Une tribune pour les luttes

Meeting NPA de Clamart, 27 juin 2008

Pour un éco-socialisme du XXIe siècle

par Raoul Marc Jennar

Article mis en ligne le jeudi 10 juillet 2008

C’est la première fois, depuis très, très longtemps, que j’interviens à une tribune pour parler d’un parti politique. Et tout compte fait, c’était peut-être plus facile de parler de la proposition Bolkestein, du TCE ou des accords de l’OMC. Mais bon, les années passent et j’appartiens à cette génération qui rêve depuis trop longtemps d’un parti de gauche enfin conforme dans les actes à ses valeurs et aux espérances qu’il porte. Alors, j’ai décidé de ne plus me contenter de rêver.

Je vais expliquer pourquoi je souhaite le succès du projet NPA. Je n’aime pas ce nom provisoire ; j’espère qu’on va en trouver un autre, plus positif. Mais là n’est pas l’essentiel. Et, pour la commodité, je m’en servirai ce soir.

Je le souhaite parce que la LCR est la seule qui propose de se fondre dans un ensemble plus vaste où se retrouveront celles et ceux qui partagent les mêmes analyses, les mêmes alternatives et les mêmes stratégies. Aucun de ces partis ou groupes qui ont flingué le projet NPA avant même qu’il ait vu le jour n’a proposé d’en faire autant. Aucun. Même pas les Alternatifs Rouges et Verts dont le porte-parole distribue régulièrement des bons et des mauvais points aux uns et aux autres au nom d’une unité pour laquelle, comme les autres, son organisation ne propose rien d’autre que de répéter les erreurs passées.

Je souhaite le succès du NPA, parce que ce projet implique une cohérence qui est la seule garantie contre les dérives et les déceptions inévitables lorsqu’on met ensemble des contraires. On ne peut pas construire un rassemblement crédible entre des productivistes et ceux qui veulent d’autres modes de consommation, entre des pro-nucléaires et des écolos, entre des cocos et des libertaires, entre des partisans de l’Europe telle qu’elle se fait et des adversaires de cette Europe-là. On ne rassemble pas ceux qui veulent adoucir le capitalisme et ceux qui veulent le dépasser. L’appel de Politis ne tire aucune leçon de l’échec du rassemblement que nous avons tenté de construire sur la base de l’appel du 11 mai 2006 en vue d’une candidature unique à la présidentielle. On ne rassemble pas des contraires. Croire ou faire croire que le PS puisse redevenir socialiste, croire ou faire croire que le PCF puisse renoncer à ses liens avec le PS, c’est refuser de tirer les leçons des 25 dernières années et c’est entretenir des illusions sans lendemain.

Tout cela doit nous convaincre que la pertinence du projet NPA repose sur son contenu. Ce contenu doit traduire une mutation par rapport au message historique véhiculé par la LCR.

Cela ne signifie en rien que les militants de la LCR doivent se renier. Car la LCR elle-même a déjà intégré de nombreux thèmes qui sont constitutifs de cette mutation. Cela veut dire qu’il faut faire ce que la LCR comme telle n’a jamais fait - et François Chesnais le rappelait très bien dans une récente tribune - il faut donner à cette mutation une base théorique. Il faut que le projet du nouveau parti s’appuie sur une analyse globale du monde tel qu’il se présente à nous, non pas au 19e siècle, ni en 1917, mais aujourd’hui.

Je ne vais pas développer maintenant tous les éléments de cette analyse. J’en retiens trois qui sont ceux qui m’importent le plus comme militant altermondialiste :

* la démocratie et les libertés fondamentales

* la mondialisation

* l’égale centralité de la question sociale et de la question écologique.


