Une tribune pour les luttes

Jeunes majeurs sans papiers

Julio, régularisé mais cassé

Article mis en ligne le lundi 24 mars 2008

Juste en passant vous dire que :

Julio n’est toujours pas revenu au lycée,

Julio a perdu 7 kilos,

Julio a peur de sortir de chez lui, même pour aller chercher un papier au foyer qui s’occupe de lui.

Julio, selon ses profs qui l’ont au téléphone, a beaucoup de difficultés à reparler français comme il le parlait avant toute cette histoire.

Julio dit qu’il ne comprend toujours pas ce qui s’est passé ce fameux mercredi où il a perdu son âge.

Julio ne semble toujours pas bénéficier d’un suivi médical.

Julio ne reçoit que le soutien de ses camarades de classe et semble toujours aussi délaissé (en termes de visites) par les gens chargé-e-s de s’occuper de lui.

Julio a la trouille au ventre et jusqu’à quand ?

Certes il est régularisé mais qu’en ont-ils fait ?

Avec une certaine naïveté, que je perds parfois parce que j’ai trop la tête dedans, j’ai envie de leur redemander : ça valait vraiment le coup (et le Apcoût) de lui faire subir tout ça ?

Je sais bien qu’ils (policiers, procureur, juges, préfet, hiérarchie préfectorale, agents du service des étrangers…) ne se préoccuperont jamais des conséquences sur Julio de tout ce qu’ils ont fait. Bien entendu en tant que fonctionnaires.

Mais, sous le costume du fonctionnaire, comment le vivez-vous bordel ce que vous avez fait ? Quand vous savez que vous avez foutu sa vie en l’air (provisoirement ou pour toujours), qu’est-ce qui vous permet de tenir ? Le sens du devoir ? La hiérarchie (c’est pas moi, m’sieur, c’est l’autre Jau-dessus) ? Les ordres ? La conviction qu’il fallait le faire ? La haine ?

Je sais aussi que cela ne vous fait rien mais, aujourd’hui au lycée, il y avait un café citoyen avec une centaine d’élèves. Il y en a une qui a longuement dit qu’elle avait appris avec cette histoire à ne plus avoir confiance dans la Justice, qu’elle s’en voulait de ne pas avoir vu plus tôt tout ce qui se passait, qu’il fallait à nouveau entrer en Résistance. Elle a dit ça calmement, sans haine mais avec une détermination impressionnante. Comme si quelque chose s’était cassé au-delà de tout ce que vous avez cassé dans la vie de Julio.

Je ne suis pas du style culcul mais son discours m’a impressionné. Et surtout le silence de toute la salle quand elle a parlé.
Comme si plus rien ne sera comme avant dans le rapport au monde de ces élèves. Grâce à ou à cause de (j’en sais rien) vous.

Dormez bien, agents des « stocks » de dossiers à traiter, agents des « reconduites à la frontière » à mener, agents des « contrôles d’identité sur ordre du Procureur » à amplifier, agents des « mises en rétention de tous les âges », agents de Sarkozy tout simplement.

Si votre boulot est de perturber à jamais (en tout cas pour cette année scolaire) le fonctionnement d’un lycée et la vie d’un élève qui riait souvent, sachez que vous avez sans doute dépassé vos objectifs.
Une prime, chef ?

• Un des profs de Julio •


Rappel

Julio, élève à Rennes, est en danger d’expulsion !


Mardi matin 4 mars , Julio
, élève angolais, participe avec sa classe à une sortie scolaire. Au retour de cette sortie, en compagnie de trois de ses camarades étrangers, il croise des policiers de la Police aux Frontières (PAF). Dans le cadre d’une grande journée de contrôles tous azimuts ordonnés par le Procureur à Rennes, ces policiers contrôlent deux des quatre élèves mais pas Julio. Celui-ci intervient alors pour rassurer les policiers sur l’identité de ses camarades et il subit lui-même un contrôle d’identité. Malgré ses papiers de mineur en règle, il est alors embarqué par les policiers et placé en garde à vue car ceux-ci pensent qu’il ment sur son âge.


