Une tribune pour les luttes

Lettre n°95 (30 juillet 2008)

de Culture & Révolution

Article mis en ligne le samedi 2 août 2008

Bonsoir à toutes et à tous,

Comment peut-on oser être chinois ? D’après certains
reportages, une partie de ces gens-là ont des prétentions
insensées. Ils veulent boire de bons vins, avoir un bon
ordinateur, une bonne voiture, un logement confortable, une
bonne éducation pour leur enfant. Pourquoi pas une maison
secondaire à la campagne ou au bord de la mer pendant qu’ils
y sont ? Il y a déjà au moins 120 millions de Chinois qui se
prennent pour des Français des couches moyennes ou
supérieures et partagent leurs aspirations. Il y a de
l’abus. En plus les dirigeants chinois sont en train de
sacquer nos hommes d’affaires hexagonaux par des
tracasseries administratives. Il est temps que le MEDEF
organise une manifestation de solidarité avec les patrons
français sans visa pour la Chine, éventuellement sous le
haut patronage du maire de Paris ou encore de Jack Lang très
disponible pour tenir le devant de la scène en faveur des
plus nobles causes !

Les hommes d’affaires chinois, parlons-en. Ils se permettent
à présent d’exploiter odieusement l’Afrique ce qui était
réservé jusqu’alors exclusivement aux " États de droit "
comme la France que certains appelaient autrefois des États
impérialistes. Maintenant ce sont les États du Nord, ce qui
fait quand même plus honorable, plus propre sur soi. Et au
fait l’État chinois, il est au Nord ou au Sud ? Il est
" émergent " selon la nouvelle terminologie de la
géopolitique, une discipline qui a l’art de mépriser la
géographie pour masquer les réalités politiques gênantes.
Autre question. Le président chinois, il s’appelle comment
déjà ? Bon, décidément il va falloir se renseigner un peu
plus sur ces 1 milliard 300 millions de personnes, leur État
et institutions, leur société, leurs luttes, leurs cultures,
leur histoire pour ne pas être accablé par les sottises et
préjugés qui déferlent à leur sujet. Sans doute aussi pour
mieux nous situer dans le mouvement global de l’histoire
humaine dont nous sommes partie prenante de gré ou de force.


En Chine sur le terrain
Pékin 2008
Soldats chinois
En ligne
La complainte du sentier
Chants d’oiseaux
Folksong


EN CHINE SUR LE TERRAIN

Dans la pile des ouvrages qui viennent de paraître sur la
Chine, nous en avons trouvé plusieurs qui méritent vraiment
la lecture. Tout doit être lu et comparé soigneusement car
il est plus facile d’exagérer ou d’édulcorer certains traits
de la réalité chinoise que de les cerner.

" China blues " de Hsi Hsuan-Wou et Charles Reeve
(éd verticales/phase deux, 284 pages, mai 2008) porte un
sous-titre ironique : " voyage au pays de l’harmonie précaire ",
les officiels et les affairistes ayant la prétention de
construire " une société harmonieuse " tout en s’en mettant
plein les poches. Un extrait de la préface cadre
parfaitement leur propos : " Pour nous, la Chine n’est pas
un monde séparé. Aussi refusons-nous l’idée d’ " altérité "
défendue par certains. La Chine nous intéresse parce qu’elle
pose la question sociale à l’échelle de l’humanité tout
entière. Dans le monde marchand globalisé, le cas chinois
conditionne désormais le devenir de la planète. "

Ces deux auteurs connaissent de longue date la Chine sans
jamais avoir été dupes des mensonges étatiques de Mao et de
ses successeurs. De leur voyage en Chine à l’automne 2007,
ils ont rapporté une série d’interviews de travailleurs et
travailleuses dans plusieurs villes, de gens refusant d’être
expulsés de leur immeuble, de gens protestant contre la
dégradation de l’environnement, des dissidents, etc. Ce
livre apporte des données précises sur le système répressif
(notamment contre les membres de la secte Falungong) et sur
l’évolution du mouvement ouvrier depuis 2005. On trouvera
des informations en anglais sur les mouvements sociaux en
Chine sur le site de Hongkong http://www.china-labour.org.hk/.
Le livre s’ouvre et se referme sur les
déclarations d’un sans-abri chinois à Paris.

