Une tribune pour les luttes

Bug Brother. "Qui surveillera les surveillants ?"

EDVIGE prend l’avion, et balance ses passagers

par Jean-Marc Manach

Article mis en ligne le vendredi 3 avril 2009

Après plus de 2 ans de négociations avec le Conseil de l’UE, le Parlement européen a adopté, mercredi 25 mars 09, le rapport de codécision de Sarah Ludford (ADLE) relatif aux instructions consulaires communes. Les députés ont ainsi explicitement donné leur feu vert à l’accord sur l’introduction de données biométriques dans le système européen d’information sur les visas (VIS).


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http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2...

01 avril 2009

La Commission européenne voudrait étendre l’exploitation policière des données des dossiers passagers, imposée par les USA pour lutter contre le terrorisme, “à des fins répressives”. La Commission des affaires européennes du Sénat tire la sonnette d’alarme.

Extension du domaine du fichage

Le PNR, pour Passenger Name Record, ou données des dossiers passagers (en VF) contient plus d’une trentaine d’informations nominatives, dont certaines particulièrement “sensibles” : nom et prénom, adresses (physiques et mail), n° de téléphone, n° de carte de crédit, itinéraire, réservations d’hôtel et de voiture, préférences alimentaires (kasher, halal), handicaps physiques éventuels…

Imposée par l’administration Bush, en 2002, à toute compagnie aérienne aterrissant aux Etats Unis, la transmission du PNR de leurs passagers à la douane américaine était contraire aux “droits fondamentaux” en vigueur en Europe.

Mais les compagnies n’avaient pas le choix, et les instances européennes entrèrent alors dans une longue série de tractations pour trouver un terrain d’entente, et tenter de faire respecter (par les USA) les lois (européennes).

Aujourd’hui, le bouchon est poussé, une fois de plus, un tantinet plus loin, mais à l’initiative de la Commission européenne cette fois.

Elle propose en effet de se servir du PNR, non plus seulement pour identifier de potentiels terroristes comme le réclamaient les Etats-Unis, mais aussi à des fins répressives, et quand bien même l’utilisation du PNR fut initialement considérée comme contraire aux directives européennes.

Auditionné à l’Assemblée, Alex Türk, le président de la CNIL, souligne ainsi que “les autorités américaines n’ont jamais pu, ou voulu, communiquer la liste des autorités américaines destinataires des données en question, or le territoire fédéral n’abrite pas moins de 18 000 autorités susceptibles de l’être“, et les données sont conservées pendant 15 ans.

Concernant la transposition, européenne, du PNR, la CNIL a par ailleurs “fait valoir à plusieurs reprises que ce texte présente des garanties insuffisantes au regard de la loi française informatique et libertés ou même de la directive européenne de 1995“.

Guy Geoffroy, député auteur d’un rapport d’information à ce sujet, qui se dit “convaincu de la grande utilité des données PNR“, n’en reconnaît pas moins que “tant la masse des données en cause que le fait qu’elles concernent des personnes dont l’immense majorité n’est suspectée de rien et n’a rien à se reprocher peuvent susciter une réaction de méfiance”.

Après avoir dénoncé (avec succès) le fait que la Commission européenne voulait faire réviser la directive sur la protection (et la “libre circulation”) des données personnelles par un comité d’experts acquis aux intérêts américains, la Commission des affaires européennes du Sénat s’alarme aujourd’hui de cette extension du domaine du fichage.


La liste des griefs des sénateurs

Elle tient d’ailleurs, et d’abord, à souligner “les graves insuffisances” des accords passés entre l’Union européenne et les États-Unis “au regard de la protection de la vie privée et des libertés fondamentales“, et dresse la liste des problèmes posés par cet élargissement de l’utilisation des données passager :

* la liste des 35 types d’informations collectées serait “excessive, d’autant que la Commission européenne “n’explique pas en quoi une telle quantité de données est nécessaire à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée“,

* les “données sensibles (santé, orientation sexuelle, origines raciales ou ethniques, opinions politiques, convictions religieuses ou philosophiques, appartenance à un syndicat)” ne seront pas effacées avant d’être transmises par les compagnies aériennes, mais par une “unité de renseignements passagers” désignée par chaque Etat membre, ou par un prestataire de services privé, ce qui pose un sérieux problème de confidentialité,

* la liste des autorités destinataire de ces données pose elle aussi problème, dans la mesure où elles “peuvent être dotées de compétences très diverses (qui) peuvent inclure ou non le renseignement, la fiscalité, l’immigration ou les missions de police“, et que les données peuvent également être trasnmises à des Etats tiers n’offrant pas forcément “les garanties suffisantes” en matière de protection des données,

* la “durée de globale de conservation de 13 ans apparaît manifestement disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis“, quand bien même “la durée moyenne de conservation requise serait, en pratique, de trois ans et demi“,

* on ne sait pas qui sera le responsable du traitement de données : “le droit à l’information, le droit d’accès, le droit de rectification, d’effacement, ainsi que les droits à réparation et aux recours juridictionnels” ne sont donc pas clairement définis,

* “ un système PNR ne peut avoir vocation à traiter des questions d’immigration, lesquelles relèvent d’autres dispositifs tels que le Système d’Information Schengen (SIS) ou le Système d’Information sur les Visas (VIS)“.


