Une tribune pour les luttes

Mamadou III

Lihidheb mohsen

Article mis en ligne le lundi 24 novembre 2008

C’était un après midi d’une journée de fin du mois de Ramadhan, habitué au jeûne et la starvation, je longeais comme d’habitude une côte rocailleuse et difficile, à récolter ça et là des bouteilles ou d’autres objets rejetés par la mer. A cause de ma capacité de transport, je ne ramassais pas tout, et me limitais à mon caprice sur les formes, la couleur, l’origine, ou la possibilité de recyclage utilitaire ou artistique. Avec le temps, je me suis familiarisé avec les marques et les différends jeux de tombola et loto sur les bouchons des bouteilles, et participe ainsi avec les Italiens, Maltais, Turc, Français, Yougo…leurs faux espoirs. D’ailleurs, plusieurs nouvelles marques et sous produits, me parviennent par la mer, au moins une année, avant leur arrivée sur les stores des super marchés (que je n’entre jamais) de Zarzis. Je reçois aussi de temps à autres des messages dans des bouteilles à la mer avec de différends appels et vœux, mais, vu ma sensibilité et ma communication totale avec tout ce qui m’entoure, je vois et lis des messages dans tout ce qui vient de la mer et tombe sous ma main.

Ce jour là, je n’étais pas pressé, mon grand sac postal grossissait progressivement sur mon dos, une caisse vide en plastique dans la main et une grosse corde attachée à ma taille trainait derrière moi. Avec le poids, je me déplaçais difficilement dans mes sandales dont les clous piquaient mes pieds, poussés par les rochers, mais heureusement, habitué à la douleur et la souffrance, ces indispositions physiques ne me dérangent pas et passent souvent inaperçues.

Pourtant, la douleur était incontournable, intense et très douloureuse, lorsque j’ai trouvé mon nouvel ami Mamadou III, sur une plateforme rocheuse, déposé par les vagues de la dernière tempête. Sa tête scalpé jusqu’à l’os brillait par sa blancheur et par le contraste avec les algues noires déposées tout au tour de ce qui restait de son corps. Il ne restait plus grand-chose de mon ami, juste quelques muscles du buste et d’autres plus développés sur la cuisse gauche. Les membres disloqués sous sa carcasse, tenaient par quelques tendons résistants aux mouvements des vagues et les frottements sur les rochers. Encore, comme chaque fois que ça m’arrive, mon âme est traversée de bout en bout par la colère et l’impuissance, devant cette iniquité, ce génocide des pauvres, qui acculés par la nature ou la conjoncture, ont sacrifié leur vie, pour une traversée incertaine vers le Nord promis, le Nord interdit, le Nord maudit. Ces pauvres qui, au lieu de se révolter, de s’insurger, de s’imploser en camicases, … ont préféré se déconstruire en silence, sans nuire, sur les dunes du Sahara ou entre les vagues de la Méditerranée ou Gibraltar. Chaque fois, je restais planté devant mon ami, figé par le désarroi et la colère, ne sachant ni pleuré, ni crier ma rage, … impuissant, castré par le néo capitalisme sauvage, meurtris par la partialité des chances et des droits à la vie.

En rentrant, j’ai hésité à informer la protection civile de l’infortune de mon nouvel ami et l’endroit de son échouage, et après mure réflexion, je me suis abstenu de le faire, car, dans cet endroit Mamadou III ne risque rien et peut attendre quelques jours. Que notre ami passe la fête de l’Aïd El Fitr, avec nous, parmi nous, dans ce bel endroit, et que les agents de la protection civile, véritables guerriers de l’humain, passent la fête sans amertume et désagrément. Ces agents qui sont souvent submergés par le nombre de cadavres de « Harraga » échouant sur les plages de la ville et sa région, au point de ne pas répondre à mes signalements de morceaux de squelettes que je trouve quelques fois, ce qui m’oblige à les enterrer moi-même, avec un grand respect, dans mon cimetière secret sur une belle petite colline au bord de la mer.

Ainsi, nous passâmes tous, la fête, sans pouvoir oublier cette angoisse qui travaille les entrailles et la conscience et la Protection civile, fit bien son travail, et mon ami Mamadou III, eut droit au respect et la dignité, et se repose enfin, auprès de ses frères Zarzissiens.

Lihidheb mohsen

Eco artiste 4170 Zarzis 03.11.08

www.seamemory.org

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