Une tribune pour les luttes

vendredi 7 novembre 2008

MARTIGUES

20 h 30

20 h 30 au cinéma Jean Renoir, allée Jean Renoir, Saint Roch, 13500

Ciné-débat en présence de Rabah Ameur-Zaïmeche et de Michelle Guerci

« Dernier maquis », une éthique de la complexité, de Rabah Ameur-Zaïmeche

Cinéma Jean Renoir avec le soutien de l’ACID et en partenariat avec la librairie l’Alinéa

+ d’infos sur : http://cinemajeanrenoir.blogspot.com/]]

« Certains films nous transforment. Même si on ne saisit pas tout quand on les voit, ils se saisissent de nous, souvent à notre insu, introduisent du doute là dans nos certitudes, ouvrent notre champ de vision, de compréhension. Et, peu à peu, ils changent notre perception du monde. Nous rendent plus humains, plus libres. Depuis longtemps en France, cette fonction de l’œuvre d’art théorisée par Aristote, n’a trouvé aussi éclatante confirmation au cinéma que dans Dernier maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche.. « Il n’y a pas d’images justes, disait Godard, mais juste des images. » C’est par leur beauté bouleversante que le film nous attrape. Murs de palettes rouges comme le sang versé, comme la révolution, visages et corps filmés au plus près, fragiles, forts, intimes, violents : la caméra de Rabah Ameur-Zaïmeche donne aux hommes, à la nature, aux couleurs une dimension sacrée. Pourtant, aucune possibilité d’identification avec ces personnages. Aucun flirt avec le spectateur. Le cinéaste montre froidement et sans concessions une histoire d’hommes jamais racontée. »

« Une histoire simple. Le patron arabe d’une petite entreprise de réparation de palettes et d’un garage de poids-lourds décide d’ouvrir sur le lieu de travail une mosquée pour ses ouvriers – en majorité immigrés musulmans–, dont il désigne sans concertation l’imam. Mais des ouvriers contestent cette décision imposée par un patron qui, selon eux, les vole et leur doit de l’argent. Ils veulent choisir eux-mêmes l’imam. « C’est plus compliqué que ça », dit Mao, le patron interprété par Rabah Ameur-Zaïmeche à un des ouvriers. Seule profession de foi de ce film amoral, où chacun a ses raisons, qui avance par à-coups, confrontations, contradictions, ruptures. Et ce réel en mouvement constant déjoue tous les ordres établis. »

« En faisant de la mosquée, un lieu de débat et de controverses, où les ouvriers veulent exercer une démocratie directe, Rabah Ameur-Zaïmeche effectue une première rupture fondatrice : il n’y a pas deux sphères séparées, étanches, d’un côté celle du religieux, de la communauté des croyants qui obéirait à ses propres règles et, de l’autre, celle du politique, des travailleurs insérés dans des rapports de production. Non seulement elles sont liées, mais c’est dans la mosquée, de la contestation de l’imam que naît la contestation du patron. Car si la mosquée est un lieu de manipulation – le patron s’en sert pour acheter la paix sociale et contrôler les ouvriers –, elle est aussi un collectif de fraternité, où ces travailleurs dépossédés de tout et d’abord d’eux-mêmes, se retrouvent, redeviennent des hommes (magnifique scène où les mains se touchent, se serrent se joignent, où l’on se salue, se parle). En faisant de l’islam un champ politique en mouvement, traversé par des intérêts antagoniques, où se déploient des rapports de force et des divisions, le film évacue toutes les simplifications mortifères. »

« Mais il va plus loin. En déplaçant au cœur des rapports de production la source historique des conflits au sein de l’islam, la désignation de l’imam à la mort de Mahomet, il inverse radicalement la perspective, car il historicise ces conflits, les contextualise dans l’espace et le temps. Les inscrit dans une histoire longue et non finie. Cette mosquée traversée par la lutte des classes, le débat démocratique ouvre des pistes de réflexion pour penser l’islam aujourd’hui. »