LA DEMOCRATIE ET LES LIBERTES FONDAMENTALES

Je ne suis pas de ceux qui limitent l’engagement au terrain institutionnel. Je suis convaincu que vouloir changer la vie, cela peut se traduire par bien d’autres modes d’action que celui qui consiste à se faire élire. Et je voudrais au passage regretter à quel point on néglige encore trop les techniques fournies par la désobéissance civile qui sont une des formes efficaces de l’insurrection et qui, trouvaient déjà dans l’article 35 de la plus belle Constitution que la France se soit jamais donnée, celle de 1793, un fondement légal, puisque cet article disposait que « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

C’est manifeste, le champ institutionnel ne peut être le seul sur lequel l’action du NPA doit s’engager. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille le négliger. Car il apporte un élément hors duquel rien n’est acceptable à mes yeux : la garantie que les transformations indispensables sont le résultat de la volonté populaire majoritaire et non pas celui de la contrainte imposée par une minorité, fut-elle éclairée.

La démocratie est donc un élément incontournable dans la construction d’une alternative. Mais force est de constater que la démocratie n’a jamais réalisé la célèbre formule d’Abraham Lincoln : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Et j’ai envie de dire : moins que jamais. Car, comme jamais, aujourd’hui, les représentés ne se sentent plus représentés par leurs représentants. L’usage abusif de la délégation, de la communauté de communes à la Commission européenne, a complètement dévoyé la démocratie représentative. La professionnalisation de la représentation la confisquée. Et ce qui vaut pour les institutions vaut, avec la même intensité, pour les partis politiques tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui.

De la commune à l’Europe, la démocratie est à refonder. Il faut reprendre le rêve de Jaurès et faire de la démocratie un outil révolutionnaire.

De même, je suis convaincu que le parti à créer doit être à la pointe du combat pour les libertés fondamentales. J’appelle libertés fondamentales aussi bien les droits individuels que les droits collectifs.

Depuis une vingtaine d’années, une série de lois qui portent les noms de Pasqua, de Chevènement, de Vaillant, de Perben, de Sarkozy, de Dati, d’Hortefeux sont de véritables agressions contre les libertés fondamentales et de répugnantes atteintes à la dignité humaine. Les libertés reculent. Et nous oublions cet avertissement du pasteur antinazi Niemöller :

« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit,

Je n’étais pas communiste.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit,

Je n’étais pas syndicaliste

…et vous connaissez la suite, une suite à laquelle on pourrait ajouter,

Quand ils sont venus chercher les sans-papiers, je n’ai rien dit,

J’avais mes papiers

Une suite qui se termine par

Puis quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester ».

N’oublions pas cet avertissement. Les libertés reculent. Gravement.

Depuis le 11 septembre, au nom de la lutte contre le terrorisme, au nom de la sécurité, les lois liberticides se sont multipliées. Au niveau national et aussi au niveau européen, comme on vient encore de le voir avec la directive de la honte. Bien évidemment la sécurité est un droit. Et de ce point de vue, je dirai que le droit de ne plus vivre dans la peur reste à conquérir, dans les usines comme dans les quartiers. Mais jamais au prix des libertés fondamentales. Benjamin Franklin, dont on oublie souvent qu’il fut un grand penseur des Lumières, disait : « Ceux qui sont prêts à sacrifier une liberté essentielle pour acheter une sécurité passagère ne méritent ni l’une, ni l’autre. »

Approfondir la démocratie, défendre et promouvoir les libertés fondamentales est un impératif. Ce l’est encore plus quand on prétend à des changements révolutionnaires. La fin est déjà dans les moyens.

LA MONDIALISATION

Avec la mondialisation, nous sommes en présence de l’entreprise la plus gigantesque d’asservissement que l’humanité ait jamais connue. Nous dépassons déjà, ici et là, ce que redoutaient Huxley et Orwell. Nos gouvernements, assistés par le bureau d’études dont ils se sont dotés qu’est l’OCDE, l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques, ont fourni la capacité de limiter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à des institutions internationales, - la Banque Mondiale, le Fond Monétaire Internationale, l’Organisation Mondiale du Commerce - qu’ils ont dotées de pouvoirs contraignants. Au seul bénéfice des firmes transnationales.

