Une tribune pour les luttes

Tirs croisés dans la chasse aux sans papiers.

Article mis en ligne le mercredi 30 avril 2008

Pour information

Extrait de l’instruction suivante que le procureur général de Bordeaux a adressé en mars à ses parquets :

« Dans le souci de mieux conjuguer notre action à celle des services préfectoraux en matière de lutte contre l’immigration clandestine, j’ai invité le Préfet de votre département à se rapprocher du magistrat de votre parquet, désigné pour être son interlocuteur en matière de contentieux des étrangers, afin d’évoquer avec lui un recours éventuel aux voies de droit, y compris le « référé rétention » , lorsqu’une décision du juge des libertés et de la détention lui paraît critiquable »

« S’il survenait une divergence entre vous, vous voudrez bien m’en aviser immédiatement en téléphonant à (…) »

« Je vous rappelle qu’il vous appartient d’interjeter appel chaque fois que vous constatez que le juge des libertés et de la détention a fait une application erronée de la loi, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Cassation, ou qu’il a fait une appréciation manifestement inexacte des éléments de fait qui lui étaient soumis, ce qui doit vous conduire àvérifier, chaque fois, la pertinence des motifs énoncés, au regard des éléments du dossier de la procédure, dont copie doit vous être directement transmise par les services préfectoraux »

Préfecture/ Parquet, même combat, on le savait déjà, mais là, c’est écrit et bonjour le droit à un procès équitable !

BON 1er MAI DE RESISTANCE ET D’ESPOIR !


Peut-on voir un lien avec ces constatations sur le blog de Serge Portelli, magistrat et vice-président du Tribunal du Paris du 22.04.2008

Quelques renseignements généraux sur la justice des étrangers

On peut y entrer comme on veut. Ces audiences sont réservées aux étrangers “en partance”. Ils ont été conduits dans des centres de rétention et le juge doit examiner leur situation à deux reprises, deux jours après leur arrivée et deux semaines encore plus tard. Dans le jargon des gens de robe on parle d’audiences de “35bis”. Parce que l’article de loi qui traitait la question portait autrefois ce numéro-là.... Quand je dis qu’on peut y entrer librement, c’est un peu exagéré. La justice est publique, certes, mais là, le principe est assez loin des réalités. À Paris, après s’être perdu quinze fois, avoir fait deux fois le tour du palais, demandé mille fois son chemin, s’il l’on a un peu de souffle et un brin d’obstination, il n’est pas exclu d’atteindre un escalier interminable en haut duquel s’entassent chaque jour des familles angoissées et les représentants de quelques associations méritantes.

Ne sous plaignons pas. Le citoyen qui souhaitait assister aux audiences de “35bis” au tribunal de Marseille, devait se rendre au Canet, au nord de la Ville. Une superbe salle aménagée installée au coeur même du centre de rétention. C’est évidemment plus pratique. Pas pour la justice, évidemment. Pour les escortes, l’administration, et plus généralement pour les statistiques. Si l’on veut atteindre 22, 25, 28.000 reconduites à la frontière, il faut rationaliser la production judiciaire. Toute la “chaîne” doit être regroupée en un même endroit pour réduire les dépenses inutiles et fluider les flux.

La palme de la productivité revient évidemment au tribunal de Toulouse. Le centre de rétention de Cornebarrieu a ouvert ses portes le 1er juillet 2006. Il faisait la fierté de notre administration. Il faudrait un jour rendre hommage à ceux qui ont construit ce bâtiment, au bord des pistes de l’aéroport de Toulouse. Quelle intelligence administrative ! Quelle humanité budgétaire ! Quel souci des deniers de l’état ! Tout juste quelques mètres à franchir pour arriver à la passerelle de l’avion du retour tant attendu !

