Une tribune pour les luttes

CIMADE du Languedoc et Réseau Education Sans Frontières du Gard.

Retenus de Vincennes - Conférence de presse du 28 juillet à Nîmes

Un mois plus tard, bilan du transfert des retenus de Vincennes au Centre de Rétention Administrative de Nîmes

Article mis en ligne le samedi 2 août 2008

Le contexte

Le 21 Juin 2008, le Centre de Rétention Administrative de Vincennes a brûlé, suite à un feu dans une chambre.Plusieurs départs d’incendie avaient déjà eu lieu en 2007, et plusieurs depuis le début d’année 2008. Ce CRAdépassait en taille le double de la taille maximale administrativement autorisée et n’était pas aux normes. De nombreux rapports, signalements, alertes auprès des autorités avaient mis en garde celles-ci, à propos de latension qui y régnait et des difficultés qu’elle provoquerait. Il s’agit d’un accident comme il s’en passe dans des prisons en état de surpopulation carcérale.

Cet accident n’était pas une surprise.
Cet incendie, qui aurait dû être anodin, n’a pas été maîtrisé et a réduit en cendres tous les bâtiments d’habitation.
Les retenus ont été les victimes de la catastrophe, nombreux sont ceux qui sont sortis en tee-shirt, en sandale ouen short, intoxiqués par les fumées. Nombreux sont ceux qui ont perdu des dossiers, en particulier lesdemandeurs d’asile qui ont vu leurs formulaires de demande partir en fumée, alors que ces formulaires devaientêtre déposés dans un délai de 5 jours, et que l’administration a ensuite refusé de les recevoir, arguant que lesdépôts étaient faits hors délai.
Tous ont perdus le contact avec leurs familles, leurs amis et soutien, leurs avocats.
Une enquête est en cours à propos des responsabilités dans l’incendie. Aucun des retenus transférés deVincennes à Nîmes n’est mis en cause par la justice ou par la police.

Retenus au CRA de Vincennes ou transférés à Nîmes, aucun de ces hommes arrêtés et privés de liberté n’est un criminel .Ce sont des victimes de l’incendie.

Une centaine de ces retenus ont donc été « transférés » au CRA de Nîmes.
Un mois plus tard, le Réseau Education Sans Frontières et la CIMADE vous proposent quelques éléments pour un bilan.
Nous avons suivi la situation de :
100 retenus transférés.
93 d’entre eux ont été « libérés »,
7 ont été expulsés.

Par « libéré », il faut entendre : encore soumis à une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) dans les 5 jours qui suivent, mis à la porte devant le portail du CRA de Nîmes à tout heure du jour et de la nuit, sans aucun moyen de locomotion, sans vêtements, sans argent, sans titre de transport, sans rien.

Coût financier :

Nous essayons de donner des chiffres crédibles, avec les sources de nos estimations. Mais il ne s’agit que d’estimations. Elles donnent néanmoins un ordre de grandeur des sommes en jeu.

Journées de rétention.

D’après un chiffre publiquement utilisé par la direction même du CRA de Nîmes, une journée d’un retenu coûte, en moyenne, au budget de l’Etat 1000 €. Il s’agit des frais de personnel (surveillance, entretien, services juridiques, service médical), des fraisd’hôtellerie (repas, nettoyage, etc. ), des frais de fonctionnement (administration, etc. ) Le total est divisé par le nombre de « journée-retenu », d’où ce chiffre moyen. Les 100 retenus transférés sont restés en moyenne 10 jours au CRA.

Total : 1 000 000 €.

Frais de Justice :

- 9 000 € pour les frais de la Défense (au titre de l’article 13 : aide juridictionnelle)
- 40 000 € pour les frais de Justice de la part des Préfectures (avocats parisiensdépêchés en urgence absolue et en 1èreClasse, logés à l’Imperator, etc . )
- 4 000 € de frais occasionnés par les prolongations de rétention décidées au JLD
- 20 000 € pour les présentations aux Consulats (pour qu’une expulsion soitréalisable, le retenu doit être reconnu par le pays où on l’expulse)13 retenus ont été présentés à des Consulats à Paris, ils ont fait l’aller-retour avec 2 accompagnateurs en avion, d’où 3x13x500 € ≈ 20 000 €.

Total : 73 000 €.

Frais de transport :

- 70 000 € est le coût de la location d’un TGV spécial de Nîmes à Paris, quand une organisation syndicale comme la FSU organise une manifestation nationale. Cela donne un ordre de grandeur du coût du TGV spécial qui a amené les retenus à Nîmes.
- 8 000 € est le coût des retours vers la région parisienne des 93 retenus« libérés ». Le Réseau Education Sans Frontières du Gard a financé directement 65 de ces voyages. Les autres se sont autofinancés, qui sont sortis sans que les militants du réseau n’en ait connaissance.
Pour le RESF, il s’agit de continuer à considérer ces personnes comme des êtres humains disposant d’un minimum de droits, quelque soient leurs situations administratives. Il s’agit aussi de veiller à l’ordre public, nous ne comprenons pas que l’administration envisage de mettre dans les rues de Nîmes, à toute heure du jour et de la nuit, une centaine de jeunes hommes désespérés, en tee-shirt et sandales, sans aucune ressource, n’ayant comme obsession que de rentrer chez eux, retrouver leurs familles, leur travail, leurs amis. (en région parisienne ! )

Total : 78 000 €.