C’est une première raison
de la mobilisation de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Il semble que la couleur noire des élèves ait été le principal critère de choix lors des contrôles d’identité. Trois autres élèves étrangers du lycée ont été contrôlés dans la même journée. Au total, sept élèves contrôlés donc.

C’est une deuxième raison
de la mobilisation de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Julio est emmené chez le médecin pour subir des examens médicaux et il est emmené menotté.

C’est une troisième raison
de la mobilisation de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Julio subit ainsi trois examens médicaux visant à évaluer son âge : examen de la pilosité, examen des organes génitaux, examen des os.

C’est une quatrième raison de la mobilisation de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Toujours menotté, Julio est ensuite emmené à son domicile qui est fouillé avec une certaine violence si l’on en croit notre élève.

C’est une cinquième raison de la mobilisation de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Le lendemain, mercredi 5 mars…

Les trois examens médicaux, dont la marge d’erreur serait de plus ou moins deux ans par rapport à l’âge réel, concluent que Julio a plus de 18 ans.

Déclaré majeur, Julio fait maintenant l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière signé par le préfet d’Ille-et-Vilaine mercredi matin. Autrement dit, le préfet souhaite expulser Julio de France pour le renvoyer de force vers l’Angola. Autrement dit, parce que des examens médicaux douteux disent qu’il n’est pas mineur, Julio ne sera plus notre élève et ne sera plus le camarade de classe de nos élèves.

C’est une sixième raison de révolte de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Mercredi, à 11 heures 20, Julio est placé en rétention dans le centre de Saint Jacques de la Lande. Nous allons le visiter. Alors que chaque retenu a le droit de recevoir une visite pendant une demi-heure, le temps de visite qui nous est accordé est arbitrairement diminué par les gendarmes sous prétexte qu’il y a beaucoup de monde à attendre pour les visites.

C’est une septième raison de la mobilisation de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Jeudi 6 mars

A 14 h 30, Julio est présenté devant le Juge des Libertés et de la Détention qui doit juger la validité de la procédure d’interpellation et de la régularité de la mise en rétention tout en devant répondre à une demande préfectorale de prolongation de la rétention pendant 15 jours pour Julio. Une soixantaine de membres de la communauté éducative de Basch décident d’aller soutenir Julio à l’audience. Plusieurs centaines d’élèves prennent aussi la décision d’aller soutenir Julio à l’audience.

Longue plaidoirie de l’avocat : sur l’irrégularité de la procédure, sur l’intégration de Julio, sur le caractère douteux des examens médicaux... Chaque argument est contredit avec rigueur par le représentant de la préfecture. Le juge se retire pour délibérer. Longue attente.

A 16 heures 30, nous apprenons que le juge considère les examens médicaux attestant de la majorité de Julio comme suffisants. Le juge considère donc que Julio est bien majeur, qu’il est en situation irrégulière (sans-papiers) et qu’il peut donc être maintenu en rétention pendant 15 jours supplémentaires, le temps que la préfecture d’Ille-et-Vilaine organise son expulsion.

C’est une huitième raison de la mobilisation de la communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch.

Mais rien n’est terminé : la mobilisation continue en soutien à notre élève !

.....

La Communauté éducative du lycée Victor et Hélène Basch •

07/03/2008


Après plusieurs manifestations importantes , Julio a été provisoirement régularisé. mais à quel prix :

En entrant dans la préfecture, mercredi 12 mars, Julio avait 16
ans. En sortant, il avait vieilli de deux ans, mais il avait un permis
de séjour d’un an en poche (accordé à titre « exceptionnel et
humanitaire » par le préfet).

Julio va avoir un contrat jeune majeur, un renouvellement du titre d’un
an jusqu’à 21 ans (fin du contrat) .

Julio a été forcé de dire que
sa date de naissance était fausse pour pouvoir bénéficier d’un titre
de séjour renouvelable pendant 3 ans.

il a une fausse identité, pour permettre à la préfecture de garder la face
devant la société civile !