Il faudrait plusieurs soirées pour décoder les textes et expliquer les mécanismes. Je veux simplement, à travers trois exemples concrets, indiquer qu’il n’est pas possible d’ignorer la mondialisation quand on prétend transformer la société. Il n’est pas possible comme le font encore si souvent les organisations syndicales d’attendre, pour réagir, les retombées nationales des négociations internationales ou européennes. Désormais, si on ne veut pas se résigner à des combats d’arrière-garde perdus d’avance, il faut se battre avec la même intensité au niveau national, au niveau européen et au niveau mondial.

Nous sommes confrontés au plus sinistre des jeux de poupées russes. La plus petite, c’est chacun de nos Etats ; la moyenne pour nous Européens, c’est l’Union européenne ; la plus grande c’est une des trois institutions que je citais à l’instant. Bien des réformes qu’on nous impose aujourd’hui au niveau national ne sont que l’exécution de décisions prises avec la participation du gouvernement français au niveau européen et au niveau d’une de ces institutions mondiales.

Plus concrètement, prenons, par ex. la mise en concurrence des activités de services, c’est-à-dire la libéralisation qui n’est bien souvent qu’une étape vers la privatisation. Elle a d’abord fait l’objet de négociations internationales entre 1986 et 1994. Mais dans le même temps, les gouvernements français de l’époque et Jacques Delors au nom de l’Union européenne concoctaient l’Acte unique européen et le Traité de Maastricht. Dans le même temps, au niveau national, Bérégovoy faisait adopter une loi de déréglementation financière. Ainsi était créé le cadre pour appliquer en Europe et au niveau national ce qui allait devenir l’AGCS, l’Accord Général sur le Commerce des Services, un des accords gérés par l’OMC. Son objectif est de privatiser à terme toutes les activités de tous les services dans tous les secteurs, au-travers de négociations successives. Et tout découle de l’AGCS. Au niveau européen, la stratégie de Lisbonne, les décisions de Barcelone, le processus de Bologne, la proposition Bolkestein. Au niveau français, la privatisation totale du secteur bancaire, les mises en concurrence et les privatisations dans les secteurs de l’énergie, de l’eau, des transports, de la poste, de la santé, de l’enseignement.

Un autre exemple, l’Accord de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle. Sans cet accord, il n’y aurait pas captation de toute la chaîne du vivant et en particulier de la chaîne alimentaire par l’agro-business, il n’y aurait pas les OGM, il n’y aurait pas l’appropriation de la biodiversité par les firmes privées, que nous appelons la biopiraterie. Sans cet accord, la santé de dépendrait pas des multinationales de la pharmacie et l’accès aux médicaments essentiels ne dépendrait pas du niveau de revenus des millions de gens qui meurent faute de pouvoir se soigner. On touche ici aux limites indispensables que l’humanité doit imposer au droit de propriété.

Un troisième et dernier exemple, c’est l’Accord de l’OMC sur l’Agriculture. C’est cet accord qui oblige les pays du Sud à ouvrir leurs frontières aux exportations de l’Europe et des USA, des exportations subventionnées dont les prix sont de ce fait moins élevés que ceux des produits agricoles des autres pays. Les pays riches ont imposé au monde des règles dont ils se sont exonérés de l’application. C’est aujourd’hui le principal responsable de la crise alimentaire mondiale.

Ce ne sont que trois exemples. Il y en a d’autres. Le NPA ne servira à rien s’il n’intègre pas totalement ce combat contre la mondialisation. C’est un combat difficile, mais c’est un combat indispensable.

