Une tribune pour les luttes

Ambivalence de l’Europe Forteresse :

Directive de la honte et UMP aux forceps

Article mis en ligne le lundi 30 juin 2008

"L’Union européenne instaure un "nouveau type d’apartheid" , elle se comporte comme si le droit de vivre dans des conditions humaines n’existait que pour ceux qui sont nés sur le bon continent." Journal Frankfurter Rundschau 20 06 2008

Professeur Chems Eddine Chitour

Voilà ce que titrait le journal allemand qui ajoute à propos de la « Directive Retour » . De quoi s’agit-il ? L’Europe se barricade et jette par-dessus bord, tous ceux et celles qui s’accrochent en vain pour accéder en vain à une condition humaine. Les dispositions scandaleuses de cette directive sont les suivantes : La détention peut atteindre 18 mois (32 jours au maximum en France actuellement). _ L’interdiction de retourner sur le territoire européen pendant cinq ans est systématique. Les migrants illégaux peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine mais aussi vers un pays de transit même s’ils n’ont aucun lien avec ce pays. La détention et l’éloignement des mineurs accompagnés ou isolés est permise. L’obligation de délivrer des titres de séjour aux personnes gravement malades est supprimée.

La directive retour est considérée comme l’élément central du « Pacte européen pour l’immigration » proposé par le président français Nicolas Sarkozy depuis sa campagne électorale. L’immigration sera l’une des priorités de la présidence française de l’UE à venir."Les Etats européens agissent sans aucune pitié contre les réfugiés", écrit le quotidien allemand. Sa première page est barrée d’un fil de fer barbelé pour symboliser la politique de l’UE en matière d’immigration. L’organisation altermondialiste résume cela : « Attac confirme son désaccord total avec cette volonté de constituer l’Europe en forteresse, surveillée par les moyens policiers et militaires de Frontex. La politique de l’immigration choisie et triée, avec la négation du droit à vivre en famille, avec le pillage des cerveaux des pays du sud, la restriction de l’exercice du droit d’asile et de l’accueil des malades fait partie de cette réorganisation du monde au seul bénéfice des pays dominants »

Rui Tavares, chroniqueur du quotidien portugais Público, déplore les atteintes aux droits de l’homme qui découlent de ce renforcement de la répression en matière d’immigration. Chaque année, nous célébrons le Jour du Portugal, de Camões et des Communautés portugaises .. et nous avons une pensée pour les millions de Portugais qui sont partis du pays, la plupart d’entre eux de façon clandestine et sans papiers. Ils s’en sont allés en quête d’une vie meilleure ; ils ont contribué au progrès des pays où ils se sont installés et ont aidé le nôtre grâce à l’argent rapatrié chez eux. Dans l’Europe d’aujourd’hui, ils seraient susceptibles de devenir des "criminels". Avec la directive du retour, votée au Parlement européen, ces immigrés, leurs familles et même des mineurs seuls pourraient être détenus jusqu’à dix-huit mois sans jugement. Comme il convient pour ce genre de choses, le langage utilisé est orwellien. Les "centres d’accueil" sont, en vérité, des centres d’expulsion collective. Et la directive n’est même pas "du retour", étant donné qu’elle ne garantit pas le rapatriement des immigrés et qu’elle prévoit qu’ils peuvent être livrés à des pays tiers sans évaluer les risques qui en découlent. L’Europe d’aujourd’hui, avec les leaders actuels, n’a même pas le souci de respecter les principes de base des droits de l’homme ni de réguler l’immigration. On peut défendre l’idée qu’il y ait plus ou moins d’immigration, mais nous devrions tous défendre le fait que l’on se penche sur le sort des immigrés par voie légale ; qu’une réponse leur soit donnée rapidement ; qu’ils aient droit à un recours ; que ceux qui font appel à une main-d’œuvre illégale soient punis et que des êtres humains soient traités, au minimum, en accord avec les droits de l’homme. Mais l’Europe d’aujourd’hui prétend harmoniser l’expulsion avant d’harmoniser les conditions de régularisation. Pour satisfaire l’opportunisme électoral de Sarkozy et de Berlusconi, nous rendons plus difficile la régularisation des immigrés pour ensuite pouvoir les pourchasser. Cette directive fera de l’Union européenne une fabrique de clandestins ».(1)

