Une tribune pour les luttes

Cycle de réunions publiques : Rapport Hommes/Femmes - 10

Sociobiologie et refondation du féminisme

par Joël Martine

Depuis que Darwin a formulé la théorie de l’évolution il y a eu un débat sur l’application de cette théorie aux rapports sociaux humains, et notamment aux rapports entre les sexes. Darwin, tout en remarquant qu’au niveau des instincts les différences n’étaient pas tranchées entre les mâles et les femelles, voyait néanmoins chez les animaux et les humains une nature féminine portée à la douceur et à la soumission. A l’opposé, quelques femmes partisanes de la théorie de l’évolution montraient que chez les femelles il y avait aussi des instincts d’initiative et d’indépendance, et que leur soumission, notamment dans l’espèce humaine, était plus l’effet d’un rapport de force que d’un instinct, rapport de force qui fut variable dans l’histoire des différentes espèces, et qu’on peut transformer dans un sens féministe par des moyens politiques. Or le même débat a eu lieu à partir des années 1970 dans le cadre de la sociobiologie, avec l’affirmation d’un courant peu connu en France : le féminisme évolutionniste (Evolutionary feminism). Voir Sarah Blaffer-Hrdy : La femme qui n’évoluait jamais, 1981, 2002 (titre ironique et polémique) et Les instincts maternels, 1999, 2002 ; Richard Wrangham et Dale Peterson : Demonic Males, Apes and the Origins of Human Violence, 1996 ; Voir aussi Patricia Gowaty, dont un article s’intitule « Les asymétries de pouvoir entre les sexes » ; Joan Silk ; Meredith Small ; Barbara et Robert Smuts : articles « Agression mâle et coercition sexuelle des femelles chez les primates non-humains et autres animaux » et « The Evolutionary Origins of Patriarchy ». Dans cette optique les femmes (et les hommes) apparaissent non pas comme des pantins manipulés par un instinct-destin, mais plutôt comme des primates dotés d’instincts pluriels et modulables, et des stratèges qui choisissent entre différentes expressions de ces instincts, avec, entre hommes et femmes, des compromis possibles mais d’abord des conflits typiques.

Par exemple, dans la compétition darwinienne pour la transmission des gènes, les individus émetteurs de spermatozoïdes réussissent d’autant mieux qu’ils peuvent utiliser un statut social dominant, ou tout simplement la violence, pour ensemencer un grand nombre de femelles et éliminer leurs rivaux ; à l’opposé, les individus se reproduisant par gestation et allaitement ont beaucoup plus intérêt à éviter la violence et dans le choix de leurs partenaires ont plus besoin de qualité que de quantité. Ce qui explique qu’il y ait statistiquement une plus grande propension des mâles à la violence dans presque toutes les espèces de mammifères et dans toutes les sociétés humaines. Bien sûr tout cela est variable selon la culture et l’éducation, et y compris chez les animaux.

Dans les rares espèces de mammifères où les femelles sont solidaires entre elles, elles peuvent neutraliser la violence masculine, voire inverser la domination.

Certes le féminisme d’inspiration marxiste (Christine Delphy, Paola Tabet, etc.) a bien montré que la soumission des femmes n’est pas un destin inéluctable, mais résulte d’un processus inconnu chez les autres mammifères : la monopolisation par les hommes des techniques les plus productives et surtout les plus stratégiques : les moyens de transport et les armes. C’est ce rapport entre classes sociales de genre qui permet aux hommes d’exploiter systématiquement les femmes aux niveaux des productions économiques, des rapports sexuels, et du soin des enfants. MAIS qu’est-ce qui pousse les hommes, dans toutes les sociétés, à rivaliser plus que les femmes pour le pouvoir, et à s’allier entre eux pour exploiter les femmes ? Car enfin les hommes pourraient vivre tellement mieux en s’alliant avec les femmes d’égaux à égales. Alors pourquoi ne le font-ils que dans un petit nombre de sociétés et seulement pour un petit nombre d’activités ?

La théorie marxiste des rapports de genre explique comment s’entretient la domination masculine, mais on a besoin de la sociobiologie pour comprendre son origine et son moteur … et pour déceler des chemins crédibles et désirables vers l’égalité.

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