Une tribune pour les luttes

proposé par la revue Marginales

L’histoire de la contestation des années 1970 en question : quand la parole censurée devient une censure de l’histoire

par Delphine Galonnier

Article mis en ligne le jeudi 4 décembre 2008

Un court article à lire et à faire lire...
Les juges ont décidé le maintien en détention de Jean-Marc Rouillan.

Marginales, Revue de littérature et de critique sociale


« Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie d’Action directe, mais de dépasser les considérations “pseudo-psychologiques”, qui ne prennent pas en compte la dimension collective de l’élan contestataire de l’après 68 et, surtout, de montrer qu’il existe certains tabous dans cette histoire de la violence politique en France. »

L’histoire de la contestation des années 1970 en question : quand la parole censurée devient une censure de l’histoire

par Delphine Galonnier,
jeudi 4 décembre 2008

« Mes mots, s’ils respirent, ce n’est pas de ramper mais de dire. Et ce que je dis ne plaît pas à ceux qui voudraient qu’on se taise. Car dans mon cas judiciaire, il faudrait que j’accepte le livret de la victime expiatoire à la bonne raison de ne plus rien faire, de ne plus se rebeller ou alors avec des mots sourds et aveugles, étrangement orphelins de leur musique. »
Jann-Marc Rouillan, Lettre à Jules

Jean-Marc Rouillan est un militant communiste révolutionnaire depuis plus de trente ans. Jean-Marc Rouillan est un prisonnier politique depuis vingt et un ans. Jean-Marc Rouillan est devenu un écrivain depuis la parution de Je hais les matins, en 2001 [1]. Il est aujourd’hui l’auteur de neuf ouvrages dans lesquels il décrit la condition carcérale ainsi que son expérience individuelle et collective de la lutte armée. Après avoir bénéficié de la semi-liberté pendant dix mois, Jean-Marc Rouillan est retourné à plein temps en prison, suite aux propos qu’il a tenus dans L’Express.

Contrairement à ce qu’on a parfois pu lire ou entendre au cours de l’emballement médiatique qui a suivi, Jean-Marc Rouillan ne continuait pas de prôner la lutte armée, mais remettait dans une perspective historique un point de doctrine marxiste, qui fait partie des références d’un bon nombre de militants et de sympathisants se réclamant de cette idéologie : « Le processus de lutte armée tel qu’il est né dans l’après-68, dans ce formidable élan d’émancipation, n’existe plus. Mais en tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire. » Et plus loin, répondant à la question du journaliste sur ses éventuels regrets, il commentait son interdiction de parler des faits pour lesquels il a été condamné en janvier 1989 et pour lesquels, rappelons-le, il a purgé sa peine de sûreté : « Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. Mais par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique. »

Pourquoi ces deux réponses, qui ne faisaient pourtant que reprendre ce que Jean-Marc Rouillan n’a jamais cessé de dire, dérangent-elles autant ? Sans doute parce qu’elles sortent de la bouche d’un homme condamné à la perpétuité pour des « actes de terrorisme », qui n’a pas renié son engagement – malgré vingt et une années d’incarcération dont sept et demie à l’isolement total et cinq grèves de la faim. Et qu’aujourd’hui, cet homme, qui ne s’est pas repenti, souhaite continuer de militer en intégrant un parti légaliste.

Comme on a pu le constater, le débat qui a suivi la parution de ces propos dans L’Express s’est orienté sur la question de la repentance et sur la crédibilité d’un nouveau parti, celui d’Olivier Besancenot, lequel allait intégrer dans ses rangs un « ancien terroriste ». Nulle part, il n’a été question de débattre du choix, discutable, qu’ont fait certaines personnes qui se sont radicalisées dans la lutte et qui ont pris les armes au cours des années 1970-80. Et pour cause : pour débattre de la légitimité ou non d’une telle option, il aurait fallu se replonger dans l’histoire de ces dernières décennies et remettre Action directe (AD) dans la perspective des autres organisations armées qui sont nées, en France, après Mai 68. Or, comme le constatait la chercheuse italienne Luisa Passerini, la connexion entre l’élan contestataire de Mai et ces organisations est un des problèmes les plus difficiles à aborder de notre histoire récente [2]. Et bâillonner certains des acteurs directs de cette histoire en les empêchant de tirer, à l’aide des armes de la critique, un bilan de leurs actions passées ne nous aidera certainement pas à comprendre comment l’organisation Action directe a pu, à un moment donné, décider, au nom de la révolution, d’exécuter un général de l’armement et le patron de la régie Renault. Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie d’AD, mais de dépasser les considérations « pseudo-psychologiques », qui ne prennent pas en compte la dimension collective de l’élan contestataire de l’après 68 et, surtout, de montrer qu’il existe certains tabous dans cette histoire de la violence politique en France.

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