Une tribune pour les luttes

Le G20 et la crise financière : Un coup d’épée dans l’eau

Article mis en ligne le lundi 17 novembre 2008

« Le monde de la haute finance se laisse seulement comprendre si l’on a conscience que le maximum d’admiration va à ceux-là mêmes qui fraient la voie aux plus grandes catastrophes. »
John Kenneth Galbraith (Pri Nobel d’économie)

Prof. Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Les dirigeants du G20, réunis samedi à Washington, semblaient en voie de s’accorder sur une meilleure surveillance de la finance mondiale et un soutien à l’activité économique pour tenter d’enrayer la crise financière la plus grave depuis celle de 1929. Le président américain a mis en garde contre un regain de protectionnisme dans le monde. Le communiqué attendu à l’issue de la réunion devait lancer des « messages positifs de trois ordres : soutien à l’économie, nouvelle régulation internationale, réforme de la gouvernance mondiale ». La Maison- Blanche a proposé deux nouveaux mécanismes : un « collège de superviseurs » formé d’autorités de régulation pour surveiller les 30 plus grandes banques mondiales et un « système d’alerte précoce » des crises financières à confier éventuellement au FMI. Les Etats-Unis souhaitent également une réorganisation des institutions multilatérales, comme le FMI et la Banque mondiale, pour accorder davantage de poids aux pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.(1)

Voilà pour la langue de bois qui, comme nous le verrons, n’aura pas une grande incidence sur le cours des choses. Il n’est cependant plus question d’une réforme globale du système financier, sorte de Bretton Woods II, souhaitée par certains pays, dont la France. M.Bush a mis en garde ces derniers jours contre une sur-régulation qui, selon lui, serait contreproductive et souligné que le sommet réaffirmerait « notre conviction que les principes du libéralisme économique nous offrent la meilleure voie vers une prospérité durable ». Cette déclaration est à rapprocher de celle d’Angela Merkel : dans une interview au Süddeutsche Zeitung, la chancelière allemande exige ainsi une réforme globale de la finance. « Je ne comprends pas que, juste après que l’Etat ait évité le pire, certains mettent déjà à nouveau en garde contre un excès de régulation »

La solution ?
Attac, le site altermondialiste, contestant la légitimité de 20 Etats de parler au nom de 180, déclare : « Ce G20 n’a pas plus de légitimité que le G8 pour présider aux destinées de notre planète et encore moins pour trouver de véritables solutions à la crise actuelle. Le nouveau et antidémocratique "Consensus de Washington" ne réglera pas la crise mondiale, selon plus que 550 groupes issus de 88 pays.En cette veille d’une réunion convoquée par les Nations unies (ONU) pour discuter de son nouveau groupe de travail de haut niveau sur la crise financière mondiale, présidée par le lauréat du prix Nobel Joseph Stiglitz, une coalition de 550 organismes provenant de 88 pays publiait aujourd’hui une déclaration réclamant une réponse vraiment mondiale à cette crise mondiale et exposant les grands principes pour ce faire. Les groupes signataires de la déclaration exigent que tout sommet mondial à venir respecte les principes suivants : inclure la participation de tous les gouvernements du monde, engager vraiment la société civile, les groupes de citoyens et les mouvements sociaux dans le processus de façon significative, être transparent, en mettant à la disposition du public les propositions et l’ébauche des documents finaux pour en permettre la discussion bien avant la rencontre. La déclaration confie également à l’ONU, à titre d’organisation représentative à l’échelle mondiale, le rôle de tenir un tel événement ».(2)

Jusqu’ici relativement épargnée par la crise financière mondiale, la Chine a beaucoup à perdre si elle s’éternise ou dégénère en récession mondiale. « Pékin peut aussi jouer le chevalier blanc en investissant dans les secteurs en détresse des Etats-Unis ou d’Europe », la banque d’affaires China International Capital Corp a plaidé pour que la Chine achète des obligations du Trésor américain. En échange, son chef économiste Ha Jiming estime que Pékin pourrait obtenir un assouplissement des restrictions sur les exportations américaines de produits de haute technologie vers la Chine.