" La Vie en jaune, l’usage de la Chine " de Marc Boulet
(éd Denoël, mai 2008, 365 pages) est une enquête extrêmement
vivante et riche en informations diverses d’un journaliste
qui en a assez d’entendre une série de bêtises et
d’approximations sur la Chine et ses habitants, y compris et
même surtout par des confrères. Il est bien placé pour cela
car il a déjà mené plusieurs enquêtes sur le terrain depuis
plus de vingt ans et qu’il est marié à une Pékinoise. C’est
donc avec sa femme et leurs deux filles que Marc Boulet nous
embarque de Canton à la Mongolie en passant par Shanghai et
des villages reculés. Quelques incursions dans la culture
chinoise sont les bienvenues puisque nous sommes dans
l’ensemble ignares en la matière.

Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement sur le
livre " La société chinoise vue par ses sociologues " (éd
Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques)
sous la direction de Jean-Louis Rocca qui présente des
analyses d’un grand intérêt sur les migrants en ville, les
ouvriers du bâtiment, les jeunes toxicomanes, les victimes
du sida et quelques autres sujets encore concernant les
couches moyennes.

PÉKIN 2008

Quid des Jeux Olympiques de Pékin ? Le chiffre 8 étant
réputé porter chance en Chine, les dirigeants ont donc
décroché la timbale des JO pour l’année 2008 qui
commenceront le huitième jour du huitième mois. Comme leur
superstition ou leur manipulation de la superstition n’a pas
l’air de leur porter chance depuis le début de l’année, on
peut s’attendre à des déconvenues pour les pontes du régime
même si " tout sera prêt " pour l’ouverture. À quel prix
humain et financier ! " La vie en jaune " fournit des
éléments frappants et consternants sur les conditions de
travail et le gâchis d’argent que représente cette vaste
opération financière et très accessoirement sportive. Mais
le hors-série publié par la revue " Science et vie " mérite
un détour : " La face cachée des JO " (114 pages de textes,
photos et croquis divers). Il n’échappe pas à un certain
nombre de clichés et d’opinions convenues sur la Chine qu’il
est facile de laisser de côté pour apprendre bien des choses
intéressantes sur la pollution, la pénurie d’eau,
l’entraînement des athlètes, les infrastructures des JO,
l’utilisation des technologies avancées et aussi
l’utilisation des mains des migrants issus des campagnes
pour planter et retirer les déchets de Pékin et des
alentours ! Et après les JO, qu’est-ce qu’on fait et qu’est-
ce qui se passe ?

Un révolutionnaire russe, Léon Trotsky, avait analysé le
développement combiné de la Russie, à savoir la combinaison
explosive d’un capitalisme avancé avec des formes d’économie
et d’exploitation arriérées. Il va falloir s’intéresser de
près au développement combiné spécifique de la Chine lancé
il y a seulement trente ans. Les explosions sociales locales
y sont nombreuses depuis plusieurs années mais le
gouvernement a décidé de renoncer désormais à les
comptabiliser. L’absence de thermomètre n’empêchera pas la
fièvre de monter.

SOLDATS CHINOIS

Quand on pense pouvoir, il faut toujours imaginer qu’il y a
derrière une certaine dose de folie furieuse et de goût du
secret morbide. Un dénommé Qin a fait très fort dans ce
domaine il y a vingt-deux siècles. Il est le premier
individu s’étant retrouvé à la tête d’un empire chinois
centralisé en 221 av. J-C. Il a eu la volonté d’être
accompagné après sa mort par une armée de milliers de
soldats en terre cuite munis d’armes véritables, sans
compter les fonctionnaires, les palefreniers, les musiciens,
les acrobates, les chevaux et divers objets nécessaires à
l’agrément dans une vie éternelle. Secret défense oblige, il
s’est fait inhumer en 210 av. J-C. avec un certain nombre de
personnes tuées pour la circonstance, concubines, serviteurs
et ouvriers ayant survécus à la réalisation de ce travail
gigantesque et épuisant.

Le pot aux roses, si l’on peut dire, n’a été découvert qu’en
1974 par un paysan travaillant dans les environs de Xi’an
non loin du tumulus de l’empereur. Environ 6000 statues en
terre cuite ont été exhumées depuis ainsi que deux chars en
bronze avec chevaux et timoniers. Ce n’est qu’un début.

Dans le cadre de l’amitié inter-étatique franco-chinoise (on
est prié de ne pas rire), une exposition se tient à la
Pinacothèque de Paris (http://www.pinacotheque.com/)
jusqu’au 14 septembre présentant une petite délégation de
cette armée avec quelques belles pièces illustrant la
civilisation à l’époque de l’empire Qin. Le musée du Shaanxi
a prêté des statues ayant conservées pour certaines une
partie de leurs pigments colorés. Les expressions des
visages affichent une apparente sérénité mais qui cache
probablement de la résignation ou une certaine angoisse.
Aller au casse-pipe n’a jamais réjouit les soldats de base à
aucune époque...