Non chiffrés :

- Les frais d’hébergement des retenus « libérés » dans la nuit, recueillis sur le trottoirpar des militants des droits de l’homme en général, logés d’abord par des bonnes volontés individuelles, puis quand on a envisagé la libération de plusieurs dizaines d’entre eux, dans les locaux du temple protestant « La Fraternité ». On ne peut que souligner l’ouverture, la générosité, l’esprit d’accueil devant des détresses humaines qui se sont manifestés dans ces situations. Plusieurs des témoignages recueillis l’ont été par ces personnes.
- Les bus et camions des pompiers (à quel titre ceux-ci sont-ils intervenus à Nîmes ?parce qu’à l’origine du transfert, il y avait un incendie à Vincennes ? ) utilisés pour les transport de la Gare au CRA, les heures supplémentaires des CRS qui ont encadré le train et les transports au CRA, puis ont assuré l’encadrement au CRA, dépassé par cet afflux.
- L’encombrement des tribunaux, en particulier les tribunaux administratifs qui semblent ne plus traiter que les litiges concernant les droits desétrangers, au dépens des autres affaires qui relèvent de leur compétence. Mais cette politique d’expulsion en plus grand nombre possible estdevenue « priorité nationale », pour la Police et la Justice.
- Les frais d’expulsions des 7 effectivement expulsés. On estime à 25 000 € le coûtmoyen d’une expulsion (en comptant l’ensemble de la procédure, larétention, le transport avec les accompagnateurs et le retour de ceux-ci)

Coût humain :

La première conséquence humaine concerne l’incendie lui-même, la peur qu’il a occasionnée, l’angoisse qu’il yait des victimes, les pertes matérielles et administratives (objets personnels, téléphones, papiers, passeports,etc .) perdus dans les flammes. Puis le gazage par les forces de l’ordre dépassées par l’évènement (à noterqu’aucun des retenus ne s’est évadé, ceux qui ont semblé manquer à l’appel les premiers jours ont été retrouvés
à l’hôpital). Les témoignages recueillis par les Nîmois qui les ont rencontrés et que nous détaillons plus loin,sont frappants par l’angoisse et certains par la détresse dont ils témoignent. Dès le premier jour de leur présence à Nîmes, le Juge des Libertés et de la Détention de Nîmes (JLD) a dû enlibérer 14, qui auraient dû de toute façon être libérés à Vincennes. Et qui sont repartis.
Les avocats parisiens dépêchés en urgence sur Nîmes pour éviter à tout prix une libération globale et immédiatede plus de 80 des retenus, pour cause de non-respect des procédures et droits des retenus au cours du transfert,n’ont pas ménagé leur peine, leurs effets, leurs pressions, pour éviter le ridicule à la Préfecture de Paris. Leurs arguments ont fait mal. Ils ont prétendu après l’audience, « avoir gagné ». Mais 93 des retenus ont bien été relâchés. Le « coût » pour la Justice n’est pas anodin.
Les demandeurs d’asile (catégorie spécifique chez les sans-papiers, qui effectuent une demande d’asile politique à leur entrée sur le territoire français, demande liée à une situation particulière de leur pays et des menaces dont ils ont été l’objet) qui disposaient de seulement 5 jours pour déposer leurs formulaires, n’ont pu effectuer leurs demandes. L’administration n’a pas reconnu comme circonstances exceptionnelles les suites de l’incendie, alors que ses propres avocats, au tribunal, lui trouvaient des excuses de ne pas avoir respectée la procédure pour « circonstances insurmontées ». Ces demandeurs doivent maintenant engager une procédure en contentieux.
Nous pourrions multiplier les situations absurdes : un retenu a été amené à Paris pour obtenir un laisser-passerde son consulat, nécessaire à son expulsion, puis ramené à Nîmes, suite au refus du Consulat. Puis libéré à Nîmes et devant repartir à Paris par ses propres moyens.
De nombreux retenus ont eu des prévisions de départ (expulsions) annoncées puis plusieurs fois repoussées et qui finalement ont été libérés. Ils sortent humainement complètement décomposés.
Globalement, à la suite de la visite du CRA du sénateur Robert Bret (groupe communiste), la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) est saisie sur les conditions générales du transfert.

Notre synthèse

Nous avons assumé la défense, dans une démarche inter associative entre le réseau RESF du Gard, la CIMADE et « La Fraternité » pendant plus d’un mois, de personnes qui en plus de devoir faire face à des difficultés administratives concernant leurs permis de séjour, ont été victimes d’un incendie dont ils ont subi de multiples conséquences.

Les multiples aspects, d’ordre financiers ou humains que nous avons soulignés, sont significatifs des conséquences concrètes d’un choix politique. Celui-ci consiste à dire aux français qu’on s’occupe d’eux et de leurs problèmes d’emploi ou de pouvoir d’achat, la preuve en étant qu’on arrive à expulser plusieurs dizaines demilliers de personnes en situations administratives délicates. Seuls alors comptent les « chiffres » globaux,quitte à faire, dans la réalité, l’impasse sur l’humanité des personne s concernées, sur le bon fonctionnement de la Justice, sur la gabegie des moyens mis en œuvre, sur le détournement de l’énergie de multiples policiers, demultiples juges et de tous les services qu’ils composent pour servir cette « priorité ».

Les résultats concrets de ces choix politiques sont misérables : 93 « libérés » contre7 expulsés, pour des centaines de milliers d’euros gaspillés.
Personne n’est « gagnant » au bout du compte : les retenus sont marqués à vie par les évènements, leurs situations n’étant toujours pas éclaircies, les policiers et les juges sont remis en cause dans leurs fonctions prioritaires, les finances publiquessont malmenées, les fondements humains et philosophiques de notre Républiques ont mis à mal.
Quel gâchis !

Le Réseau Education Sans Frontières duGard et la CIMADE du Languedoc.

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