Deux approches : celle de ceux qui veulent « rafistoler le système » en prenant leurs désirs pour des réalités. C’est le cas, le croyons-nous de l’approche de Christian de Boissieu et Jean Hervé Lorenzi. La deuxième approche beaucoup plus radicale explique d’abord les racines de la débâcle avant de donner le remède. « Cette année, écrivent Christian de Boissieu et Jean Hervé Lorenzi, aura été une incroyable année de rupture. Pas seulement à cause de l’exacerbation de la crise financière et de sa propagation vers l’économie réelle, mais aussi parce que trois événements majeurs la marqueront à jamais. En premier lieu, ce fut l’échec du cycle de Doha. Au-delà des raisons invoquées, c’est un véritable refus des règles du commerce international telles qu’elles ont été imaginées par le monde occidental. Deux autres phénomènes bouleversent le paysage : l’incroyable volatilité des marchés énergétiques et des matières premières agricoles rend difficile une croissance économique mondiale forte, tout simplement parce que le monde ne peut fonctionner au jour le jour. (...) Cette année aura donc été celle de la remise en cause du fonctionnement des trois grands marchés : du commerce, des capitaux, des ressources rares. Et ces trois marchés sont complètement reliés entre eux. (...) Bien entendu, en premier lieu, il faut poser les bases de la nouvelle architecture financière avec deux objectifs majeurs. Tout d’abord apporter des réponses claires et cohérentes entre elles aux principaux défis soulevés par la crise financière en cours, qu’il s’agisse du fonctionnement des agences de notation, des normes comptables, du retour dans le champ de la réglementation d’un certain nombre d’opérateurs qui y échappent. Puis redéfinir le rôle du FMI, en le centrant sur la cogestion des crises bancaires et financières de nature systémique, en coopération étroite avec les banques centrales et les gouvernements. Il s’agira aussi de négocier l’équilibre énergétique mondial et, à travers cela, l’évolution du prix du brent et les marges de fluctuations acceptables pour une croissance équilibrée ».(3)

En clair, revenir à une fixation de prix des matières premières sans fixer le prix des produits finis, laissés, eux, à la libre appréciation des pays industrialisés, les PVD qui renferment en leur sein l’ensemble des matières premières, n’ont que faire de ce marché de dupes. D’ailleurs, la descente aux enfers des prix du pétrole est une bénédiction pour les pays du Nord. Ainsi les prix du pétrole ont effleuré jeudi 13 novembre le seuil de 50 dollars à Londres, son niveau le plus faible depuis mai 2005, après que l’AIE -qui joue un rôle de plus en plus trouble- eut confirmé la rapide dégradation de la demande.Grandeur et décadence de l’or noir : passé pendant la première moitié de l’année de 100 à presque 150 dollars (avec un record de tous les temps à 147,50 dollars à Londres), le prix du baril a été divisé par trois en cinq mois. Le département américain de l’Energie a révélé jeudi une baisse de 6,6% de la consommation de produits pétroliers, sur un an. « Du point de vue des ministres de l’Opep, le pire des cauchemars », un baril à 50 dollars, est déjà une réalité, rappellent les analystes du courtier Cameron Hanover. Une première baisse de la production, de 1,5 million de barils par jour, décidée lors de la dernière réunion de l’Opep, le 24 octobre, a cependant, pour l’heure, été sans effet. « Le fait que les prix ont continué à baisser (malgré cette baisse, ndlr) illustre l’impuissance du cartel face à la détérioration rapide de la demande », juge ainsi M.Jessops, qui rappelle que les baisses de production décidées en 2001 et 2002 n’avaient porté leurs fruits qu’en 2004.

La patate chaude

Pour Susan Georges, politologue, présidente d’honneur d’Attac France, le mal est plus profond. Ecoutons- la : « Panique à bord ! Péril en la demeure ! Feu au lac ! La situation est-elle devenue suffisamment dramatique pour qu’enfin les dirigeants européens prêtent l’oreille à ceux qui dénoncent depuis de longues années l’économie-casino, le tout-marché et l’empire de la finance déchaînée ? Ceux qui ont gobé l’idéologie, affirmé comme Mme Thatcher qu’il n’y avait ´´pas d’alternative´´, ou cru pouvoir ´´humaniser´´ le néolibéralisme en sont pour leurs frais. Ecouteront-ils à présent ? (...) La crise vient de l’explosion du crédit, surtout aux Etats-Unis, de ´´l’effet de levier´´ permettant la création de 40 dollars et plus pour chaque dollar ´´réel´´. Elle résulte des ´´innovations´´ des banques, débarrassées de toute entrave. Leur métier ? Mélanger toutes sortes de dettes, en faire des saucissons, les trancher et vendre les tranches à d’autres avec l’aide des agences de notation accordant des labels AAA de complaisance ».(4)