EN LIGNE

Le n° 4 de la revue électronique " Carré rouge " est en
ligne sur le site http://www.carre-rouge.org/. Au sommaire
notamment, le compte-rendu d’une réunion sur les mouvements
sociaux en Russie, une analyse à propos de la
représentativité syndicale lancée par le gouvernement, le
MEDEF, la CGT et la CFDT et des points de vue divers sur le
projet de Nouveau Parti Anticapitaliste initié par la Ligue
Communiste Révolutionnaire.

Concernant la Russie sur laquelle nous aurons l’occasion de
revenir dans la prochaine lettre, signalons la parution d’un
recueil d’analyses parues dans le Monde diplomatique
intitulé " De Lénine à Poutine, Un siècle russe ". On y
retrouve des articles importants de Moshe Lewin, Pierre
Lepape, Carine Clément et Denis Paillard, Jean-Marie
Chauvier et quelques autres contributeurs.

LA COMPLAINTE DU SENTIER

La littérature indienne compte un roman très populaire au
Bengale publié en 1929, " La complainte du sentier " de
Bibhouti Boushan Banerji (1894-1950). Il vient d’être
réédité aux éditions Gallimard (collection L’imaginaire, 245
pages) avec en complément sous forme de DVD son adaptation
cinématographique " Pather Panchali " par le grand
réalisateur indien également bengali, Satyajit Ray. Comparer
ces deux oeuvres aux séductions différentes est d’un grand
intérêt.

Il faut de préférence commencer par la lecture du roman de
Banerji qui est largement autobiographique. L’oeuvre est
centrée sur une famille villageoise pauvre dont le père est
un brahmane ne parvenant jamais à se faire rétribuer
convenablement son travail de lettré. Sa demeure est en
ruine et ses revenus sont dérisoires et intermittents. Sa
femme doit subvenir aux besoins de sa fille Durga et de son
tout jeune fils Apu, sans parler d’une vieille tante dont
elle cherche à se débarrasser. La mère doit subir les
réflexions humiliantes de ses voisines quand sa fille leur
vole des fruits. L’écrivain n’a pas cherché à alourdir son
propos dans un sens misérabiliste. C’est la vision de
l’enfant qui s’impose, ses chamailleries et ses complicités
avec sa grande soeur, son émerveillement devant toutes les
manifestations de la nature et de la culture qui imprègnent
sa sensibilité. Une de ses plus merveilleuses découvertes
est celle d’une troupe de théâtre venant s’installer pour
plusieurs jours dans le village. Cette chronique est
vivante, colorée, touffue et part un peu dans tous les sens
comme ces deux gamins galopant dans la forêt ou dans les
champs. L’effet de dépaysement est renforcé par le fait que
la traductrice France Bhattacharya a renoncé à traduire de
nombreux termes se référant à des rites, des fêtes, des
aliments ou des plantes spécifiques à cet environnement. Un
glossaire conséquent apporte les éclaircissements
nécessaires.

Le scénario de Satyajit Ray est fidèle à la trame du récit
de Banerji. Mais le cinéaste vient d’une famille lettrée de
la ville tandis que le romancier était issu de ce monde
campagnard dont il avait une connaissance intime. Ray s’est
approprié cette réalité de façon superbe, en adoptant un
rythme plus lent et en débroussaillant le texte pour lui
donner une portée dénonciatrice et humaniste plus marquée.
Ce premier film de Ray constitue le premier volet d’une
trilogie. La musique est de Ravi Shankar. Il a été tourné en
1955 après maintes difficultés financières. Il alliait
d’emblée la beauté constante des scènes à un sens maîtrisé
du tragique.

CHANTS D’OISEAUX

Si vous partez pour des vacances bucoliques, raison de plus
de mettre dans vos bagages le numéro d’août de " Pour la
Science ". Deux articles vous feront dresser les oreilles
pour écouter les chants d’oiseaux. Celui de Laurence Henry
et Hugo Cousillas porte un joli titre : " Le chant de l’amitié ".
Parmi les 4 500 espèces d’oiseaux chanteurs, ils ont choisi de
nous parler des étourneaux. Ils apprennent à chanter tout au
long de leur vie, ce qui n’est pas le cas de tous les oiseaux,
d’où un chant complexe reflétant une organisation sociale
particulière.