La liberté de circulation est un droit de l’homme

La proposition de résolution de la commission des affaires européennes du Sénat relève que, selon la douane française, “60 à 80% des produits stupéfiants annuellement saisis dans les aéroports internationaux de Paris (soit environ 2 tonnes par an) sont directement à mettre au compte des PNR“, mais sans pour autant expliquer plus avant comment la douane a d’ores et déjà accès au PNR.

Le risque ? Simple : si cette extension de l’utilisation du PNR est validée, il sera possible, et bien plus simple, aux forces de l’ordre européennes de ficher, surveiller voire refouler les détenteurs d’un titre de séjour en bonne et due forme mais qui viennent d’un pays “à risque“.

Sans parler des personnes dont les “opinions politiques, appartenance à un syndicat, convictions religieuses ou philosophiques, orientations sexuelles des individus, origines raciales ou ethniques“, seraient mal vues par le pays où ils se rendent, quand bien même ces données sont considérées comme “sensibles” par la loi informatique et libertés, et qu’elles ne peuvent être recueillies qu’avec l’assentiment de ceux qui se retrouvent ainsi fichés.

Or, ceux qui prennent l’avion n’ont pas le choix. Et ils ne savent pas, non plus, dans quels autres fichiers ils sont répertoriés, ni pourquoi. Et l’on a déjà vu des altermondialistes être refoulés aux frontières de pays organisateurs de G8 et consorts. Et les polices européennes (mais pas seulement) ont d’ores et déjà commencé à échanger leurs fichiers.

On peut dès lors imaginer que cette extension de l’utilisation du PNR puisse aussi servir à refouler des homos en Pologne, des féministes en Irlande, des syndicalistes en Italie, des défenseurs des droits de l’homme en Russie, en Israël ou en Corée du Sud… entre autres Etats “tiers” mais “à l’écoute” de ce qui se passe dans nos contrées, sans parler de ceux qui, des années après avoir été initialement fichées, et quand bien même elles auraient changé de vie, ou d’opinions, resteront fichées.

Last but not least, on peut aussi imaginer ce qui pourrait être fait de cette transmission du PNR en matière d’espionnage, notamment industriel, sur fond de guerre économique… Dès lors que l’on est fiché, et que les données sont transmises aux autorités, qui sait à quoi, ou à qui, elles serviront ?

Un précédent : le fichage génétique

Ce n’est pas la première fois que l’on assiste à une telle extension du domaine du fichage. L’exemple le plus marquant nous est donné par le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG).

Au commencement, il s’agissait de ne préveler l’ADN que des seules “personnes poursuivies pour le meurtre ou l’assassinat d’un mineur de moins de 15 ans précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie“. C’était au siècle dernier, en 1998.

Depuis, le FNAEG a été peu à peu “étendu” à la “quasi-totalité des crimes et délits” d’atteinte aux personnes et aux biens -à l’exception notable des délits financiers, d’abus de confiance, ou encore… d’alcoolisme au volant.

Aujourd’hui, les trois quarts des affaires traitées dans les tribunaux peuvent entraîner un fichage génétique : on a ainsi vu des mineurs être fichés pour de simples tags ou vols à l’étalage, ainsi que des syndicalistes ou des militants politiques (voir le dossier des Big Brother Awards, et celui de la LDH de Toulon ).

Les empreintes génétiques sont conservées pendant quarante ans, pour les personnes condamnées, et 25 ans, pour les “simples” suspects. En dix ans, le FNAEG compte plus de 806 000 profils génétiques, soit plus de 1% de la population française.

Et comme le soulignait, Ollivier Joulin, du Syndicat de la magistrature, que j’avais interviewé en 2007 pour LeMonde.fr :

Selon une méthode éprouvée, dans un premier temps on justifie une atteinte générale aux libertés publiques en insistant sur le caractère exceptionnel [infractions sexuelles graves] et sur l’importance des modes de contrôles. Ils nous avaient été vantés pour rassurer les personnes qui criaient aux risques d’atteintes aux libertés.

Puis on élargit le champ d’application du Fnaeg, qui concerne aujourd’hui presque toutes les infractions, et on réduit les possibilités de contrôle. L’exception devient la norme“.

Au vu de l’extension du domaine du fichage génétique, que croyez-vous qu’il arrivera en matière de fichiers passagers ?

NB : pour un point de vue plus juridique, et en anglais, voir aussi “Towards a European PNR system ? Questions on the Added Value and the Protection of Fundamental Rights“

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