Expulsions : l’Etat schizophrène

vendredi 14 mars 2008

Suite à la procédure d’expulsion ayant visé un des élèves mineurs de l’établissement, des professeurs et élèves du lycée V.H. Basch de Rennes publient une lettre ouverte à la République.

Serions-nous revenus aux âges sombres de notre histoire où des rafles de sinistre mémoire étaient organisées ? Comment comprendre que des contrôles systématiques visant, entre autres, à débusquer des étrangers en situation irrégulière se convertissent en suspicion systématique à l’égard de tout individu ayant des traits non européens ? Comment comprendre que cette apparence en fasse automatiquement un suspect pour lequel on déploie des moyens administratifs et judiciaires dont le seul but est d’accélérer les procédures d’expulsion sans laisser à la Justice le temps de réfléchir et statuer sereinement sur les cas qui lui sont soumis ? Serions-nous revenus au temps de la justice expéditive ?

Le cas de Julio, adolescent et élève au lycée V.H. Basch de Rennes, nous paraît révélateur en ce sens que, malheureusement, il pourrait faire école. Les conditions de son arrestation font douter que nous soyons encore dans un État de droit qui accorde à toute personne les garanties juridiques d’un traitement équitable. Plus grave à notre sens est l’instrumentalisation de la science à des fins judiciaires. Vouloir prouver par des examens médicaux dégradants (des organes génitaux, de la pilosité et des os) l’âge d’un adolescent devrait en soi nous interpeller tous. La chasse à « l’irrégulier » n’est-elle pas indigne de la République ? La République peut-elle autoriser l’humiliation de tels examens imposés à un adolescent ?

Mais plus grave encore, si c’est possible, le juge peut-il s’appuyer sur les résultats de tels examens en considérant qu’il est plus expert, de fait, que les experts scientifiques qui remettent en cause la valeur de ces résultats. Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé faisait ainsi remarquer dans son avis n° 88 : « L’hétérogénéité humaine est telle, dans le temps et l’espace, qu’il est vain de penser que d’ici longtemps il sera possible de déterminer, sans connaissance de sa date de naissance, l’âge chronologique exact, à un moment donné, d’une personne. » Notant en outre : « L’incertitude est même la plus grande entre 15 et 20 ans, âges pour lesquels les examens sont le plus fréquemment demandés. ». Ce comité dont le président, rappelons-le, est nommé par décret du Président de la République, aurait-il moins de compétences scientifiques qu’un juge qui refuse de prendre en considération les doutes inhérents à ces méthodes ? La République serait-elle devenue sourde ? Ou plutôt, ceux qui en sont les garants ?

En définitive, l’État français souffrirait-il de schizophrénie ? Julio était pris en charge par l’État français qui lui avait délivré des papiers de mineur. Ce même État, par les autorités de tutelle, avait placé Julio dans une institution scolaire (le lycée V.H. Basch de Rennes) afin d’y suivre une formation. Mais voici que l’État français se contredit par l’intermédiaire des autorités administrative et judiciaire en lançant une procédure d’expulsion à l’encontre d’un adolescent……que ce même État considérait auparavant comme mineur et qu’il couvait de sa protection. Notre République, héritière des droits de l’homme, ne serait-elle pas profondément malade ?

Mais voici qu’un Préfet d’État, pour des raisons « humanitaires » et « à titre exceptionnel », régularise Julio. Est-ce la lueur d’espoir que l’on attendait ? La République serait-elle entrée en résistance avec elle-même pour recouvrer la dignité qu’elle avait perdue ? Car l’arbitraire des arrestations, l’arbitraire des moyens utilisés, l’arbitraire de la justice, n’ont en rien été reconnus par cet administrateur de la République. Et encore moins l’arbitraire de la solution. Notre inquiétude est grande quand l’État, en la personne de son représentant, cache derrière la vertu d’humanité ses propres vices. Que la République reconnaisse ses faiblesses et ses contradictions, que cette reconnaissance puisse protéger ceux qui pourraient en être victimes. Voilà ce qui ferait sa grandeur.

Les citoyens, actuels et en devenir, du lycée V.H. Basch de Rennes.


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