L’autre article de William Searcy et Stephen Nowicki nous
dévoile " un chant d’oiseau honnête ", celui des bruants
chanteurs. Les auteurs se sont penchés sur les vocalises de
cet oiseau qui n’apprend ses " notes " que pendant un an et
demi de sa vie. Après quoi, il utilise ce qu’il sait. Son
chant comme pour chaque espèce d’oiseau chanteur a des
qualités acoustiques (ou notes) qui forment un motif unique.
Cependant il y a suffisamment de similarité dans le motif
des notes pour que le bruant soit reconnu par nous et
surtout par les autres oiseaux ! Un mâle au répertoire plus
étendu peut davantage convaincre une femelle qu’un
concurrent restant à court de notes. Les bruants mâles
savent aussi chanter leur agressivité pour défendre leur
territoire. À bas volume, cela ressemble au bourdonnement
d’un réfrigérateur mais un chant typique d’agressivité peut
ressembler au bruit d’un mixeur. Les noyaux cérébraux du
bruant mâle sont également analysés en détails ce qui ne
retire rien au charme de l’analyse ni à celle du chant des
bruants mâles.

FOLKSONG

Dans un article de " Télérama " du 16 juillet, François
Gorin présentait très utilement un panorama des grands
courants et des grandes figures de la musique Folk aux USA
et au Canada des origines à nos jours. Il cite beaucoup de
monde mais plusieurs oublis et mises en retrait sont
réellement fâcheux. Judy Collins est sous-estimée, comme
d’habitude. En réalité François Gorin méconnaît une
dimension importante et durable de la folk music nord-
américaine : le protest song, le chant de lutte pour un
monde meilleur, contre les patrons, les politiciens
racistes, les fauteurs de guerre, etc. Un des pionniers en
fut Joe Hill qui créa nombre de chansons de lutte aux
paroles parfois très drôles pour les syndicalistes
révolutionnaires du mouvement des " Industrial Workers of
the World " (IWW) apparu en 1905. Joe Hill fut condamné à
mort et exécuté en 1915 pour un crime qu’il n’avait pas
commis. Il envoya ce télégramme à son ami Bill Haywood, un
formidable militant ouvrier : " Adieu Bill. Je meurs comme
un rebelle. Ne perdez pas de temps à me pleurer. Organisez-
vous. " Woody Guthrie écrivit une très belle ballade sur la
mort de Joe Hill de même que plusieurs sur Sacco et
Vanzetti, anarchistes exécutés en 1927 là encore par pure
vengeance de classe. Phil Ochs chantera en 1967 une ballade
sur Joe Hill et Joan Baez en chanta une autre sur lui au
festival de Woodstock en 1969 (" I dreamed I saw Joe Hill")...
Le répertoire des chants de lutte syndicaux sera repris
dans les années cinquante par le groupe des " Weavers "
(" les Tisserands ", une appellation reprenant le titre d’une
pièce de Gerhardt Hauptmann sur la révolte des tisserands de
Silésie décisive dans la formation du jeune Karl Marx). Il y
a des fils conducteurs dans cette histoire, c’est le cas de
le dire. Les " Weavers " dont la figure principale était
Pete Seeger, chanteur, compositeur et banjoïste, se
retrouvèrent sur la liste noire du sénateur anti-communiste
MacCarthy. Le passage de témoin se fait ensuite de Pete
Seeger vers le jeune Tom Paxton qui a 25 en 1962 lorsqu’il
commence sa carrière. Tom Paxton est toujours vivant, fidèle
a ses idées de jeunesse, contre la guerre en Irak comme il
fut contre la guerre du Vietnam et de toutes les
mobilisations des années soixante pour les droits civils
pour les Noirs avec Joan Baez et quelques autres. Deux de
ses chansons furent interprétées en français par Graeme
Allwright dans les années soixante (" Qu’as-tu appris à
l’école mon fils ? " et " Jolie bouteille "). On peut avoir
un bon aperçu du talent de Paxton avec le CD Elektra
" The Best of Tom Paxton " et faire un tour sur
http://www.youtube.com/ où se trouve sa rencontre avec
Pete Seeger en 1965.

Woody Guthrie, Pete Seeger, Tom Paxton, Joan Baez, Judy
Collins, Country Joe comme le jeune Dylan (avant son
retournement de veste) ont su donner un caractère tour à
tour poétique et humoristique à la chanson de protestation
et cela ne peut pas vieillir.

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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