En fait qu’elle est la situation actuelle ? Des milliers d’Africains pour la plupart tentent leur chance en s’embarquant sur des coquilles de noix croyant atteindre l’eldorado après avoir quitté l’enfer de leur pays. Il ne se passe pas de jour où on n’apprend pas que des cadavres sont repêchés. Les épaves humaines échouent pour celles qi ont de la chance sur les plages espagnoles ou italiennes de Lampédusa. Commencent alors pour elle un chemin de croix qui aboutit dans la plupart des cas à un retour à la case départ avec en prime la prison et l’humiliation. « Plus de 30.000 étrangers non européens vivent dans des centres fermés sur tout le continent. Demandeurs d’asile ou en instance d’expulsion, ces clandestins sont retenus à l’abri des regards dans des conditions souvent insalubres. On en trouve dans des hangars de chemins de fer, des vieux silos à céréales, des usines désaffectées, des annexes de prison et même sur un bateau ancré dans le port de Rotterdam. De l’Irlande à la Bulgarie, de la Finlande à l’Espagne, les camps de rétention pour étrangers se sont multipliés dans l’Union européenne. L’Europe devenant de moins en moins favorable à l’accueil de migrants. On dénombre aujourd’hui 224 camps de rétention disséminés dans l’UE. Ils peuvent accueillir plus de 30 000 personnes au total – des demandeurs d’asile et des clandestins en attente d’expulsion. Les plus petits de ces centres accueillent quelques dizaines de personnes, les plus grands plus d’un millier. Un réseau s’est ainsi discrètement formé, sans grande surveillance ni beaucoup de règles, remettant parfois en service d’anciens sites, comme celui de Rivesaltes, dans le sud de la France, qui fut l’un des plus grands camps d’internement de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. » Les conditions de vie varient d’un centre à l’autre. Même les meilleurs sont bardés de caméras de surveillance et de fils de fer barbelés. Les pires sont infestés de vermine, manquent de services médicaux et sont le théâtre d’émeutes, d’incendies criminels et ¬de suicides. Les effets psychiques de l’incarcération peuvent être très sérieux, en particulier chez les jeunes. Les plus importants sont situés à proximité des principales voies de migration. Le plus grand, de 1100 places, est installé dans le sud de l’Italie, à Crotone. L’Europe ouvre des sites hors de ses frontières L’ouverture de ces centres n’ayant pas réussi à endiguer le flux migratoire, l’Europe cherche aujourd’hui de l’aide en dehors de ses frontières. Des accords bilatéraux, soupçonnés de reposer sur des alliances équivoques et d’autoriser des atteintes aux droits de l’homme, ont vu naître des camps situés dans des pays périphériques comme le Maroc, l’Ukraine, la Libye et la Turquie. »

L’Italie n’en a pas moins signé un accord secret avec la Libye, où, selon Rutvica Andrijasevic, un chercheur du Center on Migration, Policy and Society de l’université d’Oxford, elle a déjà construit un camp de rétention, qui sera prochainement suivi de deux autres. Claire Rodier, avocate et présidente de Migreurop, observe que les camps se sont multipliés en Europe ces dix dernières années. Aujourd’hui, à défaut d’autres initiatives et en raison de l’importance numérique du phénomène, ces "installations provisoires" sont en train de devenir permanentes. A Lampedusa, une caserne a été transformée en un énorme centre en vue d’accueillir les milliers de migrants recueillis en mer. Les Pays-Bas envisagent de transférer cette année une partie de leurs détenus sur deux plates-formes flottantes . A l’abri des regards extérieurs, beaucoup de ces camps offrent des conditions de rétention bien inférieures aux normes internationales. Les habitants de Samos sont encore sous le choc de la révélation de celles qui régnaient dans le vieux centre. C’est dans ce centre qu’un groupe d’Iraniens, mécontents de la longueur de leur séjour, ont organisé une grève de la faim en 2006. Ils ont façonné des aiguilles à l’aide de languettes de canettes de Coca-Cola et d’un briquet et se sont cousu les lèvres avec des fils tirés d’une prise électrique » (2)

