Une tribune pour les luttes

Triste continuité de la politique française en Tunisie.

Article mis en ligne le jeudi 1er mai 2008

Depuis toujours, la diplomatie française a fait passer ses intérêts économiques avant ceux des droits de la personne humaine. On pouvait donc craindre que la vente d’airbus ne soit guère propice à de franches explications sur les récentes conclusions du Comité des droits de l’homme de l’ONU sur la Tunisie. Examinant en mars le rapport que lui avait soumis Tunis sur son application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le comité s’inquiétait notamment des détentions arbitraires, de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il revenait sur le sort réservé à plusieurs organisations et défenseurs des droits de l’homme qui ne peuvent exercer librement leurs activités et sont victimes de harcèlements et d’intimidations, parfois d’arrestations. Le Comité des droits de l’homme avait aussi rappelé aux autorités tunisiennes que « la définition des actes terroristes ne devrait pas conduire à des interprétations permettant de porter atteinte, sous le couvert d’actes terroristes, à l’expression légitime des droits consacrés par le Pacte » .

Mais pourquoi douter a priori de la volonté d’un Président qui dans son discours d’investiture proclamait qu’il « ferai[t] de la défense des droits de l’homme et de la lutte contre le réchauffement climatique les priorités de l’action diplomatique de la France dans le monde. » Encore candidat, il osait même : « Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l’homme partout où ils sont méconnus ou menacés... »

Juste un an plus tard, notre héraut refuse donc de se poser en donneur de leçon comme si se préoccuper des droits de la personne humaine était faire autre chose que d’accomplir l’obligation de l’article 1er de la Charte des Nations unies « d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ».

Dans de telles dispositions d’esprit, un silence contrit à défaut d’être contraint serait sans doute un moindre mal. Mais il n’a pas suffi au Président français. C’est que les intérêts sécuritaires français lui paraissent exiger une franche défense du régime tunisien. Ainsi invite-t-il chacun à réfléchir : « Qui peut croire que si demain, après-demain, un régime du type taliban s’installait dans un de vos pays au nord de l’Afrique, l’Europe et la France pourraient considérer qu’elles sont en sécurité ? »

Et de soutenir qu’en Tunisie « aujourd’hui l’espace de libertés progresse ». La liberté progresse-t-elle quand les associations qui déplaisent ne peuvent se faire enregistrer, quand les avocats aux dossiers sensibles sont sous constante pression policière ? Quand y compris des associations, syndicats ou partis reconnus ne peuvent agir que sous contrôle permanent et restent à la merci d’une procédure judiciaire ou d’une interdiction de réunion de dernière minute ? Existe-t-il une télévision libre en Tunisie ? Une presse non gouvernementale aux moyens dérisoires est-elle la marque de la liberté ? Qu’en pense Slim Boukhdir condamné en novembre à un an ferme pour un outrage prétendu afin de mieux réprimer son insolente liberté de parole ?

Et le Président français de rendre hommage à la « lutte déterminée » des autorités tunisiennes contre le terrorisme. Sans doute précise-t-il : « Et je sais aussi qu’on ne combat pas les terroristes - j’ai été ministre de l’Intérieur - avec les méthodes des terroristes » Mais il ajoute : « Et c’est pourquoi je suis si attaché à la coopération entre nos services. »

Singulier appel à la coopération quand la Cour européenne des droits de l’homme a jugé le 28 février que la remise (par l’Italie) d’un ressortissant tunisien poursuivi pour terrorisme dans son pays violerait son droit à ne pas être pas soumis à la torture. Et la France ne dit mot des - et semble donc consentir aux - arrestations arbitraires, détentions au secret, tortures systématiques des personnes arrêtées au titre de la loi contre le terrorisme du 10 décembre 2003. La France ne saurait non plus protester devant des procès inéquitables menés, sans garantie constitutionnelle d’indépendance. Trop souvent, des magistrats statuent après des interrogatoires sommaires, sur la base de procès-verbaux aux dates falsifiées et d’aveux obtenus sous la torture, et sans que la défense soit admise, sauf exception rarissime, à faire entendre ses témoins. Et, au delà du rappel bienvenu à l’observance d’un strict moratoire en matière de peine capitale, la France ne parle qu’à demi-mot quand la Cour de Tunis condamne à mort, en février dans l’affaire dite de Soliman, au nom de la lutte contre le terrorisme.

En Tunisie, ce voyage officiel consterne les combattants de la liberté. La France étant au seuil de la présidence de l’Union européenne, Amnesty International France rappelle les propos du Président lorsqu’il s’engageait « à se battre pour une Europe qui protège, parce que c’est le sens de l’idéal européen. » L’Union pour la Méditerranée que veut M. Sarkozy se construira-t-elle ainsi dans le déni des droits humains ? Ne pas dénoncer leurs violations et, plus encore, prétendre à tort que leur respect progresserait, revient à les déconsidérer. C’est ainsi que l’on fait le lit de ceux que l’on dit combattre. Réfléchissez-y, Monsieur le Président.

Amnesty international

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