Une tribune pour les luttes

L’effacement de dette de la Centrafrique par la France n’est pas un geste désintéressé.

Article mis en ligne le dimanche 2 novembre 2008

http://www.cadtm.org/spip.php?article3836

Le 30 octobre dernier, la France a annulé 38 millions d’euros de dettes de la République centrafricaine, pays classé parmi les plus pauvres du monde et l’un des piliers de la Françafrique. Cette décision fait suite au feu vert donné par le FMI et la Banque mondiale pour accorder des allègements de dette à la Centrafrique, au titre de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) |1|. Mais cette annulation de dette par la France pose question car les bénéficiaires ne seront pas ceux que l’on croit.

Tout d’abord, cet allègement de la dette centrafricaine profite directement au gouvernement français qui ne tient toujours pas – depuis 1970 ! - sa promesse d’affecter 0,7% de son RNB (revenu national brut) à l’aide publique au développement (APD). En effet, les 38 millions d’euros annulés seront inscrits dans l’APD, qui est en net recul depuis quelques années. Malgré les promesses à répétition, l’APD française a baissé de 15,9 % entre 2006 et 2007, à l’instar de la plupart des autres pays de l’OCDE |2| ! Le président Sarkozy a même repoussé de trois ans cet objectif des 0,7% en l’inscrivant en 2015 au lieu de 2012, en violation de l’engagement de l’Etat français lors de la Conférence de Monterrey sur le financement du développement en 2002. On voit l’intérêt des pays créanciers à procéder à des allégements de dette pour gonfler artificiellement leur APD. Cette opération ne leur coûte rien puisqu’ils n’injectent aucun centime d’euro pour le développement des pays du Sud. De plus, elle détourne l’attention en cette période de crise économique mondiale où des centaines de milliards d’euros sont consacrés au sauvetage des banques privées. Pourtant, d’après un télégramme diplomatique |3|, la France prévoit des coupes nettes dans l’APD entre 2008 et 2009 : 49 millions d’euros pour l’Afrique de l’Ouest et 19 millions d’euros pour l’Afrique centrale. La France va donc récupérer d’une main le montant des maigres annulations de dette qu’elle aura accordées de l’autre.

Ensuite, cet effacement de dette par la France n’est pas un geste désintéressé et servira surtout les transnationales françaises implantées en Centrafrique. Il n’est pas sans contrepartie car tous ces allégements de dette sont assortis de conditionnalités imposées par le FMI et la Banque mondiale reprenant toujours les mêmes recettes néolibérales : promotion des cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, ouverture forcée des marchés nationaux sans protection pour les acteurs locaux, réduction des budgets sociaux, privatisations des secteurs stratégiques notamment dans l’exploitation des ressources naturelles. Ainsi, sont facilitées les activités de grandes entreprises occidentales, comme Areva qui pourra continuer à faire de juteux profits grâce à l’exploitation des ressources minières. En août dernier, Areva a d’ailleurs conclu un nouvel accord pour l’exploitation d’un gisement d’uranium qui ne rapportera à l’Etat que 12% des revenus |4|.

En revanche, cet allégement de dette ne sera en rien profitable en termes de développement humain. Les mesures imposées dans le même temps empêchent toute amélioration des conditions de vie de la population frappée durement par la crise alimentaire depuis de longs mois.

Pour le CADTM, il faut immédiatement mettre fin à la logique économique imposée par le FMI et la Banque mondiale qui perpétuent la mainmise des transnationales sur les ressources naturelles du Sud. Ces richesses appartiennent en réalité aux populations en vertu de la Déclaration sur le droit au développement adoptée par les Nations unies le 4 décembre 1986. La question de l’exploitation des ressources naturelles est cruciale et constitue souvent un facteur déterminant dans les conflits armés et dans la forte instabilité politique. Pour assurer le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, l’annulation totale et inconditionnelle de la dette du tiers-monde est une étape indispensable. L’audit de la dette permettra alors d’identifier toutes les dettes odieuses, comme celles de la Centrafrique, et de les déclarer nulles. Rappelons que la Norvège a annulé en 2006 de manière unilatérale et inconditionnelle la dette de 5 pays en développement sans inscrire les sommes annulées dans son APD.

Le CADTM exhorte donc les créanciers du Nord à annuler totalement et sans condition la dette de la Centrafrique et de l’ensemble des pays du Sud, premier pas vers un changement radical de logique économique qui intègre enfin la donne sociale et environnementale.

Notes de bas de page :

|1| Pour une présentation détaillée, voir Damien Millet et Eric Toussaint, 60 questions 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM-Syllepse, à paraître en novembre 2008.

|2| http://www.oecd.org

|3| http://www.liberation.fr

|4| http://www.usinenouvelle.com

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Vos commentaires

  • Le 29 novembre 2008 à 16:47, par Christiane En réponse à : Le Canard enchaîné : "L’Etat bricole et maquille l’aide aux pays pauvres"

    http://www.educationsansfrontieres.org/?article16707

    Dettes fourrées

    EVALUÉE à 7,2 milliards d’euros en 2008, notre Aide publique au développement (APD) est le résultat d’une addition absolument prohibée par l’arithmétique. On y mélange les carottes et les navets, c’est-à-dire les subventions (dons), les prêts et même les annulations de dettes contractées par les pays pauvres.

    Certaines aides grossissent artificiellement le chiffre, comme les dépenses en faveur d’étudiants du tiers-monde qui resteront en France après leurs études, et donc n’apporteront rien à leur pays d’origine, ou divers investissements dans les Territoires d’outre-mer.

    Mais pour approcher l’objectif onusien de 0,7 % de la richesse nationale consacré à l’APD, d’autres astuces sont encore plus « payantes ». Ainsi, Bercy a annoncé le doublement des prêts consentis à des pays... solvables. Une charité largement récupérable, donc. Et, surtout, le gouvernement met en avant les annulations de dettes au profit des Etats en difficulté qui vont tripler, passant de 729 à 2 442 millions. Impressionnant !

    Là encore, il y a un truc. C’est l’annulation des dettes de la Côte d’Ivoire et de la République démocratique du Congo (1,5 milliard au total) qui devrait fournir le gros de cet « effort ». Devrait... car ces dettes ont déjà « servi » deux fois pour annoncer des hausses de l’Aide publique au développement. En 2007 puis en 2008... Avant qu’il ne soit constaté que ces deux Etats ne remplissaient pas - au regard des critères internationaux - les conditions nécessaires à leur désendettement.

    Les experts budgétaires prédisent déjà que le scénario sera reconduit cette année. Même les joueurs de bonneteau vont être bluffés !

    Mercredi 26 novembre 2008.

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