Dans le même ordre, l’Europe décentralise sur l’autre rive, ses centres de détention. Kadhafi a demandé à l’Italie et à l’Union Européenne 450 millions d’euros pour avoir servi de gardes chiourmes pour le compte de l’Europe en 2007. C’est pour lui le prix de l’arrestation et des frais de nourritures de 20.000 personnes. (3)On le voit l’histoire se répète pendant la seconde guerre mondiale des compagnes haineuses étaient orchestrées contre les tsiganes, les Juifs et les Russes. L’Ordre nouveau n’admettait pas l’étranger. L’Europe nazie mis en place des centres de regroupement pour préparer la solution finale qui devait voir l’élimination de plusieurs millions d’hommes et de femmes coupables d’être nés au mauvais endroit au mauvais moment. Mutatis Mutandis les ministres chargés de la traque des sans papiers sentent pousser du « zèle ». D’autant que les médias européens si promptes à dégainer pour des vétilles font preuve d’un silence assourdissant Ainsi le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale en France , a présenté le 18 juin son trophée…Brice Hortefeux l’avoue lui-même, il est avant tout ministre des expulsions. Une politique limitée aux chiffres. A période de référence égale, les expulsions des irréguliers ont fait un bond spectaculaire. Le nombre de retours des immigrés illégaux dans leur pays d’origine sur les cinq premiers mois de 2008 serait en hausse de 80 %. Brice Hortefeux fait froid dans le dos. Une politique du chiffre « incompatible avec un traitement humain » qui crée « un climat épouvantable », selon Christophe Deltombe le président d’Emmaüs. Beaucoup de sans-papiers qui ne sont pas des délinquants vivent au quotidien avec la peur au ventre. Cette politique du chiffre est incompatible avec un traitement humain de ce dossier ».(3)

L’UE est impatiente d’attirer des immigrants hautement qualifiés de pays tiers afin de combler le déficit en terme de démographie, de main d’oeuvre et de compétences, mais dans de bonnes conditions, comme l’ont averti des experts et des responsables politiques. D’après les prévisions officielles, à l’avenir l’UE sera confrontée à un certain nombre de défis interdépendants : En raison des changements démographiques, on comptabilisera un retraité pour deux actifs dès 2050, ce qui remet en cause la viabilité des régimes de retraite. De plus, à mesure que le taux d’emploi augmente, il devient difficile d’équilibrer la demande croissante en main d’œuvre hautement qualifiée et la baisse générale du personnel spécialisé, notamment dans le secteur technologique. Comment faire ? L’Europe prend exemple sur les Etats-Unis avec leur carte verte. Lorsqu’il a présenté la proposition de la carte bleue le 23 octobre 2007 à Strasbourg, le président de la Commission José Manuel Barroso a déclaré : « L’immigration de main-d’œuvre en Europe dynamise notre compétitivité et donc notre croissance économique. Elle permet aussi de faire face aux problèmes démographiques résultant du vieillissement de notre population. Ceci est particulièrement vrai pour la main-d’œuvre hautement qualifiée. » Ceci rappelle chanson que chantaient les mères du Haut Atlas qui voyaient partir leurs enfants travailler dans les mines du Nord. Ces jeunes étaient traité comme du bétail par Mora le Négrier qui leur regarde la dentition et met un tampon vert sur la joue pour les plus aptes….

