclare que les étrangers ne se substituent pas aux locaux sur le marché du travail et qu’ils augmentent même les revenus de ces derniers, notamment parce qu’ils contribuent plus qu’ils ne perçoivent des services publics.


En France, pas de projet

Quelques rares économistes, comme Didier Blanchet [7], se sont intéressés au sujet dans une approche comparative, mais les études dédiées au cas français manquent. A l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Jean-Christophe Dumont [8] connaît lui aussi les enjeux : « Lorsqu’un étranger arrive en France à l’âge actif, il n’a rien coûté à l’Etat en matière d’éducation et de formation. Même s’il est plus vulnérable au chômage, il reste proportionnellement plus longtemps dans la vie active. Il peut donc percevoir un peu plus d’allocations chômage, mais sans doute un peu moins de prestations vieillesse, et ce d’autant plus qu’une partie des immigrés retournent dans leur pays d’origine avant la retraite. » « La situation française, poursuit-il, est peut-être moins favorable que celle de l’Espagne et du Royaume-Uni : dans ces deux pays, les indicateurs économiques sont au vert. La croissance y est forte, le marché du travail recrute à tour de bras. Le taux d’emploi des migrants y est particulièrement élevé. Avec une spécificité anglaise : l’immigration y est plus qualifiée. Comme aux Etats-Unis, les migrants viennent plus souvent en France pour rejoindre leur famille que parce qu’ils y ont décroché un emploi. Dans ce contexte, il importe de tenir compte de coûts sociaux et d’éducation plus élevés. Cela dit, il y a une composante ’marché du travail’ dans la migration familiale. Rejoindre sa famille n’empêche pas de travailler, loin de là. Par exemple en 2006, 88.000 entrées d’étrangers sur le marché du travail ont été enregistrées, dont seulement environ 10.000 au titre de l’immigration de travail. » « En prenant en compte tous ces éléments, non pas à un instant ‘t’ mais sur un cycle de vie, conclut-il, l’effet en termes de fiscalité ne peut être que positif, même s’il reste probablement modeste. »

Au ministère de l’Immigration, on indique ne pas avoir l’intention de documenter cette question. Plutôt que de valoriser l’immigration aux yeux de l’opinion publique, le projet est « de se concentrer sur les besoins des entreprises et de tenter d’y répondre localement ».

Cet article est né de la lecture des commentaires suscités par l’article que j’avais mis en ligne le 27 février 2008 sur l’introduction en France de quotas d’immigration. Des internautes s’interrogeaient sur l’impact macro-économique de l’immigration sur la croissance et les dépenses publiques. Voici donc un état des lieux du savoir en la matière.

Liens :

[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/carine-fouteau

[2] http://www.mediapart.fr/files/occ77migrant.pdf

[3] http://www.mediapart.fr/files/Paying_Their_Way[1].pdf.pdf]

[4] http://www.mediapart.fr/files/7237b.pdf

[5] http://www.mediapart.fr/files/Inmigration%20and%20Spanish%20Economy.pdf

[6] http://www.mediapart.fr/files/cea_immigration_062007.pdf

[7] http://www.mediapart.fr/files/Blanchet%201997.pdf

[8] http://www.mediapart.fr/files/cesifo_wp874.pdf

http://www.mediapart.fr/journal/international/160308/

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