« Et l’on se prend à faire un parallèle avec un autre champ religieux qui a traversé le mouvement ouvrier européen. Prêtres ouvriers dans les années 50, catholiques de gauche à l’origine de scissions historiques dans le syndicalisme : ces forces sont partie intégrantes de son histoire. Et elles sont toujours opérantes aujourd’hui. Il n’y a aucune ambiguïté dans Dernier Maquis. Pas la moindre concession. Pas la moindre possibilité de récupération par les prêcheurs du chacun pour soi et Dieu pour tous, rebaptisés laïcs positifs. Rabah Ameur-Zaïmeche ne fait que restituer au champ religieux sa complexité. Et il procède de même pour le champ politique. La classe ouvrière de Dernier Maquis n’est pas mythique. Elle n’a pas plus d’idéologie. Clin d’œil signifiant, Mao (Maho ?) est un petit patron. Il nous montre ce qu’elle est aujourd’hui. Et donc questionne le rapport du mouvement ouvrier à cette nouvelle classe ouvrière. Ces ouvriers ne ressemblent pas à ceux d’hier. Leurs divisions non plus. D’un côté, les mécaniciens, Blancs, de l’autre, les manœuvres, Noirs. Au cœur du dénuement, il y a toujours plus opprimé que soi. Deux types d’immigration, une venant du Maghreb, plus ancienne, plus qualifiée, marquée par d’autres combats, l’autre d’Afrique noire, qui subit encore par les poids des coutumes ancestrales, dont le chef de village, porte-parole autodesigné tentant d’obtenir quelques miettes du patron, est l’archétype. »
« Mais à l’image des murs de palettes rouges qui clôturent l’espace de l’entreprise, murs mouvants, tantôt salle prière, agora, minaret, barrières de séparation, murs identiques et toujours différents, la communauté humaine de Dernier maquis, ne cesse de bouger de se transformer. Les hommes sont soumis et révoltés, unis et divisés, amis et ennemis. Même le petit patron paternaliste et prosélyte n’est pas qu’un manipulateur. Il est aussi sincère, la mosquée est l’espace où il n’est qu’un homme comme les autres. N’est-ce pas cela qu’il va chercher quand il s’y rend seul, la nuit ? Et quand la grève sauvage, violente des ouvriers fait irruption, seuls les mécaniciens – les mêmes qui avaient contesté le choix de l’imam–, ceux qui ont les camions pour faire pression se dressent, les autres, les plus exploités, qui n’ont que leurs bras, quittent le champ de l’action. Pas de happy end en forme de grève victorieuse. Si les contradictions de classe l’emportent, rien n’est joué. Apparaît une autre division, entre grévistes et non-grévistes. Pourtant le magnifique mur de palettes qui les sépare est percé de trous de lumière. »

« C’est parce qu’il fait sauter une à une toutes les clôtures de sens qu’on ne sort pas indemne de Dernier Maquis. Car tout y est paradoxe. La mosquée n’est pas ce que l’on croyait, le classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était, la lutte des classes non plus. Outre la formidable énergie que communiquent ces travailleurs démunis mais en mouvement, et donc l’espoir qu’il véhicule, ce film est une magnifique invitation à mettre la pensée en action. En montrant ces travailleurs relégués à la périphérie, qui n’ont littéralement pas le droit de cité, de leur point de vue et non du nôtre, en les faisant exister comme êtres parlants avec leurs raisons, il les replace au cœur de la cité. Ces exclus parlent de nous, de nos sociétés, de notre capacité à accepter l’Autre. Pas un autre raboté, amputé de lui-même pour s’assimiler ou s’intégrer (vocable plus décent mais qui veut dire la même chose), pas un autre produisant du même, mais un autre véritable, affirmé dans toute sa dignité d’homme. Un autre debout. Ladite intégration devient alors notre problème. Dernier Maquis nous tend un miroir. Et si nous avions quelque chose à apprendre, à recevoir de ces nouveaux damnés de la terre ? S’ils étaient le dernier maquis ? »

Michelle Guerci, journaliste, chargée de cours à Paris 8

http://dossiersrenoir.blogspot.com/...

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