Tout est dit l’Europe continuera sans vergogne à aspirer les rares élites du Sud sans payer au minimum la contrepartie de leur formation évaluée au minimum à 100.00 dollars par diplômés. Comment peut-on comprendre cette ambivalence qui consiste à dire d’une façon unilatérale aux pays de la rive Sud : « J’impose ma loi, je vous renvoie « votre bas de gamme » dans des charters après l’avoir humilié et lui avoir détruit sa personnalité par cette détention inhumaine. Je vous prend votre sève pour me repeupler, celle qui est hautement formée et j’ai besoin de placer en plus sur votre territoire des centres de rétention pour contenir les hordes de barbares qui tenteraient de déranger mon train de vie. En prime à tout cela je décide de la mise en place unilatérale d’une Union pour la Méditerranée qui me permettra , outre l’aspect sécuritaire, d’avoir accès à vos gisements d’énergie, de contrôler par des subside, ce que vous faites ne matière de formation e de recherche en vous imposant le LMD qui me permettra de mieux absorber ceux que vous formez ».

Une Tribune appuyée par de nombreuses personnalités parue dans Le Monde du 7 juin dénonce Le projet de directive européenne " retour " Il apparaît avant toute chose nécessaire de rappeler la réalité que recouvre l’expression pudique de " retour ". L’expulsion est une violence qui multiplie les uns par les autres les traumatismes de l’arrestation inopinée, de l’emprisonnement, de la perte de son logement, d’une perte d’emploi, de la spoliation de la totalité de ses biens, parfois de la séparation brutale de son conjoint et de ses enfants, de la dislocation de tout lien avec son milieu et d’une reconduite contrainte, éventuellement assortie de violences. C’est une humiliation dont on ne se remet pas. Le pays dans lequel on avait placé l’espoir d’une existence nouvelle, qu’on avait parfois bataillé des années pour rejoindre, vous rejette, vous expulse et vous dépose sans bagage sur un Tarmac où personne ne vous attend ».

La nouvelle loi permet notamment le maintien en rétention, pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix-huit mois, des étrangers en attente d’expulsion. Cette disposition n’est pas la seule qui choque les défenseurs des droits de l’homme, mais c’est celle qui suscite, à juste titre, la plus vive protestation. D’abord parce qu’elle touche à la liberté de personnes qui n’ont pas commis d’autre délit que d’être en situation irrégulière. Ensuite parce qu’elle met en cause les centres de rétention, ces lieux où les conditions de vie sont souvent déplorables. Comme le souligne, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, cette directive formule n’est pas seulement abusive du point de vue des libertés individuelles, mais est surtout "disproportionnée au regard de sa finalité",

« Tout se passe écrit Thomas Ferenzi, comme si l’enfermement préalable cessait d’être un moyen de faciliter l’expulsion pour devenir, comme le notent les Verts, un "outil de gestion des flux migratoires". La Cimade, seule association habilitée à intervenir dans les centres de rétention en France, dénonce la "logique policière" qui sous-tend la politique européenne. La présidence française, de toute évidence, n’est pas prête à rompre avec cette logique ».(4)

En définitive cette Union est plus que jamais une Désunion pour la Méditerranée L’Europe a fait le plein en terme de nationalités de même essence culturelle. Elle s’apprête à intégrer sans coup férir et à la vitesse du TGV deux nations nouvelles nations : La Serbie, et la Croatie. A la Turquie qui frappe à la porte en vain, il est proposé un autre traquenard l’UPM, qui à non point douté est lourd de menaces et selon toute vraisemblance aura le même destin que le défunt Processus de Barcelone.


1.Rui Tavares . Union Européenne : La directive du retour est une fabrique à clandestins. Público Repris dans Courrier international 20 juin 2008

2. Caroline Brothers International Herald Tribune . Les camps de rétention toujours plus nombreux Courrier international 18 juin 2008

3. Chems Eddine Chitour : La nouvelle immigration entre errance et body shoping. Ed.Enag 2004

4. Brice Hortefeux : les bons comptes font les bons reconduits Agoravox 20 06 2008.

5.Thomas Ferenczi. Enfermer avant d’expulser ? Le Monde 26 06 2008

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

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