« Se lançant dans le jeu de la patate chaude, les banques croyaient se dégager de tout risque. Elles ont si bien manoeuvré qu’à présent nul ne sait qui doit quoi à qui, combien valent les tranches pourries de saucissons-dettes ni combien la banque voisine a réellement en caisse. Du coup, personne ne veut prêter à quiconque, d’où le gel du crédit, ce sang vital au système circulatoire financier. Ce ne sont pas, hélas, les 700 milliards de dollars de M.Paulson qui vont changer la donne. La solution est ailleurs. D’abord imposer des règles que tout le monde ou presque préconise à présent : pas d’opérations bancaires hors bilan, ratios de crédit strictement imposés, fermeture des marchés de ces produits dérivés dont on se passait parfaitement il y a dix ans. Soutenir les ménages et les PME et PMI qui ont emprunté plutôt que ceux qui leur ont prêté. Mettre fin au socialisme pour riches qui privatise les profits et fait payer les pertes aux contribuables. (...) »
« Il est temps de se servir du pouvoir politique pour sortir de ce système toxique et saisir l’occasion que cette crise nous offre. Car elle ouvre, en effet, une piste pour résoudre deux autres crises reléguées, à tort, au second plan. La crise de la pauvreté et des inégalités s’aggrave avec l’augmentation des prix de l’énergie et des aliments. Le réchauffement planétaire deviendra vite irréversible avec son cortège de catastrophes - tempêtes, sécheresses, inondations, millions de ´´réfugiés climatiques´´. La Grande Dépression bis n’est pas inévitable, mais il faut se servir immédiatement de la crise financière pour l’empêcher de s’installer. Souvenons-nous du New Deal du président Franklin Roosevelt et de la conversion de l’économie américaine à une économie de guerre dans les années 1930-1940. C’est d’un effort de cette envergure dont nous avons besoin ». « Il faudrait réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 90%. Impossible ? (...) Un pot de yaourt ne voyagerait plus 7000 kilomètres avant de rencontrer le consommateur - et il serait emballé plus économiquement. (...) D’où viendraient les moyens pour une telle conversion ? Les banques, sous la tutelle des pouvoirs publics, devraient consacrer une part importante de leurs portefeuilles aux particuliers et aux entreprises s’engageant dans une démarche écologique. On pourrait réduire les impôts sur le travail pour les augmenter sur le carbone. (...) Quant au Sud, la dette publique que le G8 promet d’annuler depuis dix ans le serait enfin, contre l’obligation de participer à l’effort écologique. Les élites africaines qui, depuis trente-cinq ans, ont fait s’envoler plus de 400 milliards de dollars vers les paradis fiscaux seraient surveillées et leurs avoirs illégaux saisis au profit de leurs peuples. Un seul remède : que les Etats membres reprennent ces institutions en main et remettent à l’ordre du jour John Maynard Keynes et le keynésianisme vert ».(4)

Pour Antonio Martens, les marchés, internationaux du crédit sont en état de choc, et il y a un risque réel d’une ruée dévastatrice vers les banques. Parce que les sept cent milliards de dollars injectés par les USA sont arrivés trop tard et ne sont pas adaptés. Méfiants quant à la solidité des banques, les détenteurs de comptes courants peuvent reprendre leurs dépôts, ce qui provoquerait une nouvelle vague de chutes et détruirait la confiance dans la monnaie. A l’ère de la mondialisation, ce serait la « mère de toutes les ruées contre les banques » selon ce qu’a décrit l’économiste Nouriel Roubini, qui s’est fait connaître en prédisant, il y a quelques mois, avec une précision remarquable, tous les développements de la crise actuelle. Le plan de 700 milliards de dollars cousu main par la Maison-Blanche, Nouriel Robini l’a considéré non seulement comme « injuste » mais comme « inefficace et inefficient ». Injuste parce qu’il socialise les pertes en offrant de l’argent aux institutions financières sans assumer, en contrepartie, une partie de leur capital. Inefficace parce que, en n’offrant aucune aide aux familles endettées, il ne touche pas à la cause réelle du problème (l’appauvrissement et la baisse du pouvoir d’achat de la population), et n’agit que sur les effets superficiels".(5)

Un président américain en fin de mandat, des Européens divisés, une liste des participants contestée, pourtant, malgré les frustrations qu’il va engendrer, ce sommet est, en soi, une bonne nouvelle. Il met fin à une période de près de quarante ans durant laquelle les Etats-Unis estimaient que le dollar était leur monnaie, mais aussi le problème du reste du monde. Il met également un terme à trois décennies durant lesquelles bon nombre de pays occidentaux jugeaient que l’Etat était le problème, et non la solution. En se réunissant deux mois après l’exacerbation de la crise, les dirigeants politiques témoignent au moins de leur conscience que la solution ne peut être que globale. En ce sens, ce G20 préfigure la disparition du G8. Pour autant, les 180 pays qui souffrent au quotidien verront-ils leur sort amélioré, ou est-ce une fois de plus « la loi de la Jungle de tous contre tous » ? La question reste pour le moment sans réponse.

1.AFP : Le G20 s’apprête à adopter un ´´plan d’action´´ pour contrer la crise - 15 novembre 2008

2.Le G20 face au Genre Humain. Leur sommet ne sera pas le nôtre ! Attac France 31/10/2008.http://www.choike.org/bw2

3.Christian de Boissieu et Jean-Hervé Lorenzi:Bretton Woods acte II : une gouvernance mondiale, Le Monde du 13-11-2008.

4.Susan George : Des nouvelles règles pour sortir d’un système toxique. Le Monde, 17-10-08

5.Antonio Martins : Pour comprendre la crise financière 21-10-2008

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