Cette magnifique invention d’une justice rapide, moderne, efficace, adaptée aux exigences de son temps, est due à Nicolas Sarkozy. Non pas le président de la République mais le ministre de l’intérieur qui avait fait voter cette loi - qui porte son nom -, loi du 26 novembre 2003. Elle a permis que ces audiences soient “délocalisées” et puissent se tenir dans une salle située “à proximité” du centre de rétention. Las ! Quelques petits pois de la cour de cassation, qu’on n’attendait pas à pareille fête, ont contrarié cette belle harmonie. Trois arrêts de la première chambre civile, présidée par monsieur Bargue, viennent de donner raison à messieurs Nourddine Boulzazane et Mehdi Abbas, ressortissants algériens, et à madame Christina Moraru, de nationalité moldave, qui se plaignaient d’avoir vu leurs rétentions prolongées par un juge des libertés dans la “salle d’audience” du centre de rétention du Canet. Le Syndicat des Avocats de France, le Conseil National des Barreaux et le Barreau de Marseille - auxquels il faut rendre hommage - appuyaient leur recours. La cour de cassation casse et annule les ordonnances du premier président de la cour d’appel d’Aix en Provence qui n’avait rien trouvé à redire à cette procédure. Elle estime que la salle d’audience qui se trouve dans l’enceinte même du centre de rétention ne correspond pas aux exigences de la loi (article 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Effectivement, il n’est pas besoin d’être fin juriste pour saisir que l’expression “à proximité” est assez différente de l’expression “à l’intérieur”. On aimerait que la logique qui est à la base de cette loi soit sanctionnée. Que, comme l’avaient suggéré le Syndicat de la Magistrature, la Ligue des Droits de l’Homme et d’autres dès 2005, le principe d’un procès équitable, d’une justice impartiale serve de fondement à la censure de la cour de cassation, que la convention européenne des droits de l’homme soit invoquée plutôt qu’un article de loi qu’un autre article de loi demain peut compléter.
La justice doit être rendue dans un palais de justice et nulle part ailleurs. On peut rapprocher le juge du justiciable, dans des audiences foraines par exemples. On ne peut le confondre avec l’administration qui va exécuter la décision car à ce tarif-là les audiences de comparution immédiate se tiendront directement dans les maisons d’arrêt (nous en sommes aujourd’hui à 63.211 détenus, le record étant battu chaque mois).

J’étais donc arrivé, essoufflé comme tout le monde, dans les hauteurs du Palais de Justice de Paris, dans la salle des “35bis”. Il faut dire qu’à Paris, nous avions jusqu’en 2006, une centre de rétention délocalisé... dans le Palais de Justice. Une honte nationale. Un cul de basse fosse, sous les lambris de la cour de cassation, qui était régulièrement dénoncé par les autorités internationales. Là encore le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France s’étaient alliés pour mettre fin à cette ignominie qui avait duré si longtemps.

J’entre dans une salle presque vide. Quelques avocats, le juge, son greffier. Un justiciable, un seul. Je m’approche de lui pour discuter un peu et savoir qui est jugé aujourd’hui. Tiens ! Drôle de citoyen. Il prend beaucoup de notes et remplit des fiches. Sur le siège, à côté de lui, le “rôle” de l’audience : la liste de toutes les personnes présentées aujourd’hui. Qui peut bien être ce singulier personnage ? Je me penche un peu pour examiner les fiches qu’il remplit à chaque affaire. En voici la composition approximative.

COMPTE-RENDU D’AUDIENCE JLD (JUGE DES LIBERTÉS)
- Date
- Nom du magistrat
- Nom du représentant de la Préfecture
- Identité de la personne présentée
- Adresse
- Date et lieu de naissance
- Nationalité
- Passeport
- Interpellation
- Cause de nullité invoquée
- Cause de nullité retenue
- Décision
- Observations.

J’en reste bouche bée. Renseignements pris, notre homme est policier, membre des Renseignements Généraux, 12ème section, spécialisée dans l’immigration clandestine et le travail illégal. Depuis environ un mois, des fonctionnaires de RG se relaient pour assister à toutes ces audiences et remplissent ces fiches. La mission de ce service ? “La recherche et la centralisation des renseignements destinés à informer le gouvernement”, selon le décret du 16 janvier 1995. Mais que peut bien apporter cette surveillance quotidienne des audiences alors qu’un représentant de la Préfecture de Police y siège en permanence, détient un double du dossier, a droit systématiquement à la parole, peut prendre immédiatement toute mesure utile et rend compte de son action ? Quel besoin de savoir le nom du magistrat et celui du représentant de la Préfecture (qui peut être un avocat). Certes, les audiences sont publiques, et leur fréquentation régulière développe l’esprit civique. On ne peut donc que féliciter le ministère de l’intérieur d’assurer une telle formation à ses fonctionnaires, mais peut-être devrait-il prendre quelques précautions pour que ces notes si assidûment prises ne soient un jour malencontreux détournées de leur objet pédagogique.

http://chroniquedelhumaniteordinaire.blogs.nouvelobs.com

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