L’EGALE CENTRALITE DE LA QUESTION ECOLOGIQUE ET DE LA QUESTION SOCIALE

Ce que je viens d’évoquer à propos de la mondialisation nous montre que l’exploitation des humains et la destruction de la nature sont indissociablement liés. En effet, questionner les finalités du profit et de l’accumulation amène automatiquement à questionner les finalités de la production et de l’échange au regard des effets produits à la fois sur les hommes et sur leur cadre de vie.

Un projet alternatif ne doit pas seulement remettre en cause la propriété capitaliste ; il ne doit pas s’inscrire exclusivement dans une logique de satisfaction des besoins. Il doit aussi et en même temps préserver les écosystèmes qui pérennisent le cadre de vie local et global. L’écologie n’est pas seulement une catégorie qui s’ajoute à d’autres dont il faut aujourd’hui se soucier. Le rapport à la nature, après des siècles d’efforts pour la dominer, est devenu une question centrale de la survie de l’humanité. La perte de la biodiversité et la destruction des écosystèmes ne peuvent être reléguées au chapitre des profits et pertes du productivisme.

Exploitation des humains et exploitation de la nature relèvent d’un même système qui ne recule devant rien pour accumuler les profits.

Pour bon nombre d’altermondialistes dont je suis, il n’était pas besoin d’avoir lu Marx pour procéder à ce constat. Mais je voudrais m’adresser à ceux qui s’appuient sur l’œuvre de Marx. Pour ce faire, n’ayant aucune compétence en la matière, je vais faire appel à des spécialistes, François Chesnais et Claude Serfati. Dans un ouvrage collectif intitulé « Capital contre nature », paru il y a cinq ans déjà, ils écrivaient « la montée de la pensée écologiste n’aurait pas été possible sans le terrible vide théorique et politique qui s’est formé du côté des marxistes (…) ; le retard très important de l’analyse marxiste plonge ses racines dans la lecture uniquement productiviste de Marx et d’Engels qui a été faite pendant des décennies. » Nos deux auteurs ajoutaient « La crise écologique planétaire a ses origines dans les fondements et les principes de fonctionnement du capitalisme. » Et François Chesnais, dans un article à paraître sous peu, déplore que « concentrée sur la question de la lutte contre l’exploitation dans le travail (…) la pensée critique se réclamant du marxisme radical a été terriblement déficiente sur le plan des rapports à la nature ».

Voilà quelque chose qui me réjouit : il n’y aurait donc pas de fatalité productiviste du marxisme après une lecture revisitée de Marx. Et des travaux théoriques comme ceux de Chesnais et Serfati peuvent beaucoup pour fonder le socle sur lequel nous devons construire le NPA.

Pour conclure, je voudrais indiquer pourquoi je suis ici ce soir.

Je me réclame de ce qu’on appelle aujourd’hui l’altermondialisme. Je ne représente que moi-même et je ne m’exprime qu’en mon nom. Mais je sais que les thèmes que j’ai développés ce soir sont ceux qui préoccupent beaucoup les altermondialistes. Le NPA ne répondrait pas à notre attente, s’il ne les intégrait pas dans son projet, s’ils n’étaient pas partie intégrante, explicite, de sa base théorique.

J’ajouterai que, oui, absolument, nous devons être révolutionnaires. Car n’est-il pas de projet plus révolutionnaire que de vouloir le bonheur pour tous ? C’est sur la fermeté que nous mettrons à vouloir transformer l’ordre établi que nous serons jugés. Nous sommes les héritiers de 1871, de 1848, de 1793. Georges Danton, peu avant de mourir disait : « nous confions au monde le soin de bâtir l’avenir sur l’espérance que nous avons fait naître ». Nous avons du travail. Ne nous contentons pas de faire de la politique. Faisons l’Histoire.

(Texte de l’intervention de Raoul M. Jennar au meeting NPA de Clamart, 27 juin 2008)

http://rmjennar.free.fr/


Appel de la coordination nationale des comités d’initiatives pour un Nouveau Parti Anticapitaliste
http://www.npa13.org/spip.php?article100

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